Idées Présidence roumaine de l’UE
Durant la cérémonie d'ouverture de la présidence roumaine de l'UE, le 10 janvier 2019, à Bucarest.

Une occasion déjà manquée par Bucarest ?

Les conflits politiques internes et l’absence de priorités claires risquent de marquer le mandat de la Roumanie à la tête du Conseil de l’Union européenne, note un politologue à Bucarest.

Publié le 12 janvier 2019 à 00:07
RO2019EU | Flickr  | Durant la cérémonie d'ouverture de la présidence roumaine de l'UE, le 10 janvier 2019, à Bucarest.

Depuis le 1er janvier, la Roumanie exerce pour la première fois la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Beaucoup a déjà été dit sur le sujet, mais sans que soit vraiment abordé le coeur du problème. Premièrement, notons que le fait d’assumer cette responsabilité ne garantit pas une meilleure affirmation d’un pays sur le plan culturel. Il est vrai que le pays organisera davantage de réunions au niveau ministériel ainsi qu’avec des experts, mais davantage d’événements culturels à Bruxelles ne permettra pas vraiment de mieux faire connaître la Roumanie.

Malheureusement, même si on ne connaît toujours pas le programme exact de la présidence roumaine, il semble que ce soit bien ce type de promotion qui ait été choisi. Ce serait beaucoup plus efficace si on se préoccupait plus du contenu des discussions ministérielles qui auront lieu en Roumanie. Le fait qu’un sommet du Conseil européen se tienne à Sibiu est une très bonne décision, du point de vue de la promotion du pays. Mais il est tout à fait possible qu’une telle réunion soit boycottée par l’actuel gouvernement à cause des divergences politiques avec le président de la République, Klaus Iohannis.

Le sommet organisé par la présidence de l’Autriche à Salzburg, dédié exclusivement au Brexit, a été un désastre organisationnel. Pareil pour ceux organisés par la Slovaquie ou la Bulgarie. Et la presse européenne ne pardonnera pas non plus à Bucarest les fautes commises sur le plan de l’organisation. Mais celles-ci pourraient bien passer au second plan dans le cas de la Roumanie, car les attentes ne sont pas très grandes : en effet, il est très difficile d’organiser les réunions dans le cadre d’une présidence et cet aspect est bien connu à Bruxelles.

Le problème principal est plutôt lié aux priorités de la présidence de la Roumanie. Depuis le début, cette présidence aura été, est et sera celle de l’absence de priorités. Il serait peut être plus indiqué que ce vice soit présenté comme une vertu (“on n’a pas de priorités, notre priorité c’est l’Europe”), au lieu de formuler vaguement des priorités dans une parfaite langue de bois. Malte a eu comme priorité les migrants en Méditerranée et la solution au conflit en Libye. La Bulgarie s’est concentrée sur les Balkans occidentaux. La Roumanie aurait pu présenter comme priorité la relation de l’UE avec le Partenariat oriental, en mettant l’accent sur la Moldavie. Ou elle aurait pu assumer comme priorité l’élargissement de l’UE dans les Balkans occidentaux.

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La récente visite à Belgrade du ministre des Affaires étrangères roumain indique un pas dans cette direction, et mérite d’être saluée pour cela – mais il semble être trop tard et la substance semble manquer. La Roumanie aurait dû insister publiquement sur la poursuite de l’élargissement de l’UE aussi après les élections européennes de fin mai et sur la création d’une position distincte pour cet objectif au niveau de la Commission européenne, or ce positionnement clé est complètement absent du vocabulaire diplomatique de Bucarest. Mais, avant tout, la Roumanie aurait pu fixer comme priorité absolue la consolidation des mécanismes démocratiques, de l’Etat de droit et de la protection des droits humains au niveau européen.

Il existe plusieurs projets en ce sens, mais il manque justement une coordination au niveau de l’UE. Et cela vient s’ajouter à la longue série de priorités de cette présidence qui font déjà défaut. Manifestement, dans l’actuel contexte où même le gouvernement roumain sape l’Etat de droit à Bucarest, il est impossible d’imaginer une telle hypothèse. Ne pas avoir cette priorité plonge la Roumanie dans une situation compliquée pendant les six mois de présidence de l’UE. La situation de la Hongrie et de la Pologne, pays pour lesquels l’application du mécanisme de protection de l’Etat de droit est en cours, sera à coup sûr analysé lors des réunions des ministres de la Justice et des Affaires intérieures.

La Roumanie n’a pas une position claire envers le non-respect de l’Etat de droit dans ces deux pays. Concernant la Hongrie, il n’y a aucune position – probablement à cause du soutien nécessaire de l’UDMR (Union démocrate magyare de Roumanie) à l’actuelle coalition de gouvernement, même si une position plus tranchante de Bucarest sur ce thème n’aurait pas mené à des réactions trop négatives de la part de cette formation. Concernant la Pologne, il n’y a que la position de principe exprimée par le ministère des Affaires étrangères, ainsi que par le Président Iohannis - selon laquelle il n’y a pas besoin de sanctions mais qu’il est tout de même bien de respecter l’Etat de droit. Du coup, les ministres roumains se présenteront aux réunions avec leurs homologues sans agenda clair.

