Minsk, le 3 juillet 2011. Le président Alexandre Loukachenko lors d'une parade militaire.

Alexandre Loukachenko a des amis à Bruxelles

Alors même que le président biélorusse fait de plus en plus cruel et vient de faire exécuter deux hommes pour l'attentat de 2011 dans le métro de Minsk, la capitale européenne est le théâtre d'un lobbying sans précédent en sa faveur.

Publié le 20 mars 2012 à 14:52
Minsk, le 3 juillet 2011. Le président Alexandre Loukachenko lors d'une parade militaire.

Cette semaine, à l'occasion du sommet des ministres des Affaires étrangères de l'UE à Bruxelles vendredi 23 mars, des diplomates de niveau intermédiaire vont débattre des nouveaux noms à ajouter à la liste des sanctions infligées à la Biélorussie. Selon nos sources, la liste provisoire comprendrait l'oligarque Youri Chizh, plusieurs sociétés appartenant à Vladimir Peftiev, un autre milliardaire proche du régime, et plusieurs responsables gouvernementaux.

Peftiev est déjà sous le coup d'une interdiction de visa et d'un gel de ses avoirs, de même que trois de ses entreprises, décision qu'il conteste actuellement devant une cour européenne à Luxembourg.

Vous n'imaginez même pas le nombre de personnes qui viennent nous voir”, nous raconte un responsable européen, confronté aux ONG, aux diplomates et aux entreprises qui, depuis quelques semaines, viennent devant lui plaider pour plus de clémence envers Vladimir Peftiev.

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Un million de dollars de récompense

Selon ce responsable et d'autres sources, dont Ales Michalevic, un dissident qui a fui la Biélorussie l'année dernière, Peftiev offre un million de dollars de récompense à qui le fera retirer de la liste. “Je n'ai rien vu qui porte à inscrire Peftiev sur cette liste. C'est la police, le KGB, et les juges qui devraient y être”, déplore un représentant d'une ONG “anti-Loukachenko” installée à Prague. Une ONG semblable, à Bruxelles cette fois, a envoyé récemment à des responsables européens une liste de 25 noms (dont celui de Vladimir Peftiev) qui, selon elle, ont été injustement mis à l'index.

Nous ne souhaitons pas publier ces noms, car il est possible que les expéditeurs de cette liste l'aient fait sous la contrainte. Nous avons cependant contacté le cabinet lituanien Lawin, qui assure la défense de Peftiev devant la cour européenne, qui refuse de confirmer ou de démentir l'offre de récompense d'un million de dollars.

Youri Chizh est le propriétaire d'un large éventail d'entreprises allant de la pétrochimie aux spas en passant par les boissons non alcoolisées, dont un grand nombre ont des activités dans des pays de l'Union européenne.

Le conglomérat de Peftiev est plus sinistre. Vladimir Peftiev est actionnaire majoritaire et président de Beltechexport, le premier marchand d'armes de Biélorussie, qui fabrique des avions, des véhicules blindés et des armes de poing. Mais la principale activité de l'entreprise consiste à jouer les intermédiaires entre les marchands d'armes russes et les dictatures d'Afrique, d'Asie centrale et du sud-est et d'Amérique du Sud. Les Etats-Unis pensent qu'elle aurait vendu des armes à l'Iran et à la Corée du Nord.

“Ce serait un coup dur supplémentaire pour la réputation de Poutine si l'on apprenait que la Russie vend directement ses armes à ces régimes, en parfaite violation des lois internationales, explique Stanislaw Chouchkievitch, qui fut le premier président de la Biélorussie indépendante. Alors ce sont les Biélorusses qui s'en chargent.”

Peftiev possède aussi l'opérateur de télécoms Beltelcom, est copropriétaire avec le fils de Loukachenko, Dmitri, de la société de paris Sport-Pari, et détient des parts dans le fournisseur d'accès à Internet biélorusse Delovaya Set.

A en croire des diplomates européens, la Lettonie vient de joindre ses efforts à ceux de la Slovénie pour tenter de le protéger. Les deux pays sont disposés à approuver le nouveau train de sanctions, mais à la condition expresse que certaines sociétés de Peftiev, qui sont en affaires avec des entreprises slovènes et lettones, soient épargnées. Ainsi, Vladimir Peftiev travaille avec le Slovène Riko Group pour la construction d'un hôtel de luxe et de postes électriques pour une valeur de 157 millions d'euros.

