Opinion, ideas, initiatives La Suède après l’attentat de Stockholm
L'ambassade de RFA à Stockholm après l'attentat de la RAF, en 1975.

Une innocence perdue depuis longtemps

Après l'attentat au camion du 7 avril, qui a provoqué quatre morts, les observateurs de par le monde affirment que la Suède a perdu son innocence, que ce pays paisible et cette société ouverte sont du passé. Mais est-ce vraiment le cas ? s’interroge un journaliste suédois.

Publié le 13 avril 2017 à 14:05
L'ambassade de RFA à Stockholm après l'attentat de la RAF, en 1975.

Vendredi 7 avril, un camion volé a foncé sur la foule de Drottninggatan, à Stockholm, une des artères commerçantes les plus populaires de la capitale suédoise, tuant quatre personnes et en en blessant plusieurs autres. Les images diffusées dans le monde entier rappellent ce qui s’est passé sur la promenade des Anglais à Nice, sur le marché de Noël de la Breitscheidplatz à Berlin où, tout juste deux semaines plus tôt, sur le pont de Westminster, à Londres. Ce qui s’est passé à Stockholm ressemble à un nouveau et cruel exemple du terrorisme low-tech qui voit des véhicules ordinaires transformés en armes létales dans les mains d’assassins solitaires, mais commandés à distance.

C’est horrible. Mais lorsque les envoyés spéciaux suggèrent que l’on comprend difficilement comment cela ait pu se passer ici, en Suède, un pays si ouvert et cosmopolite, cela illustre combien ils ont la mémoire courte.

Car en réalité, la Suède a une longue histoire de terrorisme et de violence politique.

En 1973, le Parlement suédois a voté la première loi sur le terrorisme. Deux années plus tôt, des Croates liés au mouvement fasciste Ustaše avaient attaqué l’ambassade de Yougoslavie à Stockholm, tué l’ambassadeur et blessé sa secrétaire. Lors d’une prise d’otages à l’aéroport Bulltofta l’année suivante, d’autres sympathisants oustachis ont demandé la libération de leurs camarades détenus pour l’attentat de 1973, ce qui avait amené une commission parlementaire à se pencher sur la question et à proposer une nouvelle législation.

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En 1975, le Commando Holger Meins, un groupuscule lié à la Fraction Armée Rouge (RAF) allemande, avait pris d’assaut l’ambassade de la RFA à Stockholm, en demandant la libération de plusieurs membres de la RAF détenus en Allemagne Fédérale, y compris les chefs de la bande, Andreas Baader et Ulrike Meinhof. Avant de provoquer plusieurs explosions, les terroristes ont exécuté deux diplomates allemands.

En 1986, le Premier ministre de l’époque, le social-démocrate Olof Palme, était abattu en plein centre de Stockholm alors qu’il sortait du cinéma et en 2003, l’héritière politique de Palme, la ministre des Affaires étrangères Anna Lindh, était assassinée dans un grand magasin à quelques encablures du lieu où s’est déroulé l’attentat du 7 avril.

Au début des années 1990, le terroriste d’extrême droite John Ausonius a tiré sur onze personnes d’origine étrangère au cours d’une dizaine d’attaques menées à Stockholm. Une est décédée, les dix autres ont été grièvement blessées mais ont survécu. Connu avec le surnom de “L’Homme au Laser”, Ausonius a inspiré d’autres terroristes, comme Peter Mangs, qui a tiré sur plusieurs personnes de couleur à Malmö en 2009 et 2010. Le Norvégien Anders Behring Breivik lui a rendu hommage après avoir tué 77 personnes à Oslo et à Utøya en 2011. En 2010, deux bombes ont explosé à Drottninggatan, déclenchées par le Suédois d’origine irakienne Taimour Abdulwahab, qui est ainsi devenu le premier kamikaze à se faire sauter en l’air dans les pays Nordiques. Le moment choisi – ainsi que la maladresse de l’auteur – ont sauvé Stockholm d’un drame bien plus grave. Abdulwahab n’est parvenu qu’à se tuer lui-même.

Même le flux constant de polars suédois, du Wallander d’Henning Mankell à la trilogie Millénium de Stieg Larsson, n’est pas parvenu à changer l’image de la Suède comme celle d’un pays pacifique, empreint d’une certaine naïveté et innocence. C’est comme si l’Europe et le monde avaient besoin de ce parangon exceptionnel, un rôle que les Scandinaves ont interprété depuis la glorieuse époque du modèle suédois, entre les années 1950 et 1960.

