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L’équilibre entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles résistera-t-il aux européennes ?

A l'approche des élections européennes du 23 au 26 mai, nous avons demandé à 27 journalistes et chroniqueurs d'autant de pays européens d'expliquer quel était le principal enjeu de la campagne électorale dans leur pays. Série produite en collaboration avec 27 journaux européens, dont Alternatives Economiques pour la France et Internazionale pour l'Italie.

Publié le 11 mai 2019 à 11:09

"Nous avons réveillé l'Europe, je me sens fier parce que nous avons permis à l'Italie de retrouver sa dignité." En prononçant ces mots, le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, assis dans un fauteuil en cuir blanc sur le plateau d'une des émissions de télévision les plus populaires en Italie, lançait sa campagne pour les élections européennes de fin mai en évoquant une image qu'il a souvent utilisée au cours des derniers mois : celle d'un homme tapant du poing sur la table à Bruxelles.

Le thème de l'immigration est au cœur du programme du nouveau gouvernement italien, né en 2018 d'une coalition entre le Mouvement 5 étoiles ( "M5S", parti dit antisystème) et la Ligue (droite populiste), le parti de Salvini. Le gouvernement n'a eu de cesse d'accuser l'Europe d'avoir "laissé l'Italie seule" face à la crise migratoire, justifiant ainsi l'adoption de politiques de dissuasion totale, comme la fermeture des ports aux navires humanitaires portant secours aux migrants qui fuient la Libye. À la télévision, Salvini poursuivait en ces termes : "Ils pensaient que l’Italie allait tout avaler et payer pour tout le monde, mais ils ont compris maintenant que l'Italie a un gouvernement, avec des gens normaux, sérieux, de bon sens. Soit on s'attaque ensemble à ce problème, soit l’Italie ne laissera entrer que les personnes munies d'une autorisation."

À quelques semaines à peine des élections européennes, le contenu des programmes électoraux et le profil des candidats au Parlement de Strasbourg sont très peu évoqués. Les deux partis gouvernementaux, la Ligue et M5S, ne parlent de l'Europe qu'en des termes hostiles et génériques, en la considérant comme un épouvantail. À leurs yeux, les prochaines élections constituent un banc d'essai pour mesurer leur popularité et l'équilibre interne de la coalition. Il ressort d'ailleurs des derniers sondages que la Ligue (entrée au gouvernement après n'avoir recueilli que 17 % aux élections de mars 2018) récolterait plus de 30 % des voix, alors que le Mouvement 5 étoiles, arrivé en tête en mars 2018, perdrait près de 10 %.

Si le résultat des élections européennes devait confirmer ces prévisions favorables aux partis de centre-droit, avec la Ligue en tête, la formation de Matteo Salvini pourrait être tentée de déclencher une crise gouvernementale et de convoquer de nouvelles élections afin d'essayer de former un gouvernement de coalition avec les partis de centre-droit : Forza Italia (le parti de Silvio Berlusconi) et Fratelli d'Italia (droite nationaliste).

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La campagne pour les élections européennes s'avère donc être une confrontation entre deux partis qui luttent pour la suprématie au sein du gouvernement. Une confrontation qui s'opère pourtant sans effusion de sang. Sur la question de l'immigration, par exemple, le Mouvement 5 étoiles affiche une attitude plus ouverte et opposée aux positions xénophobes de la Ligue, dans un effort de reconquête d'une partie de son électorat issu de la gauche. En mars dernier, lorsqu'un chauffeur de bus scolaire d'origine sénégalaise a pris en otage et menacé de tuer des collégiens d'un établissement de San Donato Milanese, dans la banlieue de Milan, Salvini a aussitôt promis de retirer la citoyenneté à la personne incriminée, en vertu de la loi adoptée fin novembre 2018 qui porte son nom.