Pour ses défenseurs, l'UE se trompe en dépeignant Vladimir Peftiev comme le banquier du régime de Loukachenko. Mais cette affirmation est difficile à croire dans un pays dont 70 % de l'économie est sous le contrôle de l'Etat.

Des libérations en échange de concessions de l'UE

Joerg Forbrig, spécialiste de la Biélorussie au German Marshall Fund [une institution américaine de promotion des liens transatlantiques], estime que toutes les richesses de ce pays de 10 millions d'habitants sont aux mains d'un tout petit cercle de proches de Loukachenko. “Peftiev est très probablement au fait des échanges commerciaux avec l'UE bien au-delà de ceux concernant ses sociétés”, précise-t-il.

Alexandre Loukachenko a fait exécuter la semaine dernière deux jeunes hommes, Dimitri Konovalov et Vladislav Kovalev , que beaucoup jugent innocents, pour l'attentat à la bombe d'avril 2011 dans le métro de Minsk.

Autre affaire qu'on pourrait trouver stupide si elle n'était pas si effrayante, Syarhey Kavalenka, 37 ans, a été hospitalisé après être entré en grève de la faim [en prison]. Son crime ? Avoir placé un drapeau de l'opposition au sommet d'un sapin de Noël.

Selon un diplomate européen, les exécutions n'ont en rien infléchi la position de la Lettonie et de la Slovénie. “De toute façon, personne n'ignore la nature du régime biélorusse”, précise-t-il, avant d'ajouter que les sanctions devront certainement être décidées par les ministres des Affaires étrangères vendredi, les pourparlers entre diplomates ne risquant guère d'aboutir.

De son côté, Alexandre Loukachenko se rit des sanctions européennes. Pourtant, elles ont de quoi rebuter les investisseurs étrangers alors même que l'économie biélorusse est en difficulté, et elles viennent compromettre le projet du président de faire de son pays une plaque tournante des exportations et des importations de l'UE.

Preuve de leur efficacité, avance un haut responsable européen, les envoyés de Loukachenko proposent régulièrement de libérer des prisonniers politiques en échange de concessions de la part de l'UE. Mais aucune sanction ne pourra plus sauver Dimitri Konovalov et Vladislav Kovalev.

Si Youri Chizh et Vladimir Peftiev s'en tirent, certains pays de l'Union entendent en faire payer le prix à la Lettonie et à la Slovénie : “Il leur sera demandé publiquement de rendre des comptes pour cette action”, confirme un diplomate européen.

Diplomatie

Minsk sait comment jouer avec l'UE

Depuis le rappel des ambassadeurs de l'Union européenne à Minsk mi mars, les relations bilatérales deviennent de plus en plus critiques, écrit New Eastern Europe (NEE). Le bimensuel note que cela

pourrait entraîner la perte totale de l'influence de l'UE en Biélorussie et le début d'une nouvelle politique européenne envers le pays. Le conseil de l'UE a eu des difficultés à appliquer de nouvelles sanctions à l'encontre de la Biélorussie, ce qui montre clairement que Minsk a bien travaillé et a appris à bien mener la diplomatie selon le manuel russe. En d'autres termes : agir lentement sans jamais oublier ses buts, ne jamais agir de façon générale mais choisir plutôt des actions locales, comprendre que l'UE ne mène pas une seule politique étrangère, et toujours trouver les points faibles comme les pays qui sont davantage intéressés par leur propres affaires que par la solidarité.

Gazeta Wyborcza de son côté noteque l'exécution brutale, le 17 mars dernier, des deux personnes accusées des attentats de Minsk, prouve que "la cruauté de Loukachenko est plus grande que le calcul politique cynique", son pouvoir reposant sur la terreur et l'intimidation de ses compatriotes.

La Biélorussie est en train de tomber dans la stagnation économique. En échange de prêts, elle a été contrainte de vendre ses meilleures entreprises à la Russie. La popularité du président est en train de baisser et la frustration sociale s'accroît.

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