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Le silence meurtrier de l’Europe sur les drones armés

Au moment où les Etats membres de l’UE s’empressent d’armer leurs drones, les ong et le Parlement européen se mobilisent pour exiger un cadre légal qui établisse principes et responsabilités de leur utilisation afin de protéger les civils contre les “dommages collatéraux” qu’ls provoquent inévitablement.

Publié le 23 septembre 2018 à 20:23

La révélation récente de la présence d’une base de drones au Niger a de nouveau mis le programme américain d’assassinats sous les feux de la rampe internationale. Le rétropédalage du président Trump après les avancées timides effectuées par son prédécesseur Barack Obama sur la transparence et la responsabilité conduit à s’inquiéter encore davantage pour les années à venir.

Avec les conflits qui se profilent à l’horizon, il est primordial que les États membres de l’UE et l’Union européenne elle-même s’expriment sur ces politiques meurtrières et repoussent les nouvelles tentatives de saper les principes juridiques internationaux et de la dignité humaine à travers le programme d’assassinats par drones.

Une résolution adoptée le 12 septembre par le Parlement européen montre clairement que l’UE peut jouer un rôle dans ce dossier. Ce texte lançait un appel au Conseil de l’UE visant à "veiller à ce que l’utilisation de drones armés soit conforme aux obligations qui leur incombent en vertu du droit international, y compris le droit international relatifs aux  droits de l’homme et le droit international humanitaire, et à ce que soient établies des normes strictes et contraignantes régissant la prestation de toute forme d’assistance à des opérations impliquant l’utilisation de drones tueurs".

Certes, il s’agit d’un appel opportun, car le développement et l’utilisation des drones armés en Europe se répandent rapidement. La France est en train d’armer son drone américain MQ-9 Reaper, les Pays-Bas et la Belgique viennent d’annoncer leur achat de Reapers américains "armables", tandis que l’Allemagne choisit de louer des drones Heron TP israéliens. Parallèlement, un consortium européen fabricant d’armes cherche également à augmenter les investissements dans la défense pour développer ses propres drones militaires.

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Alors que les drones tueurs montent en force, on peut difficilement s’attendre à ce que le programme secret américain de développement des drones, largement critiqué, soit stoppé. L’administration Obama a fait de timides avancées pour accroître la transparence, mais, fait inquiétant, le président actuel, Donald Trump, a très vite fait un pas en arrière et a intensifié les éliminations d’ennemis à distance à l’aide de drones armés au Yémen, en Somalie et au Pakistan.

On s’attend à ce que davantage de drones américains et français survolent les plaines africaines dans le Sahel où la "guerre contre le terrorisme" prend de l’ampleur. Pourtant, aucune politique et aucun système de restrictions cohérents n’ont été mis en place. Cette situation peut s’avérer dramatique pour les populations ciblées par ces missiles, américains en général, lancés par les drones qui ont fait des centaines de victimes parmi les civils et davantage de blessés encore.

Pourquoi la voix de l’Europe doit-elle se faire entendre ? Le besoin urgent de maintenir un cadre juridique solide et le respect des droits de l’homme nécessaires à la préservationes principes sur lesquels repose l’Union européenne résident au cœur des discussions entre Européens sur les drones tueurs.

Les opérations utilisant une force meurtrière à distance, coïncidant avec l’intensification de la riposte anti-terroriste internationale, ont ouvert la voie à des pratiques mortelles qui risquent d’éroder les garanties établies de longue date concernant la vie et la dignité humaines. Les communautés touchées par les frappes de drones luttent pour la justice et leurs appels au secours ont été largement passés sous silence par la communauté internationale, alors que le programme américain d’assassinats ciblés en expansion risque de servir d’exemple pour les autres pays.

L’Union européenne a indiqué qu’elle attachera plus d’attention à la lutte contre le terrorisme et à la sécurité dans le cadre de sa politique étrangère en coopérant avec les États dans lesquels des groupes armés sont actifs et en partageant les informations sur les réfugiés qui arrivent en Europe. Parallèlement, des membres de l’Union européenne tels que la France participent à des opérations de l’ONU ou des opérations militaires afin de combattre les groupes armés et les terroristes contre lesquels seront bientôt utilisés des drones armés. D’autres États ont sans doute contribué à ces pratiques en partageant des informations ou en accueillant des bases américaines desquelles décollent les drones de combat.

Comme les actions antiterroristes prennent de l’ampleur dans les pays européens, il est urgent de définir clairement l’interprétation du droit international en vigueur qui établit des normes intemporelles de protection du droit à la vie et qui limite le recours à la force. Pour cela, il est nécessaire de garantir une plus grande transparence des opérations militaires menées et un contrôle du partage d’informations avec des tiers qui pourraient en profiter pour des assassinats ciblés clandestins. Une plus grande transparence renforce la responsabilité de l’État en ce qui concerne l’utilisation de la force létale, ce qui est nécessaire pour maintenir la garantie de légitimité des opérations militaires.

Dans un monde où le secret, les mensonges et la désinformation tendent à dominer les discussions politiques, les États membres devraient prendre position en faveur des principes des démocraties libérales fondées sur les droits de l’homme. Enfin, comme le développement des technologies militaires est nécessaire, notamment  celles concernant les drones armés (de combat) et d’autres systèmes sans pilote, l’Union européenne devrait veiller à ce que le contrôle des exportations de ces systèmes soit adéquat et passe par une évaluation appropriée des risques ainsi que par des limitations d’exportations vers des pays qui pourraient en faire mauvais usage.

Mais ni l’appel du Parlement européen à s’engager avec la Commission européenne par le biais d’une résolution forte et un projet de position commune sur les drones armés, ni les nouvelles tentatives des Verts visant à associer le Fonds européen de la défense à la formulation d’un cadre juridique, n’ont permis d’enregistrer des progrès substantiels dans la formulation claire de limites.

Suite àune étude de l’Organisation des nations unies financée par l’Allemagne et les Pas-Bas, cette organisation a été appelée à adopter une résolution qui mènerait à "l’établissement d’un mandat relatif au travail sur l’amélioration de la transparence, de la responsabilité et du contrôle des drones dans tous leurs aspects". Un tel processus international doit en effet être amorcé de toute urgence pour aborder la menace de guerres impliquant des drones avant que la pratique ne prenne trop d’avance sur la politique.

Si l’Union européenne ou les États membres aspirent à jouer un rôle clé dans un monde qui a clairement besoin de lignes directrices en la matière, alors le moment est venu. Le moment d’écouter les communautés décimées par la réalité de la guerre des drones. Le moment de limiter l’utilisation de la force létale dans des opérations militaires démesurées à l’étranger. Le moment d’adopter une position de principe sur la protection de la vie et de la dignité des êtres humains face à la terreur, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Le moment de relever les défis posés par le développement et la prolifération des nouvelles technologies militaires sans pilote qui risquent de porter atteinte à la paix, à la sécurité, à la stabilité et aux droits de l’homme.

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