Salvini avait également déclaré qu'il accorderait la citoyenneté italienne à Ramy, un garçon de 13 ans né en Italie de parents étrangers, qui avait réussi à déjouer la tentative d'attaque avec ses compagnons. Mais le ministre s'est ravisé quelques jours plus tard, invoquant le fait que le père de Ramy avait un casier judiciaire, ce qui rendait impossible l'octroi de la citoyenneté au jeune homme. En revanche, le Mouvement 5 étoiles et son chef de file, Luigi Di Maio, vice-premier ministre et ministre du Travail, ont insisté pour que la citoyenneté italienne lui soit accordée en récompense à son intervention, comme la loi le préconise.

L'égalité entre les hommes et les femmes est un autre thème autour duquel le Mouvement 5 étoiles souhaite prendre ses distances vis-à-vis de son partenaire de coalition. Di Maio a ainsi critiqué le Congrès mondial des familles, qui s'est tenu fin mars à Vérone. Or ce congrès, qui rassemble des associations et mouvements pro-vie et anti-avortement, a reçu le parrainage de Lorenzo Fontana, ministre de la Famille de la Ligue, et a pu compter sur la présence de Salvini. Di Maio n'a pas hésité à qualifier les participants au congrès de « ratés », en les accusant de vouloir retourner au Moyen- ge.

Cela étant, de nombreux observateurs font valoir que les deux partis, bien qu'ils affichent souvent un désaccord de façade, ont gouverné jusqu'à présent sans conflit et sans porter atteinte à la stabilité de leur coalition, une coalition qui repose sur un véritable "contrat de gouvernement". À titre d'exemple, lorsque la justice italienne a demandé au sénat l'autorisation de poursuivre Matteo Salvini, accusé d’enlèvement pour avoir empêché le débarquement de 177 personnes secourues fin août 2018 par le navire des gardes-côtes italiens Ubaldo Diciotti, les sénateurs du Mouvement 5 étoiles ont refusé cette autorisation afin de protéger le ministre de l'Intérieur. Cette décision est pourtant contraire aux principes d'un parti construit sur le rejet de l'establishment et la lutte contre la corruption et l'immunité des membres du parlement, considérée comme un privilège.

De même, bien que plusieurs voix se soient élevées dans leurs rangs contre le décret-loi « Salvini » sur l'immigration et la sécurité, les députés de ce mouvement ont retiré tous les amendements de ce décret, qu'ils ont soutenu. Les querelles constantes entre les deux partis du gouvernement, qui n'entraînent cependant aucune fracture réelle, ont mené à une impasse, particulièrement sur les questions européennes et internationales. Il semblerait que tous deux attendent de voir comment évoluera l'équilibre au sein du Parlement européen et des institutions communautaires avant de prendre toute décision.

C'est dans ce sens qu'il faut interpréter, par exemple, la décision de prolonger de six mois la mission navale « Sophia », mise en place en 2015 par la Commission européenne afin de lutter contre la traite des êtres humains. Après de nombreuses polémiques, cette mission a donc été prolongée dans l'attente des prochaines élections, mais sans qu'aucun navire ne soit mis à la disposition de la mission, ce qui empêche la réalisation d'opérations de secours en Méditerranée. Le seul parti maintenant une approche positive vis-à-vis de l'Europe – outre le parti radical-libéral +Europa, naturellement – est le Parti démocrate (PD), qui a élu récemment son secrétaire suite à un congrès et des primaires. Ce parti a également décidé d'inclure la mention "Siamo europei" (Nous sommes européens) dans le logo qui sera présenté avec la liste du PD, afin de mettre en avant les aspects positifs de l'Union européenne.

Suite à l'élection du nouveau secrétaire, Nicola Zingaretti, les sondages ont indiqué une hausse des intentions de vote pour le PD, sans espérer toutefois représenter une alternative au centre-droit. Certains analystes ont néanmoins fait remarquer que le PD aurait dû être plus critique à l'égard de la structure actuelle de l’Union européenne et demander une refonte de ses institutions de sorte à capter le mécontentement de nombreux citoyens. Par conséquent, beaucoup d’électeurs décideront de ne pas voter le 26 mai car ils se sentent abandonnés et se distancieront non seulement de la politique nationale, mais encore plus de la politique européenne.

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