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David, bientôt expulsé de son pays d’origine ?

Né en France de parents d'origine congolaise et élevé à Bruxelles, David vit dans un cauchemar administratif et risque aujourd'hui d'être expulsé vers un pays où il n'a jamais mis les pieds et où il ne serait pas le bienvenu. Cet article est le troisième épisode de notre série de portraits de jeunes Européens sans papiers au temps du Covid-19, réalisée en association avec Lighthouse Reports et le Guardian.

Publié le 27 septembre 2020 à 08:01

Lorsque David* est entré dans le siège de l'Office des Etrangers belge pour demander l'asile, il a immédiatement senti qu'il n'était pas à sa place. J'ai regardé autour de moi et je me suis dit : “Ces gens ne parlent pas français, ils ont dû fuir leur pays, ils ont de bonnes raisons de demander une protection. On va se moquer de moi”. Les employés à l'accueil n'ont pas ri, mais ils lui ont lancé “un regard bizarre”, raconte David. “Quand ils ont entendu mon accent et vu mes cheveux teints en blond, ils ont eu l’air de se dire : ‘Qu’est-ce que tu fais ici, toi?’”

David raconte cette journée de l'année dernière avec un parfait accent bruxellois. Né dans la banlieue parisienne de parents d'origine congolaise, il est arrivé en Belgique alors qu'il était encore tout petit. Il est maintenant un jeune homme de 22 ans, mince, au sourire séduisant et aux grands yeux veloutés dont il est plutôt fier. Nous nous rencontrons près de chez lui, dans le quartier universitaire de Bruxelles, par un après-midi ensoleillé de la mi-avril. Sa tenue - un jean slim déchiré noir, un polo noir et deux écouteurs sans fil blancs - est soigneusement choisie : David rêve d’une carrière dans la mode. 

En janvier 2019, le même mois où il a demandé l'asile, la Belgique a reçu 2 765 demandes, principalement de Palestiniens, d'Afghans et de Syriens. Pourquoi David, qui a grandi à Bruxelles et n'a jamais mis les pieds hors de l'Union européenne, doit-il demander une protection internationale dans ce qu'il considère comme son pays d'origine ? Parce qu'il court un risque sérieux d'être expulsé vers la République démocratique du Congo, un pays que ses parents ont quitté lorsqu'ils étaient enfants, en suivant les traces de leurs propres parents réfugiés. 

La mère de David n'avait que dix-sept ans à sa naissance. Elle s'est rapidement séparée du père de David, qui n’a pas reconnu son fils. Quelques années plus tard, elle a quitté la France pour Bruxelles, où vivait le père de David. La jeune mère célibataire a confié son fils à sa grand-mère paternelle. “Ma mère voulait vivre sa vie, mon père était en prison à ce moment-là”, a déclaré David. “Mais j'ai eu une enfance heureuse. J'avais beaucoup de cousins, d'oncles et de tantes, j'avais mes amis à l'école. J’ignorais tout de mes problèmes d'immigration“.

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Droits limités

Selon les meilleures estimations, entre 100 000 et 150 000 personnes sans papiers vivent en Belgique. Personne ne semble savoir combien sont des mineurs, qui grandissent avec des droits limités. “Ils ont le droit à l'éducation”, déclare Melanie Zonderman de la Plate-forme Mineurs en exil, un réseau pour les droits des enfants migrants, “et, comme les adultes sans papiers, le droit à l’aide médicale urgente”.  Un point c'est tout. 

En Belgique, comme dans d'autres pays européens, les démarches menant au statut légal sont déroutantes et difficiles à comprendre, encore plus pour un mineur. Il est possible de demander un permis de séjour pour raisons humanitaires en vertu de l'article 9bis de la loi belge du 15 décembre 1980 sur les étrangers, mais l'octroi ou non de ce permis dépend d'une prise de décision opaque de la part de l’Office des Étrangers, qui n'explique pas ses critères. La procédure peut prendre des années, coûte 358 euros pour les adultes (c'est gratuit pour les enfants) et, entre-temps, les mineurs risquent d'être expulsés. 

La situation de David était complexe. Sa meilleure option semblait être le regroupement familial avec un parent vivant légalement dans le pays. Mais sa mère, qui a souffert de maladie mentale et de toxicomanie, n'a pas renouvelé son permis de séjour. Son père, qui a été libéré de prison lorsque David avait environ 10 ans, ne l'avait toujours pas reconnu comme son fils.

À l'approche du 18ème anniversaire de David, son père a finalement accepté de faire un test de paternité par ADN. À 16 ans, David a reçu un permis de cinq ans basé sur le regroupement avec son père. Deux ans plus tard, il a été informé qu'il y avait eu une erreur : étant l'enfant d'un réfugié, et non d'un citoyen belge, il n'avait droit qu'à un permis d'un an renouvelable, qui deviendrait permanent après cinq ans. Ce fut un coup dur pour David, mais il s'est dit qu'il devait juste tenir quelques années de plus. 

Puis il a fait quelque chose qui a tout gâché : son coming out. “Quand mon père est sorti de prison, il s'est vite rendu compte que je n'étais pas le fils de ses rêves”, raconte David. “J'ai toujours été efféminé. Il a commencé à faire des commentaires : ‘Pourquoi est-ce qu’il est comme ça, pourquoi est-ce qu’il danse comme une fille ?’ Et je me suis dit : ‘Je ne te connais même pas, et tu veux me changer... Je n'aime pas ça’”. Pendant son adolescence, David a eu l'impression d'avoir une double personnalité : “À l'école, j'étais extraverti, sociable et de bonne humeur, alors qu'à la maison, j'étais silencieux, presque aigri.

