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Il n’y a absolument aucune raison pour que la Hongrie figure parmi les pays à suivre lors des élections européennes à venir. Sa population représente 1,92 % de l’Union et sa contribution économique au PIB européen plafonne à 0,8 %. Pourtant, le pays boxe très largement au-dessus de sa catégorie en influençant largement les orientations politiques.

Publié le 12 mai 2019 à 09:00
Miguel Ángel García  | Budapest.

La seule chose qui fasse sortir la Hongrie de sa position marginale, c’est le danger mortel qui émane de l’ancien couvent des Carmélites donnant sur Budapest. Viktor Orbán vient d’y installer ses bureaux de Premier ministre, non sans avoir pris le soin au préalable de commander un spacieux balcon qui lui permet de surplomber le sublime (mais trop paisible) Danube et le superbe (mais trop timoré) parlement.

Derrière les murs d’une blancheur trompeuse de son couvent dressé au-dessus de la ville, Orbán œuvre au renversement de l’histoire. Son grand projet est une Europe des nations à l’image de ce qu’elle était au 19e siècle et au début du 20e, même s’il n’ignore pas comment cette époque formidable s’est terminée. Peu lui importe. Il ressort le vieux trope goebbelsien du juif manipulateur tirant les ficelles, utilisant ici l’image d’un rescapé de l’Holocauste (George Soros, natif de Hongrie), un sourire maléfique aux lèvres, accompagné de ce slogan : "Ne laissez pas Soros ricaner le dernier !" L’antisémitisme et l’incitation à la haine sont des méthodes qui ont fait leurs preuves et Orbán ne connaît aucune barrière morale.

Comment se fait-il que l’électorat hongrois tolère une telle situation ? La réponse est triple. Economiquement parlant, le pays vit une décennie relativement prospère et beaucoup de familles sentent une amélioration malgré des écarts de salaires records et des histoires ahurissantes, comme celle de l’ami d’enfance d’Orbán, Lőrincz Mészáros, simple employé du gaz qui, entre 2010 et aujourd’hui, a quitté l’anonymat le plus complet pour devenir la 2 057e fortune du globe. Les salaires sont à la hausse, le chômage à la baisse, et près d’un demi-million de personnes, des jeunes diplômés pour la plupart, sont partis s’installer dans d’autres pays européens. Bruxelles verse plus de 4 milliards d’euros par an à la Hongrie, ajoutant 3 ou 4 % au revenu national brut. Les Hongrois employés par l’UE rapatrient à peu près la même somme au pays. Sans ces revenus, Orbán n’aurait pas un sou vaillant pour aider les classes moyennes et financer ses projets fétiches, notamment la construction de stades de foot.

La deuxième grande raison qui explique que près de la moitié des Hongrois continuent de soutenir le régime est la peur. La peur du changement, et plus précisément la peur d’une deuxième vague d’immigration massive semblable à celle de 2015. Le gouvernement d’Orbán mène pour la cinquième année consécutive une virulente campagne anti-migrants, financée sur le budget de l’Etat, et dont le parti d’Orbán récolte les fruits dans les urnes. Malin, mais ce n’est pas tout. Les campagnes d’incitation à la haine, qui coûtent plusieurs millions d’euros au contribuable hongrois – et européen – servent aussi à financer l’autre trouvaille diabolique d’Orbán, l’empire médiatique de droite (quoique quasiment mort-né) dont il se sert pour traîner dans la boue quiconque croise son chemin.

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En plus d’occuper, de centraliser et de censurer l’ancien service public, il a regroupé près de 500 médias privés de droite au sein d’une "fondation". À de rares exceptions près, c’est donc un même organe centralisé qui rédige les informations que recracheront ensuite toutes les stations de radio et chaînes de télévision. Imaginez un bistrot de village où des gens sirotent une bière en regardant le foot à la télé – mettons la Coupe du monde, la Ligue des champions ou le Championnat de Hongrie. À la mi-temps, il y aura un flash d’actualités d’une minute découpé en quatre segments de 15 secondes : le premier sur un migrant musulman qui a poignardé une adolescente en France, le deuxième montrant des milliers de migrants dans un camp, quelque part dans les Balkans, attendant leur chance de passer en Europe, le troisième sur les bureaucrates de Bruxelles qui s’associent à Georges Soros pour réinstaller en Europe des millions de gens de couleur à la mine patibulaire, et le dernier segment mettant en scène la Hongrie, un pays où règnent la paix et la prospérité, où un ministre coupe le ruban d’un nouvel abattoir ou – mieux encore – d’une église restaurée. Ne voteriez-vous pas vous-même pour Orbán ?

Ajoutez à tout cela des règles électorales faussées favorisant le parti au pouvoir, neuf années de redistribution sans vergogne des fonds publics à une coterie de proches parents et amis, des manipulations à répétition visant à semer la zizanie parmi les partis de l’opposition, et vous obtenez une situation clairement désespérante dans un pays déjà réputé pour le pessimisme de ses habitants.

Eh bien, peut-être pas. Car les Hongrois iront voter deux fois cette année : une première pour les Européennes, une seconde pour les municipales. S’il y a des chances pour que les partis de l’opposition se présentent en ordre dispersé en mai, certains signes laissent présager une forme de coordination à l’automne. Les électeurs européens peuvent les aider en soutenant une communauté plus forte, fondée non seulement sur la prospérité, mais aussi sur des valeurs et des principes. Les Hongrois pourront alors tenter de s’extraire eux-mêmes du marigot, à la force du poignet.

Mais il existe encore une manière par laquelle l’Europe pourrait apporter son concours, et c’est en envoyant des observateurs électoraux. Car ce bonhomme-là est un tricheur.

La version française de cet article est publiée en partenariat avec Alternatives Economiques

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