Data Procréation assistée

Les hauts lieux du tourisme de la fertilité en Europe

Face aux obstacles qui se dressent dans de nombreux pays européens, des milliers de personnes se rendent à l’étranger pour accéder à des techniques de procréation médicalement assistée, en contractant parfois des prêts considérables.

Publié le 22 novembre 2021 à 14:59

Après avoir tenté en vain d’avoir un enfant pendant près de dix ans, Marie et son partenaire se sont trouvés face à un mur. "En France, nous avons engagé une procédure de don [de gamètes] qui n’a rien donné", explique Marie, ajoutant que "quand cela n’aboutit pas, il faut encore attendre deux ans". Et là résidait l’autre problème : le délai d’attente pour accéder à la procréation médicalement assistée (PMA) était de deux ans. Ils ont alors craint d’atteindre la limite d’âge de 45 ans que la France impose aux femmes souhaitant accéder à la PMA. "Sous réserve d’en avoir la capacité financière, il est possible de se rendre dans un autre pays européen disposant des mêmes traitements de PMA, mais avec des délais plus rapides", précise-t-elle.                

Marie, qui a choisi l’Espagne comme pays de destination, n’est pas la seule dans ce cas. Erika (un nom d’emprunt, comme Marie), une femme hongroise qui essaie de tomber enceinte avec son partenaire depuis 2017, souhaite également recevoir un don d'ovules. Le gouvernement hongrois exige que la donneuse soit un membre de la famille, mais Erika n’a "aucun proche susceptible de donner des ovules".


Une étude récente a indiqué qu’environ 5 % des soins de fertilité en Europe impliquent des déplacements à l’étranger


C’est la raison principale qui l’a poussée à se rendre en Slovaquie, mais la saturation et la déshumanisation du système de santé hongrois ont aussi fortement pesé sur sa décision : "On se sent comme des cobayes. Nous voulons être traitées comme des êtres humains, pas comme en Hongrie où on a la sensation d’être placées à la chaîne sur des bandes transporteuses. On n’a pas le temps d’enfiler son pantalon que le médecin est déjà occupé avec une autre patiente".

Une étude récente a indiqué qu’environ 5 % des soins de fertilité en Europe impliquent des déplacements à l’étranger. Les destinations européennes les plus populaires à cet égard sont l’Espagne, la République tchèque, le Danemark et la Belgique. En 2019, par exemple, les cliniques de fertilité espagnoles ont réalisé 18 457 cycles de traitement pour des personnes venues de l’étranger, essentiellement de France et d’Italie. Au Danemark, plus de 8 000 traitements ont été prodigués à des étrangères (21,69 % du total). En Belgique, en 2018, 13 cycles de traitements de fécondation in vitro sur cent ont été administrés à des patientes étrangères, la plupart en provenance d’un autre État membre de l’UE. En Lituanie, en revanche, le ministère de la Santé n’a recensé que dix femmes non-résidentes (venues principalement de Russie et de Biélorussie) ayant fait appel à la PMA entre 2018 et 2020.

Que cherche-t-on dans chaque pays ?

Civio a interrogé des personnes qui, pour une raison ou une autre, ont été contraintes de se rendre à l’étranger pour avoir recours à la PMA. Il s’agit d’un petit pourcentage des millions de personnes qui ont déjà bénéficié de cette pratique – à ce jour, environ huit millions de bébés sont nés par ce biais. Les nombreuses limites légales imposées dans leur pays d’origine sont les principales raisons invoquées. L’accès à la PMA est interdit aux couples de femmes dans plus de la moitié des pays européens et aux femmes célibataires par choix dans près d’un tiers. Parmi les autres obstacles, mentionnons la limite d’âge, le nombre restreint de cycles de traitement couverts par la sécurité sociale, les longues listes d'attente (comme en France), la recherche de soins de meilleure qualité ou moins chers et, parfois, le souhait de recevoir un don anonyme.