Mais combien de fois peut-on perdre sa virginité et rester toujours vierge ? Les réactions après l’attentat du 7 avril montrent que la Suède officielle a appris sa leçon et qu’elle sait très bien qu’elle est un pays comme les autres, loin de l’image d’Epinal qu’on en a.

Cela fait juste un mois depuis que la SÄPO, le renseignement suédois, a publié un rapport disant qu’un attentat comme celui de Stockholm était hautement probable. La police a même été entraînée à ce genre de scénario. Du coup, personne n’était vraiment surpris lorsqu’il s’est produit. Les plans élaborés ont été exécutés à la lettre, et d’importantes portions de Stockholm ont été bouclées.

En même temps, le hashtag #OpenStockholm s’est répandu sur les réseaux sociaux auxquels les Suédois sont si accros. Les habitants de la capitale ont ouvert leurs appartements et leurs maisons à ceux qui ne pouvaient pas rentrer chez eux en raison de la suspension des trains et des métros : un chargeur pour le smartphone, une place à table, un divan où se poser…

Cette ouverture a fait la fierté des gens de Stockholm – à raison. Cette attitude ne relève pas de la naïveté, au contraire, elle s’insère dans une vision du monde extrêmement pragmatique. L’objectif des terroristes est la polarisation maximale, de fracturer les sociétés et contraindre les personnes à choisir leur camp dans une guerre qui ne laisse aucun autre espace que la guerre elle-même. Les terroristes veulent éliminer tout ce qui ne fait pas partie de ce tableau.

C’est alors, tout juste après l’attentat, que ce pragmatisme se manifeste : la volonté d’aider tel un défi et une fondamentale ouverture vis-à-vis de l’autre, de l’étranger. C’est un acte de résistance.

Il faudrait toutefois être naïf pour croire qu’un acte de violence d’une horreur telle que celui du 7 avril ne laisse pas de trace sur la politique et la société. Les populistes de tout bord savent comment exploiter les images de terreur et de peur.

Enfin”, a tweeté Alexandra Brunell, la secrétaire de Jimmie Åkesson, après l’attentat de Drottninggatan, en 2010. Åkesson est le chef du parti des Démocrates de Suède (Extrême droite), qui a 49 sièges au Parlement suédois et qui “pèse” 14 % des voix. Un attentat suicide dans les rues de Stockholm était perçu avant tout par Brunell comme une opportunité politique. Ce tweet était sans doute une honte, mais ceux qui vont vouloir capitaliser sur cet attentat seront sans doute nombreux.

Jusqu’à présent, la plupart des dirigeants politiques ont évité de tirer des conclusions politiques hâtives de l’attentat. Combien de temps cela peut-il durer ? Tout comme l’auteur de l’attentat de Berlin, Anis Amri – un Tunisien qui avait demandé l’asile en Allemagne – le suspect dans ce dernier attentat, l’Ouzbek Rakhmat Akilov, était sous le coup d’une procédure d’expulsion. Il avait demandé un permis de séjour le 10 novembre 2014. Sa demande avait été rejetée le 15 juin 2016 et depuis il avait fait perdre ses traces. Le débat sur l’inefficacité de la mise en œuvre des ordonnances d’expulsion vient tout juste de commencer.

Les prochaines législatives sont prévues pour cet automne, mais déjà aujourd’hui, les Démocrates de Suède exercent une influence considérable sur la politique suédoise – tout comme les partis semblables dans d’autres pays – car les autres partis tendent à adopter en partie leur agenda, dans l’espoir de récupérer quelques-uns des électeurs perdus. Il n’y a pas si longtemps, la Suède avait reçu – et de loin – plus de réfugiés que tous les autres pays de l’Union européenne. Aujourd’hui, la Suède a une des lois sur l’immigration et le droit d’asile les plus restrictives – et elles ont été introduites par le gouvernement actuel de coalition entre les Sociaux-démocrates et les Verts.

L’attentat de Drottninggatan à Stockholm va-t-il changer la Suède ? Oui, probablement. Mais pas autant que certains veulent le croire. Car le changement auquel ils songent a déjà commencé.

L’image de la Suède va-t-elle changer ? Peut-être. Il serait grand temps.

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