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Pourquoi les Italiens n’en peuvent plus de l’Europe

La montée au gouvernement de forces eurosceptiques est la conséquence des politiques d’austérité menées au nom de l’assainissement des comptes publics et des critères de convergence de l’euro.

Publié le 11 juin 2018 à 22:29

Ce sont désormais deux forces très eurosceptiques qui dirigent l’Italie. D’un côté le Mouvement 5 Etoiles, le parti antisystème de Luigi De Maio créé par l’humoriste Beppe Grillo. De l’autre le parti xénophobe d’extrême droite de la Ligue du Nord, dirigé par Matteo Salvini. Comment en est-on arrivé là ? Comment l’un des six pays fondateurs de l’Union européenne, celui du Traité de Rome de 1957, et très longtemps le pays le plus europhile, en est-il venu à donner une majorité à des forces politiques si hostiles à l’intégration européenne ?  

La question migratoire a bien sûr joué un rôle important. L’incapacité des pays européens à montrer la moindre solidarité à l’égard des pays qui, comme l’Italie et la Grèce, se trouvent en première ligne pour accueillir les migrants, a bien entendu dopé l’euroscepticisme. Sur ce terrain, Manuel Valls comme Emmanuel Macron portent une lourde responsabilité du fait de leur refus obstiné de voir la France prendre sa part légitime de l’accueil des migrants arrivés en Italie. 

Mais l’économie a joué elle aussi un rôle non négligeable, et notamment les politiques d’austérité imposées dans la zone euro depuis le Traité de Maastricht de 1992. Certes, une part importante des difficultés de l’Italie ont une origine interne très ancienne, liée notamment à la faible efficacité de l’appareil d’Etat et à la corruption de nombreux secteurs de la société par la mafia. Il n’en reste pas moins que les politiques économiques imposées en Europe, et particulièrement dans la zone euro, ont empêché le pays de régler ses problèmes structurels. 

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Il faut tout d’abord bien mesurer que depuis plus d’un quart de siècle maintenant, tous les gouvernements italiens successifs ont mené de strictes politiques d’austérité budgétaire. Plus strictes même que celles menées par les gouvernements allemands sur la même période.

On s’en rend compte en suivant ce qu’on appelle le solde primaire des dépenses publiques, c’est-à-dire celui qui résulte de l’ensemble des dépenses hors intérêts sur la dette publique dont on retire l’ensemble des recettes. Le solde primaire italien a quasiment toujours été positif depuis le début des années 1990 et à des niveaux élevés. Même en 2009, au pire moment de la crise, il n’a été que très légèrement négatif, alors qu’il plongeait partout en Europe.

Si les Italiens rencontrent de très graves difficultés, avec un niveau insupportable de dette publique (132 % du PIB actuellement), ce n’est donc pas à cause d’un laxisme budgétaire particulier. C’est au contraire parce que cette austérité budgétaire permanente a freiné l’activité économique et gêné la réforme de l’Etat pour le rendre plus efficace et performant du fait d’une pression excessive à la baisse des dépenses.

Du coup, la faiblesse de la croissance du PIB combinée à une inflation trop basse en Italie comme dans l’ensemble de la zone euro, n’ont pas permis de faire reculer le niveau d’endettement malgré les excédents primaires. 

De plus, dans les suites de la crise de 2008-2009, les Italiens ont été aussi des élèves modèles des politiques d’austérité prônées par Angela Merkel et Wolfgang Schäuble depuis 2010. Alors que le début des années 2000 avait creusé un déficit non négligeable dans les comptes extérieurs du pays (-3,4 points de PIB en 2010), les Italiens se sont très fortement serré la ceinture depuis, restreignant leur consommation. Et leur économie dégageait l’an dernier un excédent de 2,8 points de PIB, contrairement à la France qui avait toujours l’an dernier un déficit extérieur de 3 points de PIB. 

Cette très forte austérité prolongée a empêché le chômage de reculer sensiblement en Italie malgré le bas prix du pétrole et la politique monétaire très expansive de la Banque centrale européenne. La situation des jeunes Italiens reste en particulier une des plus difficiles en Europe, ce qui explique qu’ils quittent le pays en masse, empêchant ainsi d’envisager un redressement futur faute de main-d’œuvre jeune et qualifiée. 

Bref, contrairement aux légendes qui circulent, notamment en Allemagne, si les Italiens ne s’en sortent pas ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas été suffisamment austères, c’est au contraire parce qu’ils ont été trop loin dans cette voie. Et dans ces conditions, il n’est pas surprenant qu’ils finissent par chercher à s’affranchir de ce carcan qui les étouffe, même si c’est en faisant appel – malheureusement – à des forces politiques inquiétantes à de nombreux égards pour l’avenir de l’Italie et de l’Europe.   

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