Actualité L'Europe et les réfugiés

Les politiques migratoires de l’UE ont “tué plus de 40 000 personnes”, dénonce la campagne pour abolir Frontex

“Abolish Frontex” est une coalition d'organisations qui demandent le démantèlement de l'Agence européenne pour la gestion des frontières extérieures, tenue pour responsable d'une politique qui fait des milliers de victimes parmi ceux qui tentent de rejoindre l'Europe.

Publié le 20 juin 2021 à 13:05

Abolish Frontex, une coalition regroupant une quarantaine d'associations et d'organisations, d'ONG et d’activistes, en Europe et dans le monde, demande la fermeture de Frontex, l'Agence européenne pour la gestion des frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne. Parmi les associations présentes figurent l' espagnole Open Arms, l'allemande Sea-Watch (devenue célèbre, malgré elle, par l'affrontement entre la capitaine Carola Rackete et l'ancien ministre italien de l'intérieur Matteo Salvini), les  françaises Utopia 56, les Italiens de Nigrizia et Baobab Experience.

Dans une lettre ouverte adressée à la Commission européenne, au Conseil de l'UE et au Parlement européen, la colation dénonce les "pratiques illégales et inhumaines" de Frontex, accusée de promouvoir et d'appliquer des politiques violentes à l'encontre des migrants.

Les pétitionnaires dénoncent une pratique qui, au nom de la sécurité – la lecture politique dominante en Europe, évidente dans le nouveau Pacte européen sur les migrations et l'asile – met en œuvre des politiques qui affectent violemment la vie de ceux et celles qui cherchent à entrer dans l'UE : "Plus de 740 personnes sont mortes cette année en tentant de traverser la Méditerranée. Le système frontalier de l'UE oblige les migrants à emprunter des itinéraires dangereux et peu sûrs, en faisant appel à des pays pour bloquer leur voyage, en les rejetant, en ne leur portant pas secours et en les laissant mourir en mer."

Quel est le coût de ces politiques ? Des vies humaines, disent les pétitionnaires : "Les politiques de la 'Forteresse Europe' ont tué plus de 40 555 personnes depuis 1993. Abandonnées à la mort en Méditerranée, dans l'Atlantique et dans le désert, abattus aux frontières, tués par suicide dans les centres de détention, torturés et tués après avoir été expulsés : l'UE a du sang sur les mains".

Mais Frontex a aussi un coût en deniers publics : l'agence a vu son budget exploser, obtenant 5,6 milliards d'euros jusqu'en 2027 grâce auxquels les effectifs de l'agence atteindront 10 000 personnes (ils étaient de 750 personnes en 2019).

"Pour une fois, un message a été porté par des groupes plus radicaux, qui n'ont jamais considéré les politiques d'immigration comme réformables, mais ont toujours eu une approche " abolitionniste " – supprimer Frontex, mais aussi le principe de détention administrative des personnes en séjour dit irrégulier (et ne pas " humaniser " les centres de détention), éliminer les frontières en tant qu'instrument de discrimination et théâtre de la violence (et ne pas se contenter d'accueillir les "vrais" réfugiés), éliminer l'implication de l'UE dans l'instabilité d'autres parties du monde (et ne pas les "aider chez eux" en exploitant l'aide au développement)", commente Francesca Spinelli, journaliste et spécialiste de la question des migrations.

Mais Frontex fait également l'objet de critiques au sein même des institutions européennes : elle est dans le collimateur de l'Olaf, l'organisme de surveillance antifraude de l'UE, pour des comportements répréhensibles et des opérations illégales visant à empêcher les migrants d'atteindre les côtes de l'UE. Il s'agit de ce qu'on appelle des "pushbacks", des rejets effectués avant que les personnes aient le temps de demander l'asile, donc illégaux : en 2020, le Border Violence Monitoring Network (Bvmn) a publié un rapport qui a passé en revue au moins 900 cas de ce type (ici et ici).  En outre, en mai dernier, une action en justice a été déposée devant la Cour européenne de justice contre Frontex, au nom de deux demandeurs d'asile qui se disent victimes de violences et de refoulement illégal. 

Une autre critique émane de la Cour des comptes européenne, qui a publié début juin un rapport dans lequel elle affirme que Frontex "n’offre pas encore aux Etats membres un soutien suffisant dans la gestion des frontières extérieures de l’UE" et que l'agence ne rend pas compte de son travail et des coûts qu'elle génère.

Fin mai, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a publié un rapport intitulé Lethal Disregard, Search and rescue and the protection of migrants in the central Mediterranean Sea. Il s'agit d'une étude menée entre janvier 2019 et décembre 2020 qui met en lumière un constat désarmant : il existe tous les outils techniques et les obligations légales pour éviter de faire de la Méditerranée un tombeau à ciel ouvert.

Le HCDH met en évidence cinq problèmes clés : non-assistance aux migrants en danger en mer, interceptions et sauvetages dangereux, rejets, criminalisation des ONG et des militants, retards dans les débarquements et accueil inadéquat. Il ne s'agit pas d'une fatalité, affirme le HCR : le manque de protection des migrants "n'est pas une anomalie tragique, mais la conséquence de décisions et de pratiques politiques concrètes des autorités libyennes, des Etats membres et des institutions de l'UE, ainsi que d'autres acteurs...".

Face à ces critiques, la question de l'utilité réelle de Frontex se pose. "Parmi les 39 agences européennes, Frontex n'est pas seulement la plus meurtrière pour les citoyens non européens, elle est aussi la plus inutile pour les citoyens de l'UE, car elle ne leur apporte aucun bénéfice", explique Francesca Spinelli : "Elle ne profite qu'aux partis et aux gouvernements qui obtiennent un consensus en promettant de protéger les électeurs contre des menaces inexistantes d''invasions' et de 'grands remplacements', et aux entreprises qui prospèrent grâce à l'expansion de la surveillance et à la militarisation des frontières. L'existence même de Frontex est un scandale, plus encore que la masse croissante d'argent public qu'elle aspire."

Frontex n’a pas répondu à notre demande de commentaire.


Notre série sur le Pacte européen sur l'immigration et l'asile, par Francesca Spinelli

  1. Les avocats des réfugiés dénoncent “une grave érosion des droits”
  2. Visas pour l’UE: les compagnies privées profitent, les demandeurs galèrent
  3. IMineurs migrants: L’intérêt supérieur de l’enfant est “Une notion placée ici et là sans véritables garanties”
  4. Les associations de sans-papiers demandent “le minimum : droits et opportunités pour toutes et tous”

👉 Lisez aussi notre série sur les Dreamers d’Europe”, les jeunes sans papiers, visa ou nationalité à l'ère du coronavirus, réalisée en collaboration avec Lighthouse Reports e le Guardian.

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