Dans les pays où les couples LGBTQI+ ne peuvent pas accéder à la PMA (comme en Hongrie), des cliniques de fertilité étrangères proposent leurs services aux candidats potentiels. "En République tchèque, en Ukraine, puis en Autriche, de nouvelles institutions ont commencé à annoncer leurs services aux Hongrois dans leur langue, pratiquement à un prix identique (ou très similaire) à celui du [secteur] privé hongrois dans son ensemble", souligne Bea Sándor, porte-parole de la Háttér Society.

La langue n’a pas dissuadé Marie et son partenaire de se rendre en Espagne : "Je ne parle pas espagnol, mais ce n’est pas un problème pour nous. [Les cliniques qui] prennent en charge les françaises parlent leur langue". La gynécologue Marisa López Teijón, directrice de l’institut Marquès fertility clinic, explique que ses patientes "sont originaires de plus de 50 pays". De même, il arrive souvent que les cliniques les plus réputées ouvrent des filiales à l’étranger.

Les personnes qui voyagent à l’étranger pour bénéficier de la PMA choisissent où aller en fonction de leurs besoins. C’est le cas de Marie : "Je vis à Toulouse, à trois heures de Barcelone". L’Espagne et la République tchèque sont des destinations très prisées pour les personnes qui, en proie à des problèmes de fertilité, ont besoin d’un don d’ovules, comme Marie. Les données sont éloquentes : en 2019, 54,3 % des traitements entamés en Espagne ont fait l’objet d’un don d’ovules. La République tchèque n’est pas en reste : en 2017, les donneuses d’ovules étaient résidentes (99,7 %), et la majorité des destinataires étaient étrangères (86,3 %).

Le Danemark, en revanche, est réputé pour ses donneurs de sperme : d’après l’Autorité sanitaire et médicale danoise, 55,5 % des inséminations artificielles avec donneur y ont été pratiquées sur des patientes étrangères. "La législation danoise est relativement libérale en matière de don de sperme", affirme Lasse Ribergård Rasmussen, porte-parole de Cryos International, l’une des plus célèbres banques de sperme. Depuis son siège de Copenhague et ses filiales à Chypre et aux États-Unis, elle envoie des échantillons de sperme à plus de 100 pays différents dans le monde. "De longs délais d’attente et des problèmes d’ordre légal dans leur pays peuvent aussi influencer la décision des clients", poursuit Rasmussen.

On se sent comme des cobayes. Nous voulons être traitées comme des êtres humains, pas comme en Hongrie où on a la sensation d’être placées à la chaîne sur des bandes transporteuses.

Erika

Les raisons de se déplacer peuvent varier, mais ces destinations attirent des milliers de personnes parce qu’elles ont toutes en commun une législation permissive et des taux de réussite élevés.

Selon González Foruria, gynécologue à la clinique Dexeus Mujer, "la législation espagnole, bien que plus ancienne, est très permissive. Les centres sont très bien organisés, les circuits et les modes de fonctionnement sont optimaux et les résultats sont excellents". "L’Espagne est l’un des pays leaders en Europe sur le plan du don d’ovules, de la liberté et du nombre d’établissements" précise Juana Crespo, fondatrice d’une clinique de fertilité portant son nom.

En Tchéquie, les raisons du succès sont similaires, si l’on en croit l’Institut d’informations et de statistiques sur la santé : une législation libérale, une grande disponibilité de donneurs anonymes et des traitements de qualité. "La République tchèque est une destination populaire pour la fécondation in vitro, surtout parce qu’elle offre un taux de réussite élevé et des prix abordables", estime Michaela Silhava, directrice de la clinique Unica à Prague. La plupart de ses patientes veulent échapper aux restrictions légales (comme en Italie, en Allemagne et en Autriche) ou aux longues listes d’attente (comme au Royaume-Uni).

