La communauté Voxeurop Après les législatives en France

Le scrutin majoritaire est un déni de démocratie, Macron doit le réformer

Même si le raz-de-marée n’est pas aussi extrême qu’annoncé, le parti du président aura, dans la nouvelle Assemblée nationale, trois fois plus de députés que la formation politique arrivée en deuxième position. Une anomalie bien française qui découle d’un mode de scrutin majoritaire injuste.

Publié le 22 juin 2017 à 15:55

Les résultats officiels sont tombés : 361 des 577 députés élus à l’Assemblée nationale représenteront un seul et même camp politique, de surcroît celui du président de la République (REM/MD, centre). Cette formation, qui a recueilli 31% des suffrages au premier tour des législatives, remporte ainsi 62% (le double !) des sièges. Comment est-ce possible ?

Eh bien, figurez-vous que la République française, patrie des droits de l’homme et terre d’accueil des réfugiés politiques, n’est pas une véritable démocratie où les électeurs sont représentés de manière proportionnelle, mais un régime au système majoritaire dans lequel la majorité étouffe les opinions minoritaires. Pour faire simple, le pays est divisé en 577 circonscriptions. Dans chacune d’entre elles, les électeurs élisent un seul député. Si un candidat obtient 51% des voix, celles de 49% des électeurs ne seront pas entendues.

Répartition des voix lors du premier tour des élections législatives françaises :

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Répartition des sièges à l’Assemblée nationale suite au même scrutin :

Et pourtant, le président sortant, François Hollande (PS, gauche), avait promis d’instaurer la proportionnelle. A-t-il respecté son engagement ? Que nenni ! Nicolas Sarkozy (LR, droite), son prédécesseur, avait également évoqué la possibilité d’introduire une dose de proportionnelle. Fariboles ! Et François Bayrou, qui s’est rangé derrière la candidature d’Emmanuel Macron en lui assurant la victoire, avait même fait de la proportionnelle un de ses chevaux de bataille qui l’avaient propulsé aux portes du second tour de la présidentielle de 2007. Fera-t-il pression sur son nouveau gourou pour qu’il mette enfin en place la proportionnelle ? Pas si sûr, vu ses nets reculs sur la moralisation de la vie politique dont il devait avoir la charge en tant que Garde des Sceaux. Sa démission précipitée n’arrange pas les choses.

Pourquoi diantre ces dirigeants politiques ne respectent-ils pas leur promesse de proportionnelle, une fois élus ? Certains diront qu’ils sont obnubilés par le pouvoir et qu’une fois celui-ci obtenu, ils feront tout leur possible pour le garder. Le système majoritaire renforce le plus grand parti et ils se disent qu’il leur est favorable car ils sont aux manettes. Mais la roue tourne ! Cinq ans plus tard, les citoyens ne leur font plus confiance, dépités par les réformes. Leur vote-sanction a des conséquences désastreuses sur le pouvoir sortant, le Parti socialiste en sait quelque chose : il ne gardera qu’une poignée de députés, alors qu’un scrutin proportionnel aurait permis de limiter la casse. Cette vision à court terme a donc contribué à la descente aux enfers des deux grands partis traditionnels (PS et LR).

C’est quoi, la démocratie ?

Petit rappel étymologique : le terme démocratie vient des mots grecs « demos » et « kratein » qui, contractés, donnent « le pouvoir du peuple ». Non pas que de la majorité mais du peuple tout entier. Cet idéal ne peut être incarné que par une représentation de tous les courants politiques (hormis ceux qui ont une importance dérisoire) au parlement. Ce n’est qu’ainsi que l’assemblée des représentants du peuple deviendra un temple des débats d’idées, composante essentielle de la démocratie.
Le scrutin majoritaire est d’autant plus anti-démocratique, au vu des résultats des législatives de 2017, que la cagnotte dont disposera chaque parti au cours des cinq prochaines années dépendra du nombre de députés élus. Ainsi, le Parti socialiste dont le nombre de députés sera divisé par dix et dont le budget repose à 45% sur les subventions de l’État, devra réduire sa voilure. Les Républicains, qui étaient déjà dans l’opposition, voient le nombre de leurs députés reculer d’un tiers, alors que le rôle de premier censeur de France leur incombera toujours car ils resteront le deuxième parti de l’assemblée. Je ne veux pas ici défendre les privilèges des grands partis politiques mais l’un d’entre eux sera-t-il prêt à prendre la relève de la REM, une fois que les citoyens voudront faire le choix de l’alternance ? Il y a fort à parier qu’avec leurs moyens limités, ils ne seront pas plus efficaces dans cinq ans. Et leur faiblesse ouvre une brèche dans laquelle pourraient bien s’engouffrer les extrêmes.
La faible participation est l’une des conséquences du scrutin majoritaire. A quoi bon se déplacer si les dés sont jetés avant même qu’on vote ? Le désengagement des citoyens ne semble pas avoir profité au Front national cette année, mais on peut s’imaginer que l’électorat frontiste se mobilise lors d’un autre rendez-vous électoral. Ce ne serait pas la première fois dans l’histoire que le manque de vigilance des citoyens permettrait à l’extrême droite d’accéder au pouvoir.

