Actualité Vaccination en Europe

A qui la faute si les épidémies sont en hausse ?

Dans la grande majorité des États membres, le taux de vaccination contre la rougeole est inférieur au taux recommandé par l'OMS. La religion peut en être l'une des causes principales.

Publié le 23 janvier 2019 à 10:36

L'an dernier, l'Europe a connu deux épidémies graves, la grippe et la rougeole, qui ont fait des centaines de victimes. Un bilan bien trop lourd qui aurait pu être évité.

Selon la Spanish Flu-Monitoring Organisation, ont été recensés en Espagne, au cours de la dernière campagne, "environ 700 000 cas légers et 52 000 cas nécessitant une hospitalisation, dont 14 000 ont été suivis de complications graves et 3 000 ont exigé des soins intensifs". Au total, 927 personnes sont décédées de la grippe au cours des douze derniers mois, soit deux fois plus que l'an dernier.

Parmi ces dernières, 49 % faisaient partie de groupes dont la vaccination était recommandée. Or, ces personnes n'ont jamais fait la démarche pour recevoir le vaccin.

En parallèle, bien que l'Espagne n'ait pas été le pays le plus affecté par cette épidémie de portée européenne, les cas de rougeole ont été multipliés par quatre en 2018. Cela révèle un manque de préparation évident, autrement dit une vaccination insuffisante. Il ressort des dernières données du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (CEPCM) que seuls six pays en Europe peuvent se vanter d'avoir 95 % de leur population vaccinée contre la rougeole, la rubéole et les oreillons : le Portugal, la Suède, la Croatie, l'Islande, la Hongrie et la Slovaquie.

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Pourquoi le taux d'immunité grégaire s'élève-t-il à 95 % et non pas à 100 % de la population ? Cette différence est due essentiellement aux cas de contre-indications à la vaccination, notamment chez les personnes allergiques aux vaccins. Néanmoins, d'autres collectifs commencent à refuser de se faire vacciner.

En Pologne, où une nouvelle épidémie s'est propagée début novembre, la vaccination est obligatoire. 34 000 refus de vaccins ont pourtant été recensés lors de la première moitié de cette année, soit deux fois plus que l'an dernier. Au cours des huit dernières années, 140 000 recours ont été déposés par des parents polonais afin que leur enfant ne soit pas vacciné.

L'exemple de la Pologne est éloquent mais n'est pas isolé. Les enquêtes sur la santé publique réalisées par la Commission européenne révèlent que la Pologne arrive presque toujours en queue de classement en ce qui concerne le niveau de confiance à l'égard des vaccins. Ainsi, à la question « sont-ils importants pour mon enfant ?", seuls 76 % des Polonais estiment qu'ils le sont, alors que la moyenne européenne s'élève à 90 %. Lorsque l'on demande si les vaccins sont sûrs, 72 % des Polonais seulement répondent par l'affirmative, contre 82 % en moyenne dans les autres pays européens. Enfin, concernant l'efficacité des vaccins, neuf Finlandais ou Portugais sur dix estiment qu'ils le sont sans aucun doute, alors qu'à peine sept Polonais sur dix pensent la même chose.

La raison principale de cette méfiance réside en fait dans une autre question de l'enquête : « Les vaccins sont-ils compatibles avec mes convictions religieuses ? ».

Les vaccins ne présentent aucun problème pour les Espagnols, puisqu'en 2016, 90 % d'entre eux répondaient par l'affirmative à cette question. Or, ce n'est pas du tout le cas en Pologne, où ce taux chute à 59 %, le niveau le plus bas de toute l'Union européenne. Quel en est la raison ?

Le facteur religieux entre en ligne de compte

Le 3 octobre dernier, une association polonaise appelée "Stop Nop" a présenté au Parlement polonais une pétition comportant 121 000 signatures afin que la vaccination cesse d'être obligatoire en Pologne. L'une des clauses de ce document exige que les fabricants fournissent des "informations sur les types de vaccins et d'indiquer ceux qui sont produits à partir de lignées cellulaires humaines résultant d'avortements".

Nous arrivons au nœud de la question. Des groupes religieux craignent en effet que certains vaccins puissent provenir de fœtus avortés, ce qui explique leur refus de la vaccination. De fait, aux Etats-Unis, où chaque État décide si la vaccination est obligatoire ou volontaire, de plus en plus de personnes, ces dernières années, demandent à être exemptées de vaccins en raison de leurs convictions religieuses, ce qui est possible dans 48 États sur 50.