Un jour de janvier 2018, “je me disputais au téléphone avec mon père, et je lui ai lâché d’un coup : ‘Et d’ailleurs je suis homosexuel!’ Il a coupé l’appel. J'ai envoyé un message groupé pour informer toute ma famille et j'ai commencé à faire mes valises”.  Dans les mois qui ont suivi, David s'est senti soulagé (“J'allais maquillé à l'école”, me dit-il). Mais le mois d'octobre est arrivé, et il a dû renouveler son permis de séjour. Parmi les critères, le père de David devait habiter avec son fils et avoir un revenu “stable, régulier et suffisant”. “Quand l’employé de la commune m'a demandé la fiche de paie de mon père, j'ai compris ma situation”, dit-il. “Je lui ai dit que je ne parlais même plus à mon père.” David est devenu sans-papiers, une fois de plus.

Critères opaques

Il a essayé de demander un permis sur la base de l'article 9bis, mais son avocat pro bono n’était finalement pas si pro bono que ça : “Il n'arrêtait pas de me demander de l'argent.” L'absence de critères transparents a également rendu cette voie risquée. David s'est rendu en France, son pays de naissance, pour voir s'il pouvait y obtenir des papiers, mais il n'était pas éligible en vertu de la loi française sur la nationalité.  

Jusqu'à récemment, beaucoup de familles avec enfants étaient rejetées pour le "9bis" ou l'asile, explique Selma Benkhelifa, avocate et militante bien connue et membre du réseau Progress Lawyers : “Les mineurs n'étaient même pas mentionnés dans ces décisions. Ils étaient littéralement traités comme un bagage de leurs parents”. Les avocats ont donc commencé à introduire des demandes d'asile séparées pour les enfants, en faisant valoir que la réintégration dans des pays qu'ils connaissaient à peine, après avoir passé leur enfance ou leur adolescence en Belgique, serait non seulement impossible, mais les exposerait à de graves risques.

Sur les conseils de Benkhelifa, David a décidé de demander l'asile, en se basant sur la persécution à laquelle il serait confronté en RDC en raison de sa sexualité. Robin Bronlet, un collègue de Benkhelifa, est optimiste quant au cas de David. Mais il souligne l'absurdité du jus sanguinis, la règle selon laquelle les enfants héritent de la nationalité de leurs parents. “En tant qu’avocats spécialisés dans l'immigration, nous devons identifier les risques auxquels David serait confronté en cas de ‘retour’ dans son ‘pays d'origine’, c'est-à-dire la RDC”, dit-il, “même si David est né en Europe et n'a jamais mis les pieds en Afrique”. 

“J’ai ressenti la continuité de ce que j'avais vécu depuis mon entrée dans le système d'asile. Il y a clairement un manque sur le plan humain. Tout ce qu'ils voient en vous, c'est un sans-papiers”.

Aujourd'hui, les enfants sans papiers sont dispersés dans toute la Belgique. Certains d'entre eux font la une des journaux lorsqu'ils disparaissent soudainement de l'école, sont détenus et parfois expulsés. Mais la plupart, comme David, gardent leurs soucis pour eux et se mêlent à leurs camarades de classe, dans l'espoir d'une solution miraculeuse. 

Aucun des amis les plus proches de David à l'école ne sait qu'il a perdu son permis de séjour et qu'il a demandé l'asile. “Si je leur disais, ils s'inquièteraient, et ce serait trop stressant”, dit-il, “et je ne veux pas qu’on ait pitié de moi”. Depuis qu'il a quitté la maison de sa grand-mère, David a beaucoup déménagé. Il est resté chez des amis et a même passé quelques nuits dans un hôtel alors qu'il n'avait nulle part où aller. En septembre 2019, il a emménagé dans un appartement avec trois autres demandeurs d'asile homosexuels par l'intermédiaire du Refuge, une organisation qui soutient les jeunes LGBTQI+ isolés. 

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Fin 2019, la mère de David a été arrêtée à la suite d'un contrôle d'identité, et amenée au seul centre de détention pour femmes migrantes de Belgique, à Holsbeek. Alors qu'il ne parle toujours pas à son père et à sa grand-mère, sa mère a accepté son homosexualité. Elle a passé six mois en détention avant que l'épidémie de coronavirus n'oblige les autorités belges à libérer la moitié de ses détenus immigrés. David lui a rendu visite à plusieurs reprises. “J’ai ressenti la continuité de ce que j'avais vécu depuis mon entrée dans le système d'asile”, dit-il. “Il y a clairement un manque sur le plan humain. Tout ce qu'ils voient en vous, c'est un sans-papiers”. 

David attend maintenant avec impatience son entretien avec les autorités d'asile. “Tout est ralenti par le coronavirus, mais j’en ai marre d'attendre. Je me sens bloqué”, dit-il. Et pourtant, David fait des projets pour son avenir. Il veut lancer une chaîne YouTube offrant des conseils sur le maquillage, la mode, les perruques, et comment “booster la confiance des jeunes LGBT”. Maintenant que les restrictions dues au coronavirus ont été levées, il va chercher un emploi pour économiser de l'argent et s'inscrire dans une école de mode. “Les autorités vont-elles me croire ?” se demande-t-il. “Je leur dirai ma vérité. Si ce n'est pas suffisant, tant pis. Si c'est suffisant, tant mieux. Je veux juste en finir avec ça.

*Le nom a été modifié pour protéger son identité.

Cet article fait partie de la série Europe Dreamers, en partenariat avec Lighthouse Reports et le Guardian. Consultez les autres articles de la série ici.

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