Comment ça se passe dans d’autres pays ?

Le scrutin majoritaire a été établi en France pour des raisons historiques. En effet, la IVe République, dont la proportionnelle représentait l’une des caractéristiques, était marquée par les troubles et l’instabilité. Charles de Gaulle a donc décidé d’instaurer un régime avec un exécutif fort qui bénéficierait d’une majorité claire au parlement.
Néanmoins, la politique des soubresauts de l’après-guerre ne risquerait pas de réémerger en 2017. Dans les années 1940 et 1950, la scène politique était bien plus fragmentée. Depuis des années, un ou deux blocs politiques la dominent.
De plus, le mode de scrutin proportionnel fait ses preuves dans d’autres pays. En fait, seules la France et le Royaume-Uni ont un système majoritaire parmi les 28 États membres de l’UE. En France, l’élection se décline même en deux tours, ce qui favorise encore davantage les partis dominants. Prenons notre voisin outre-rhin, l’Allemagne, dont nous aimons tellement nous inspirer. Il a un mode de scrutin mixte, alliant proportionnelle et majoritaire, qui pourrait être une première étape intermédiaire avant que la France n’adopte une représentation proportionnelle à scrutin de liste. A l’heure actuelle, la composition du Bundestag allemand est la suivante :

Répartition des votes :

Il est vrai qu’aucun parti ne dispose d’une majorité absolue. Mais l’Allemagne n’est pas un pays instable pour autant, bien au contraire. Le pays n’a eu que trois chefs de gouvernement depuis 1982 ! Depuis l’arrivée au pouvoir de la chancelière actuelle, la CDU/CSU a été contrainte à un ménage à trois avec la gauche et le centre à tour de rôle mais les coalitions passent par l’art du compromis, l’essence même de la démocratie. Elles ne l’ont pas empêché de prendre des mesures importantes et de préserver le leadership allemand en Europe.

Mais allons un peu plus à l’est, en Pologne. Car si l’Allemagne, la Hongrie, la Roumanie et la Lituanie ont un système mixte, les 22 autres Etats membres ont opté pour le scrutin purement proportionnel. Du côté de Varsovie, les premières années de la démocratie post-communiste étaient quelques peu traumatisantes : les premières élections législatives entièrement libres, en 1991, ont donné lieu à une assemblée composée de 29 partis dont des mouvements aussi incongrus que le Parti polonais des amis de la bière ou l’Alliance des femmes contre les difficultés de la vie. La formation la plus forte ne disposait que de 62 députés. La composition du gouvernement changeait tous les quelques mois.
Mais la scène politique s’est progressivement cristallisée et un seul Premier ministre a même gouverné le pays entre 2007 et 2014. Un seul parti dispose actuellement d’une courte majorité à la Diète :

Répartition des votes :

Appel lancé à Emmanuel Macron

La démocratie française est malade. Ce n’est pas normal qu’un parti rafle 62% des sièges avec les voix de 16% des électeurs inscrits. Les expériences de nos voisins européens montrent que le scrutin proportionnel ne condamne pas un pays au chaos. Nous avons déjà le Sénat qui représente les territoires de l’Hexagone dans sa diversité. Laissons au peuple au moins l’Assemblée nationale. Pour que toutes les voix puissent s’y exprimer. Le meilleur moyen de combattre l’extrême droite, ce n’est pas de lui barrer la route du parlement mais de la laisser enchaîner ses incohérences dans l’Hémicycle. Il vaut mieux catalyser la colère de ses électeurs dans ce lieu de débat démocratique plutôt que de l’inciter à créer un Etat parallèle au fur et à mesure de sa montée en puissance.

M. Macron, en tant que grand démocrate, devrait comprendre cet appel. Il devrait être celui qui, contrairement à ses prédécesseurs, franchira véritablement le pas et inscrira durablement le principe de la proportionnelle dans la loi électorale française. Non pas pour des raisons conjoncturelles, comme l’avait fait François Mitterrand pour une seule élection. Mais pour raviver cette démocratie à bout de souffle.

Et pourquoi attendre 2022 ? Je l’exhorte à convoquer de nouvelles élections dans l’immédiat, s’il en a le cran, s’il veut véritablement créer un nouveau style politique. Non pas par calcul comme l’avait fait Jacques Chirac. Non pas pour avoir encore plus de députés, mais justement pour en avoir moins car dans le cas contraire le camp gouvernemental risque de plonger dans l’inertie, faute d’opposition forte.

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