Pendant les six mois pendant lesquels la Roumanie excercera la présidence du Conseil de l’UE, le Brexit est le principal problème auquel l’UE sera confronté. La perspective d’un no-deal Brexit est chaque jour plus probable. Le Royaume-Uni ne pourra renégocier les fondements d’un accord avec l’UE que dans l’hypothèse où il organise un deuxième référendum. C’est la seule porte laissée entrouverte à Bruxelles pour de possibles nouvelles négociations après la date du 29 mars. Le sommet de Sibiu [prévu pour le 9 mai] sera crucial : soit on prendra acte d’un no-deal Brexit, soit on s’accordera sur un nouveau parcours au cas où la décision politique d’un nouveau référendum aura déjà été prise à Londres. Malheureusement, la Roumanie n’a pas une vision claire liée à la perspective d’un no-deal Brexit et ne pourra pas pousser les débats sur ce thème.

Pendant ces six mois, il y aura aussi des élections parlementaires en République de Moldavie (le 24 février). Les institutions européennes se sont déjà mobilisées sur la question de la démocratie vacillante dans cette ancienne république soviétique : en plus des recommandations de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, d’une mission commune avec l’OSCE, le président du Conseil européen et la Haute représentante pour la politique étrangère se sont déjà exprimés, ainsi que le Parlement européen. La question qui se pose est celle de savoir comment réagira la Roumanie à la prévisible condamnation des élections en Moldavie. Les prémisses sont très mauvaises : l’actuel gouvernement de Bucarest soutient officiellement le pouvoir de Chisinau, détenu par Vladimir Plahotniuc. La Roumanie devrait demander le respect des principes démocratiques lors de ces élections, mais elle ne pourra pas le faire, en raison des relations étroites entre le Parti sociale-démocrate (PSD, au pouvoir) et le régime oligarchique de Chisinau.

En poursuivant ce raisonnement, que passera-t-il au cas où l’UE déciderait des sanctions personnelles envers Plahotniuc et ceux qui le soutiennent, selon le modèle des sanctions déjà appliquées aux hauts responsables russes ? L’hypothèse selon laquelle, après le vote et suite au non-respect des recommandations de la Commission européenne et de celle de Venise, Bruxelles déciderait de bloquer les comptes des Plahotniuc détenus dans les banques de l’UE n’est pas fantaisiste. Le problème est que Plahotniuc, qui est aussi citoyen roumain, possède de nombreux actifs en Roumanie aussi. Comment procédera le gouvernement roumain au cas où une telle sanction serait à l’ordre du jour des réunions qu’il présidera ? En fin de comptes, aucune présidence n’a été épargnée jusqu’à présent par des crises politiques et par la difficulté du pays qui l’exerce de s’exprimer objectivement sur un sujet donné.

Le plus grand défi pour la présidence roumaine est ainsi le moment des élections au Parlement européen. La Roumanie aurait dû poursuivre depuis longtemps une stratégie de négociation afin d’occuper des postes clés dans les institutions européennes telles qu’elles sortiront de ces élections. Avec un parti PSD qui ne cache même pas son hostilité envers le candidat officiel du groupe des Sociaux et Démocrates européens (S&D) pour la présidence de la Commission européenne (Frans Timmermans) ; avec un autre parti (ALDE, libéraux) dont l’adhésion au groupe des Libéraux au Parlement européen après les élections est toujours mise en question ; avec une commissaire européenne (Corina Creţu) à couteaux tirés avec le gouvernement de Bucarest, les chances d’exploiter à son avantage la présidence de l’UE sont très réduites, de même que la possibilité de placer ses pions au sein des institutions. On peut affirmer que cette opportunité a été déjà gâchée.

Un autre grand handicap pour la présidence roumaine est la manière dont la presse occidentale parle d’elle. Le simple fait de mettre au premier plan quelques vérités, comme le fait que la première ministre Viorica Dăncilă est le pantin du leader de fait du PSD, le très controversé autant que populaire Liviu Dragnea – qui veut à tout prix échapper à une condamnation à la prison –, sape toute discussion sur l’agenda de la Roumanie pendant la présidence du Conseil de l’UE. Aucune stratégie de communication à Bucarest ne peut contrecarrer la réalité politique du pays. Le seul rayon d’espoir pour la présidence roumaine est donné par l’équipe qui la gère au niveau technique. A Bucarest, il y a une équipe professionnelle au ministère des Affaires européennes, très bien connectée à celle du ministère des Affaires étrangères. A Bruxelles, Luminiţa Odobescu (représentant permanent de la Roumanie à l’UE) reste très appréciée, comme beaucoup de membres de son équipe.

Le problème n’est pas de savoir si la Roumanie est préparée ou non pour cette présidence. Le problème de fond est de savoir si la Roumanie peut prouver qu’elle traite les problèmes de l’agenda de l’UE avec une perspective européenne et non strictement nationale et, aussi, si elle peut maximiser toutes les opportunités qui découlent d’une telle position pour atteindre des objectifs nationaux. De ce point de vue, la discussion n’a même pas commencé. Et il est possible qu’elle ne commence jamais.

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