Au cœur de la machine

La troïka est l’instrument le plus connu de l’intervention de l’UE et du FMI dans les pays européens en difficulté. Mais à Luxembourg siègent deux institutions discrètes mais cruciales, le FESF et le MES, chargées de trouver l’argent. Reportage.

Publié le 5 décembre 2013 à 12:55

Dans une rue secondaire, au bout du quartier européen à Luxembourg se trouve un bâtiment blanc à trois étages. Les travaux de la façade sont encore en cours et l’immeuble affiche un sigle discret, visible aux yeux des passants attentifs : ESM. C’est un bâtiment comme les autres, flanqués de bureaux et abritant les principaux établissements financiers mondiaux et des établissements commerciaux. A l’intérieur, cependant, quelque chose de singulier se passe : plus de 100 personnes travaillent à l’une des réalisations les plus impressionnantes des gouvernements européens pendant la crise.
EFSF et ESM sont les initiales en anglais du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et du Mécanisme européen de stabilité (MES), les fonds de secours de la zone euro. Le premier a financé un tiers des 78 milliards prêtés par la la troïka au Portugal depuis 2011. Le deuxième, qui l’a remplacé, est le mécanisme permanent anticrise de la zone euro et sa capacité s’élève à 500 milliards d’euros. Si, à la fin de son programme d’ajustement en mai prochain, le Portugal a besoin d’un soutien financier supplémentaire, soit d’un nouveau plan de sauvetage ou d’un programme de sauvegarde, il devra faire appel au MES.
A Luxembourg, une équipe est fière d’avoir, après 3 ans de trouble, prouvé qu’elle est capable de répondre aux exigences des marchés et des gouvernements, même si ces dernières surviennent à la dernière minute.
Tout a commencé en mai 2010 avec le premier plan de sauvetage de la Grèce à hauteur de 110 milliards d’euros, encore financés par des prêts bilatéraux des Etats-membres de la zone euro alliés à l’argent de l’UE et du FMI. Persuadés que la crise serait dépassée, les gouvernements de la zone euro ont décidé de mettre en place un véhicule financier siégeant à Luxembourg à faibles ressources humaines, capable de prêter aux pays en détresse, bien que croyant que cette situation ne se produirait pas. L’idée était de renforcer la solution grecque pour stopper la contagion et son nom de baptême n’était pas étranger à ce message : Fonds européen de stabilité financière.

“Nous sommes partis de rien”

"Au départ, l’idée du FESF en tant qu’institution de 15 personnes était d’avoir une défense qui ne serait jamais utilisée", affirme à Negócios Rolf Strauch, membre du Conseil d’Administration du MES, âgé de 47 ans et la première personne embauchée par Klaus Regling, président du FESF et du MES. Responsable de la stratégie et des analyses économiques et financières des plans de sauvetage européens, Strauch a intégré l’institution à ses débuts, arrivé de la BCE début juillet 2010, après le démarrage du premier fonds de sauvetage de la zone euro.
Fonder une institution est une expérience marquante. Les décisions portent sur le basique et les erreurs peuvent se payer cher, rappelle Christophe Frankel, 51 ans, directeur exécutif-adjoint, le cinquième arrivé à Luxembourg pour créer le FESF, en provenance de Paris où il travaillait dans le secteur privé.
"Nous n’avions pas d’ordinateurs, pas de photocopieuse, pas de papier : nous sommes partis de rien, même en matière de ressources humaines – quand on embauche une petite équipe, tous les choix sont très critiques", déclare le responsable des départements chargé des émissions de dette, des investissements et des prêts aux gouvernements. Les services fonctionnent désormais dans un bureau au rez-de-chaussée avec un ordinateur à écran triple.
João Gião a été l’une de ces embauches critiques. Il fut la douzième personne arrivée à Luxembourg, pour compléter l’équipe initiale du FESF. Il a quitté son travail à la CMVM, le régulateur du marché de capitaux portugais.
Agé de 36 ans, Gião est actuellement un élément-clé du département légal du FESF et du MES. "[[La principale différence entre nous et une institution classique est le facteur politique]] : alors qu’une société privée suit un business plan et que ses ressources sont gérées selon les normes, une institution comme le MES ne peut pas suivre ce planning. Nous devons être préparés pour réagir aux décisions prises au niveau politique", dit Frankel.
"Le moment le plus tendu a eu lieu fin 2011, quand nous avons dû émettre parce que les Etats-membres avaient besoin d’argent. Mais les conditions du marché sont devenues plus dures et l’émission a été plus difficile", se souvient Christophe Frankel, responsable du financement du FESF comme des prêts postérieurs destinés aux pays en détresse.

Pallier les défaillances du passé

C’est à ce moment-là que le FESF a changé sa stratégie de financement. Jusqu’à lors, le fonds allait sur le marché chercher les mêmes quantités d’argent, avec les mêmes maturités, que celles prêtées aux pays. En novembre 2001, "nous avons adopté une stratégie de financement diversifiée, séparant notre financement des besoins des pays bénéficiaires", explique Frankel. C’est encore la règle aujourd’hui : les fonds de secours émettent selon plusieurs maturités et selon les meilleures opportunités. L’expérience du FESF sur le terrain a permis d’avoir de l’expérience et simultanément, [[les dirigeants européens ont senti le besoin de mettre en place une institution permanente de secours pour la zone euro]]. Fin 2012, les négociations ont abouti et le Mécanisme européen de stabilité (MES) a vu le jour, enfant du FESF, à qui il survivra géré par la même équipe.
Le Mécanisme européen de stabilité présente une logique différente qui a voulu pallier les défaillances du passé. "D’un point de vue légal, le FESF et le MES sont très différents", explique João Gião. "Le FESF est une société privée régie par le droit luxembourgeois et son programme de dette repose sur un système de garanties des Etats-membres de la zone euro qui assurent son niveau de notation."
A l’inverse, "le MES est une institution financière internationale" souligne le spécialiste et en tant que telle, elle est régie par le "droit public international". En outre, "le système de garanties a été remplacé par un capital souscrit auprès du MES [80 milliards d’euros] qui est à présent l’un des piliers de la qualité du crédit du MES".
Ce qui a démarré l’été 2010 comme un véhicule d’investissement prévoyant une équipe de 15 personnes et qui ne serait jamais utilisé, est devenu un des principaux émetteurs de dette publique européens, finançant des programmes d’ajustement évalués à 240 milliards d’euros dans cinq pays et doté d’une structure de plus de 100 personnes.

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