Beppe Grillo, le populisme libertaire

Le grand vainqueur des élections italiennes est souvent qualifé de populiste. Mais en Europe, cette catégorie politique pour le moins floue recouvre des profils assez différents, rappelle l’historien belge Marnix Beyen.

Publié le 4 mars 2013 à 15:55

La victoire écrasante de Beppe Grillo en Italie a ravivé les discussions sur la notion controversée de “populisme”. Dans ce journal, le chroniqueur Bert Wagendorp a laissé entendre que Grillo, “à la différence des populistes tels que Bart De Wever [en Belgique], Geerts Wilders [aux Pay-Bas] et Berlusconi” n’est pas issu des partis politiques existants. En d’autres termes : étant un véritable outsider, Grillo ne semble pas faire partie de la grande famille populiste. En disant cela, Wagendorp oublie l’importance de l’idéologie dans la définition du populisme. Selon une définition idéologique de ce type, Grillo est pourtant presque le prototype d’un populiste : quelqu’un qui présente la classe politique comme étant l’ennemi du peuple “véritable”.

Certaines formes de populisme sont fascistes

Pour la même raison idéologique, Grillo ne peut pas être simplement défini comme un populiste. Le populisme est en effet un phénomène particulièrement polymorphe, qui peut partir d’interprétations très différentes du “peuple”. En théorie, on peut distinguer deux positions extrêmes. D’une part, on peut représenter “le peuple” comme une unité métaphysique et morale qui continue à être dotée des mêmes caractéristiques à travers les siècles. Ce peuple doit être protégé contre les ennemis de l’étranger et les influences étrangères, et peut tout à fait être incarné par un leader charismatique.
A l’autre extrémité de cet éventail politique, se trouve l’approche selon laquelle le peuple apparaît comme la somme de millions de citoyens libres ayant leurs propres aspirations et projets, qui ne doivent pas être contrecarrés par des règles et des lois superflues. Un populisme qui se greffe intégralement sur la première interprétation ethnique de la notion de “peuple” peut être désigné comme fasciste. S’il est bâti sur la deuxième approche, il est plutôt question de populisme libertaire.

L’image idéale d’un peuple finlandais

Pratiquement tous les mouvements populistes actuels combinent des aspects des deux variantes, mais à des doses très différentes. D’après le nom de leur parti, on pourrait déduire que Les Vrais Finlandais de Timo Soini se rapprochent le plus étroitement de la première variante. Ce parti politique est en effet basé sur l’image idéale d’un peuple finlandais qui doit être protégé des influences étrangères comme le mariage homosexuel, la langue suédoise et l’immigration nord-africaine. La mobilisation que ce parti mène autour de ces idéaux et les mesures concrètes qu’il propose sont toutefois trop modérées pour lui faire valoir l’étiquette de “fasciste”.

Geert Wilders, de son côté, a souligné beaucoup plus nettement la facette libertaire du populisme dans le nom de son parti, le Parti de la Liberté. L’attitude positive de ce parti à l’égard de l’homosexualité comme faisant partie d’un héritage éclairé y correspond. Pourtant la notion de “nos Pays-Bas” est bien représentée comme une unité mystique, qui doit faire écran à la fois contre “leur Bruxelles” et “la montée de l’islam”.

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Le parti hongrois Fidesz est également atteint d’une ambiguïté de ce type. Alors que le nom était initialement une abréviation de Jeunes Démocrates Libres, il renvoie désormais seulement au mot latin pour fidélité [fides]. Les Roms hongrois, entre autres, font quotidiennement l’expérience de cette fidélité aux “vraies” valeurs hongroises.

Pour une “démocratie électronique”

Le Mouvement 5 étoiles de Grillo correspond beaucoup plus au pool libertaire de l’éventail populiste que les mouvements susmentionnés. Il est vrai que son blog et ses discours sont remplis de références à l’Italie éternelle qui est enfin proche d’une résurrection, mais en même temps, il se montre allergique aux excès hypernationalistes comme ceux de Timo Soini et Viktor Orbán. Il se fait l’avocat, il est vrai, de la nécessité d’endiguer l’immigration, mais il ne fonde pas cette prise de position sur l’islamophobie ou la crainte de la perte des valeurs italiennes. Son plaidoyer en faveur de la “démocratie électronique” en dit long à cet égard. Au lieu de défiler derrière des leaders ou des symboles, [il estime que] les Italiens doivent massivement faire entendre leur voix via l’Internet.

Cette classification pose également la question suivante : où situer Bart De Wever dans cet éventail ? Bien entendu,  il est l’héritier d’une tradition qui chérissait une variante ethnique du nationalisme. Pour l’instant De Wever n’affiche pas encore de petits drapeaux avec le lion flamand sur les plaques des rues de sa propre ville [Anvers], mais il montre bien qu’il veut refondre sa population pour parvenir à une communauté plus ou moins homogène avec des frontières externes solides.
Grâce à l’histoire communautaire, De Wever n’est pas obligé de se vendre comme populiste. Il peut se définir comme l’exécutant d’un processus de formation d’Etat inachevé plutôt qu’en tant que porte-parole du peuple contre une classe politique corrompue.

Italie

Europe, guéris-toi toi-même

Contrairement à ce que beaucoup pensent, l’homme malade de l’Europe c’est l’Europe, pas l’Italie”, écrivent deux universitaires en introduction de leur article publié sur EUobserver. Bien que l’Europe du sud se caractérise par un “système dysfonctionnel, des institutions inefficaces, une corruption généralisée et peu d’attention pour les règles”, l'Europe a quand même réussi à devenir la 8e économie du monde, écrivent Francesco Giumelli, professeur assistant au département de Relations internationales et d’Etudes européennes de l’Université métropolitaine de Prague, et Ruth Hanau Santini, professeur assistant de Sciences politiques à l’Université orientale de Naples.

L’Italie est en effet un animal difficile à comprendre - et encore moins apprivoisé - [...] mais c’est un point d’ancrage, pas un iceberg, pour le processus d’intégration européenne. L’Italie surmontera ses doutes. Les Européens devraient davantage se préoccuper du manque de progression [sur le sujet] de l’union bancaire [...et] du fait qu’ils ont échoué à coupler le plan d’austérité avec les nécessaires mesures sociales et de croissance économique. Celles-ci sont nécessaires pour recréer une confiance dans les institutions européennes. Les plus gros dangers pour l’Europe viennent de là, pas d’Italie.

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