En Oregon, une analyse réalisée cette année par le quotidien The Oregonian a démontré que deux écoles primaires sur trois se trouvaient sous le seuil d'immunité, c'est-à-dire que si ces écoles étaient affectées par la rougeole, il n'y aurait pas suffisamment d'enfants vaccinés pour pouvoir enrayer l'épidémie. Cette situation est due essentiellement à l'exemption de la vaccination pour des motifs religieux.

En 2005, le Vatican s'est vue contraint d'émettre un communiqué suite à une question posée en 2003 au cardinal Joseph Ratzinger par une citoyenne de Floride, Debra L. Vinnedge. En effet, cette dernière lui demandait s'il fallait vacciner les enfants compte tenu de l'origine controversée de certains vaccins. L'Académie pontificale pour la vie a alors étudié pendant deux ans les différentes preuves scientifiques disponibles. Elle en a conclu que les chrétiens ont la responsabilité de chercher des vaccins alternatifs à ceux qui leur posent des problèmes d'ordre moral et qu'en l'absence d'alternative, il leur est permis de recourir à ces vaccins dans les cas où la non vaccination représenterait un risque plus important.

"La raison morale réside dans le fait que le devoir d'éviter la coopération matérielle passive n'est pas obligatoire s'il existe un inconvénient majeur", pouvait-on lire dans le communiqué, publié ensuite dans la revue Medicina e Morale. "Dans ce cas, une raison proportionnelle justifie l'acceptation de ces vaccins face au risque de favoriser la propagation de l'agent pathologique suite à l'absence de vaccination des enfants".

Religieux et anti-vaccins

Bien que des facteurs tels que la guerre en Ukraine ou l'exclusion sociale des gitans en Grèce et en Roumanie expliquent pourquoi l'épidémie de rougeole, déclenchée début 2018, ait été l'une des plus virulentes de ces dernières années, le très faible taux de vaccination en Europe occidentale (principalement en France), n'est pas non plus étranger à cette situation.

Mais existe-t-il un lien entre les groupes anti-vaccins et les religieux à cet égard ? Une étude publiée en 2016 par le Croatian Medical Journala abordé cette question : "l'un des motifs présentés par les opposants à la vaccination repose sur des convictions religieuses", selon les auteurs. "Ces derniers temps, le mouvement anti-vaccins a pris de plus en plus d'ampleur au sein de monastères et d'églises, ainsi que via des vidéos auto-produites". Ainsi, une question de nature essentiellement médicale "est devenue un sujet de discussion entre les croyants".

La question ne concernait pas seulement les chrétiens. En 2008, le synode de l'Église orthodoxe russe s'est clairement opposé aux anti-vaccins, en indiquant que "la vaccination est un outil puissant de prévention de maladies infectieuses, dont certaines extrêmement dangereuses". "Dans certains cas, les inoculations entraînent des complications qui sont souvent liées au non-respect des règles de vaccination, notamment chez les enfants vulnérables".

Toutes les religions n'ont malheureusement pas les idées aussi claires et les anti-vaccins tendent à tirer avantage de la confusion ambiante. C'est ainsi, par exemple, que de nombreuses écoles anthroposophiques - fondées suivant un modèle de pensée inspiré de Rudolf Steiner et assez populaires en Europe centrale - établies aux Pays-Bas connaissentun taux de vaccination nettement inférieur à la moyenne du pays.

Dans certaines religions, la question de la vaccination a également soulevé des débats théologiques. À titre d'exemple, les musulmans n'ont pas le droit de manger des aliments haram. Seule la nourriture halal, c'est-à-dire celle autorisée par le Coran, est licite. C'est le cas notamment de la viande, qui doit être issue d'un abattage rituel. Étant donné que les vaccins contiennent souvent de la gélatine d'origine animale, cela posait problème chez de nombreux musulmans. La question a été résolue de façon générale en invoquant que les vaccins étaient étrangers à l'alimentation et qu'elles permettaient de protéger la vie, ce qui est conforme aux préceptes de prévention des dommages (izalat aldharar) et de protection de l'intérêt public (maslahat al ummah).

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