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Le “Brexit dur” menace les approvisionnements des Britanniques

Qui exporte et qui importe ? Un institut de recherche économique allemand, l’Ifo institute, s’est penché sur les interdépendances entre l’UE et le Royaume-Uni.

Publié le 22 décembre 2020 à 11:09

Le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne en janvier 2019, mais en pratique rien n’a changé au cours de l’année 2020, qui se voulait être une “période de transition”, permettant de fixer les règles concrètes du divorce de Londres avec Bruxelles. Cette dernière s’achève dans quelques jours, le 31 décembre 2020. Avec ou sans accord ? Il revient aux deux capitales d’en décider.

Les deux parties auraient dû trouver un compromis il y a quelques semaines déjà, afin que la ratification du texte puisse se faire, de part et d’autre de la Manche, avant la Saint-Sylvestre. Mais entre les questions relatives aux aides d’Etat, la gestion des contentieux et le sort des pécheurs européens, les points de désaccord sont toujours nombreux.

Positions irréconciliables ?

Après plusieurs semaines de discussions intenses, l’Union européenne a indiqué le 13 décembre que les pourparlers devaient encore se poursuivre, faute de compromis. Et ce, sans indiquer de nouvelle date butoir. Les deux équipes qui se font face sont dans la position suivante : d’un côté, le Premier ministre britannique Boris Johnson défend bec et ongles le rétablissement de la souveraineté britannique et s’oppose aux moindres tentatives de l’UE de garder le Royaume-Uni dans son escarcelle, de l’autre l’UE refuse de faciliter l’émancipation du Royaume-Uni pour ne pas inciter d’autres Etats membres à suivre ses pas. Les positions semblent a priori irréconciliables. Mais les deux économies sont tellement interdépendantes pour ce qui a trait aux échanges de biens, que chacune a tout de même intérêt à ce qu’un accord soit trouvé pour limiter la casse. D’où la complexité des discussions, et la difficulté à y mettre un point final.

Un institut de recherche économique allemand, l’Ifo institute, a récemment publié un document qui vise à évaluer avec précision ces interdépendances. “En 2019, 50 % des importations britanniques et 47 % de ses exportations étaient échangées avec l’Union européenne”, notent d’emblée les auteurs. Ce constat général ne permet cependant pas à lui seul de prévoir quelles seront les conséquences concrètes de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

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Pour avoir une vision plus fine des éventuelles ruptures de chaînes d’approvisionnement à prévoir des deux côtés de la Manche à compter du mois de janvier, le rapport se focalise donc sur les produits dits “dépendants”, c’est-à-dire ceux pour lesquels un pays ne se fournit qu’auprès de cinq autres pays différents au maximum. Cela revient à se demander : quels sont les biens pour lesquels l’Union européenne et le Royaume-Uni vont avoir du mal à trouver un autre fournisseur pour éviter de subir de plein fouet les coûts du Brexit ?

Des biens “dépendants”

En France, seuls 12 % des produits importés, 11 % en Allemagne, sont dits “dépendants”. “Pour la Belgique, l’Espagne et l’Italie, les proportions sont un peu plus élevées, mais restent modérées, de l’ordre de 17 à 21 %. Le Royaume-Uni fait partie de ce groupe, où moins de 20 % des produits sont importés par au maximum cinq pays fournisseurs”, décrit l’institut Ifo. Derrière cette similitude, se cache cependant une différence lourde de conséquences : presque les deux tiers des produits « dépendants » britanniques proviennent principalement de l’Union européenne, alors que les Etats européens n’importent que dans le pire des cas 7 % de leurs produits depuis la Grande-Bretagne, une fois l’Irlande mise à part, qui a une proximité évidemment beaucoup plus forte avec Londres, et où ce pourcentage atteint 30 %.

Le Brexit va ainsi perturber beaucoup plus durement l’approvisionnement britannique que celui des Européens. Et ce d’ailleurs, même si un accord venait finalement à être signé. “Un deal ne va pas tout résoudre, loin s’en faut. D’importants retards dans les chaînes d’approvisionnement sont à prévoir, quoi qu’il arrive, en raison des nouveaux contrôles aux frontières pour tous les biens exportés ou importés en Grande-Bretagne”, décrivait en novembre 2020 Lou-Eve Popper dans les colonnes d’Alternatives Economiques. Une des solutions pour Londres consiste à s’ouvrir davantage vers le reste du monde. Ce rêve nourri par les conservateurs britanniques peine encore toutefois à se concrétiser.

Si le Royaume-Uni risque de payer le plus lourd tribut du Brexit, l’Europe doit néanmoins se garder de crier victoire trop rapidement. En effet, la plupart des biens pour lesquels l’Europe est, selon la définition reprise par l’Ifo, dépendante du Royaume-Uni sont des biens intermédiaires. Autrement dit, des composants qui servent à fabriquer ensuite d’autres biens, par opposition aux biens de consommation qui peuvent être vendus directement à un consommateur final. Bien qu’ils soient peu nombreux, la perturbation de l’approvisionnement de ces produits risque donc d’avoir des conséquences sur d’autres chaînes de fabrication, comme la construction de véhicules par exemple, dont ils constituent les rouages. Dans le cas de l’Allemagne, sur lequel l’Ifo se focalise, 73 % des approvisionnements dépendants du Royaume-Uni sont des biens intermédiaires.

Les pays européens ont évidemment des relations de différente intensité avec le Royaume-Uni. Ainsi, l’Espagne est le pays dont les produits “dépendants” ont la plus forte exposition aux britanniques : 7,5 % des produits “dépendants” importés par l’Espagne le sont majoritairement depuis le Royaume-Uni. La France arrive juste après (6,4 %), aux côtés de la Grèce (6,4 %) de l’Italie (5,8 %) puis de l’Allemagne (5,1 %) dont les importations ont l’avantage d’être plus ouvertes sur les pays hors de l’UE.

GRAPHIQUE 2

La France est l’un des pays européens les plus dépendants du Royaume-Uni pour ses échanges de biens

Provenance majoritaire des produits pour lesquels la France est dite "dépendante", c’est-à-dire pour lesquels elle a moins de cinq pays source, en pourcentage du total.

Les auteurs étudient également les dépendances dites « complètes » qui existent entre les deux zones, c’est-à-dire les produits qui pour l’UE sont importés uniquement depuis le Royaume-Uni et pour le Royaume-Uni sont importés uniquement depuis l’UE. En clair, les produits pour lesquels la substitution visant à contourner les nouvelles barrières commerciales érigées par le Brexit risque de s’avérer très compliquée. En Allemagne, neuf produits sont ainsi exportés uniquement depuis le Royaume-Uni. On y trouve des produits chimiques, des graisses ou huiles animales et végétales ainsi qu’un composant utilisé dans l’industrie nucléaire.

Encore une fois, ce sont tous des biens intermédiaires, dont les retards d’approvisionnement ou la hausse de coûts post Brexit menacent d’avoir un impact sur des filières entières. Le Royaume-Uni, de son côté, importe 53 types de biens uniquement depuis l’Allemagne, dont la plupart sont des produits chimiques.“Indépendamment de l’issue des négociations liées au Brexit, les coûts du commerce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne vont augmenter et causer des ruptures dans les relations commerciales [entre les deux zones, NDLR]”, résument les auteurs. Derrière ces échanges commerciaux, c’est la survie de nombreux emplois et l’avenir de filières qui parfois structurent tout un territoire qui sont en jeu. 

👉 Lire les autres articles de la série “Vers le Brexit”.


 

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