Les autorités sanitaires tchèques craignent toutefois que l’accès à la procréation médicalement assistée soit rendu plus difficile pour les propres habitantes du pays en raison de l’afflux d’un trop grand nombre de patientes étrangères. C’est ce qu’il ressort clairement d’un rapport de 2017 publié par l’Institut d’informations et de statistiques sur la santé, qui pointe les risques liés à l’augmentation des prix. En Espagne, cependant, des spécialistes en fertilité réfutent l’idée selon laquelle cela pourrait être le cas dans leur pays. Selon eux, en effet, les dons d’ovules sont aussi souvent utilisés par les personnes qui y résident et la concurrence entre les cliniques privées est forte. À la date de publication de cet article, Civio n’a toujours pas reçu de réaction à ce sujet de la part des cliniques de fertilité contactées en République tchèque.

Quelles perspectives pour l’avenir ?

Il est important de savoir si la discrimination dont souffrent encore beaucoup de personnes cessera à l’avenir. Non seulement du point de vue de l’accès aux traitements, mais surtout afin qu’elles ne se sentent plus exclues. Car tel est le sentiment ressenti par Chiara Foglietta et Micaela Ghisleni, un couple de femmes italiennes qui se sont rendues au Danemark pour un traitement d’insémination artificielle. En avril 2018, Chiara Foglietta, conseillère municipale à Turin, a annoncé sur Facebook que leur fils était né. Mais au moment d’inscrire sa naissance sur les registres de l’état civil, les fonctionnaires lui ont demandé de mentir et de dire qu’elle l’avait conçu avec un homme. "Aucune formule ne permet de déclarer que l’on a suivi un traitement de procréation médicalement assistée", a-t-elle déploré.

Elles ont finalement réussi à inscrire leur enfant à l’état civil. Il s’agit du premier enfant dont l’acte de naissance porte le nom des deux mères en Italie. Elles sont loin d’être les seules dans ce cas : en Irlande, les couples de femmes qui ont accès à la PMA à l’étranger ne peuvent pas inscrire comme tel un enfant issu de l’union de deux mères, comme l’indique une plainte déposée récemment par une famille qui s’était rendue en Belgique à cette fin. En Hongrie, où les partenaires femmes n’ont pas accès à l’insémination artificielle ou à la fécondation in vitro, des problèmes similaires se posent. "Au moment de l’inscription de l’enfant à l’état civil après la naissance, on demande à la mère s’il y a un père. Ce n’est évidemment pas le cas, donc elle doit fournir des explications sur l’origine de l’enfant", affirme Bea Sándor. Certaines essaient de présenter des documents prouvant que l’enfant est le fruit d’une PMA, d’autres déclarent ne pas connaître le père suite à une aventure d’un soir. "Les personnes [sont] inquiètes à l’idée de devoir mentir à un officier de l’état civil. C’est parfois horrible", conclut-elle.

La situation en matière de tourisme de la fertilité dans les pays d’accueil pourrait évoluer à l’avenir. Irene Cuevas, coordinatrice du registre de la Société espagnole de la fertilité, souligne que de nombreuses femmes se sont rendues en Espagne – notamment en Catalogne et au Pays basque – pour avoir accès à la PMA "parce que c’était illégal" dans leur pays d’origine. Or, ce n’est dorénavant plus le cas en France, depuis la récente réforme législative qui étend la PMA à toutes les femmes, indépendamment de leur situation matrimoniale ou orientation sexuelle. "Ce sont avant tout les cycles de don de sperme qui vont diminuer", affirme Cuevas. Cela pourrait également se produire en Belgique, une autre destination privilégiée des patientes d’outre-Quiévrain. L’activiste française Magali Champetier, qui a choisi l’Espagne pour concevoir un enfant avec sa partenaire, explique dans la revue Komitid que "ce sera moins stressant et, en plus, ce sera gratuit contrairement à ce qui se fait à l’étranger".

László Arató (EUrologus) et Adrian Burtin (Voxeurop) ont contribué à cet article.

Traduit avec le soutien de la European Cultural Foundation
👉 L’article original sur CIVIO
En partenariat avec European Data Journalism Network

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