Idées Mouvements populistes en Europe

Ce que 2017 nous a appris et ce que 2018 nous réserve

L’année 2017 devait être marquée par la victoire écrasante des partis populistes dans toute l’Europe mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Connaîtrons-nous le même scénario en 2018 ? Il est fort probable que non, selon l’expert Cas Mudde.

Publié le 27 décembre 2017 à 11:31

Alors que 2016 était l’année où le populisme a créé la surprise, 2017 s’annonçait comme l’année de la victoire populiste. Tous les yeux étaient rivés sur les "populistes" avec les élections prévues en Autriche, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas, pour ne nommer que les pays les plus importants. Ces populistes sont issus de l’extrême droite dans la majorité des pays. Selon un point de vue défendu surtout par les médias britanniques et américains, les vagues du Brexit/Trump devaient mener à un tsunami sur le continent, causant la chute des dirigeants conventionnels bien ancrés dans le paysage politique européen comme la chancelière Angela Merkel en Allemagne et l’arrivée au pouvoir de populistes comme Marine Le Pen en France.

Le discours dominant sur un populisme audacieux, victorieux face au statu quo défendu bec et ongles par une caste, a surfé d’abord sur la vague des élections législatives aux Pays-Bas en mars. Lors de ce scrutin, le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders a enregistré une contre-performance, même par rapport aux sondages les plus fiables précédant de peu les élections. Le Premier ministre Mark Rutte en est sorti vainqueur au niveau politique, bien qu’il ait perdu au niveau électoral, en ayant adopté le discours et une partie du programme du Parti pour la liberté. Rutte a déclaré que son "bon populisme" avait battu le "mauvais populisme" de Wilders et les médias internationaux ont relayé ses propos. Désormais, nous sommes tous populistes !

Néanmoins, ce sont les élections présidentielles françaises du mois suivant qui ont constitué le vrai test pour le discours dominant, puisqu’ elles étaient le seul scrutin de l’année où le candidat ayant remporté l’élection devait rafler toute la mise. Marine Le Pen caracolait en tête des sondages des politiques les plus populaires en France au cours des années précédentes. Néanmoins, elle était également, et de loin, la personnalité politique la plus impopulaire du pays, ce que les médias oubliaient bien souvent de préciser. Cette vérité rendait ses chances de gagner l’élection infimes voire quasi-inexistantes. En fin de compte, elle a enregistré des scores en-deçà des attentes aux deux tours, en partie en raison de sa campagne décevante et de sa prestation désastreuse lors du débat télévisé où elle a été littéralement terrassée par Emmanuel Macron, la nouvelle star de la politique européenne. Celui-ci a également dominé les législatives dans la foulée. On lui a également collé l’étiquette de populiste car, peu importe la réalité, le populisme devait être le grand gagnant de 2017 !

Puisque Macron a été progressivement redéfini comme un outsider politique et non plus comme un populiste pur sucre, les journalistes ont commencé à alimenter un nouveau discours, celui de la mort du populisme en exagérant les échecs de Le Pen et Wilders, comparant principalement les résultats obtenus aux attentes irréalistes.

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Les élections législatives allemandes de septembre qui ont suivi symbolisaient l’instant de vérité pour le "populisme". Merkel allait-elle triompher en assénant le coup fatal au populisme ou le parti populiste d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) allait-elle mettre fin à ses douze ans de règne en tant que chancelière ?

La réponse restait incertaine le soir de l’élection, l’AfD ayant réalisé le deuxième meilleur score pour un troisième parti dans l’histoire récente, mais Merkel et son parti, la CDU/CSU, restant de loin le premier parti sur la scène politique allemande. La confusion s’était immiscée dans le monde des médias et des experts : le populisme était-il victorieux ou mort ? La réponse a été donnée par les voisins du sud, les Autrichiens, qui ont tenu des élections législatives à peine quelques semaines plus tard. Cependant, ce scrutin constitue un autre cas de figure qui présente des similarités avec les Pays-Bas et la France.

Sebastian Kurz, le jeune ministre autrichien des Affaires étrangères était le grand vainqueur de ces élections car il avait réussi à transformer son parti conservateur ÖVP en un véhicule politique personnifié, similaire d’une certaine façon à la méthode Macron en France. D’un autre côté, il avait gagné en reprenant la stratégie du "bon populisme" employée par Rutte aux Pays-Bas, en faisant campagne sur sa réaction autoritaire et nativiste face à la prétendue crise des migrants. Mais Kurtz était en totale contradiction avec les autres pays qui avaient tous ostracisé la droite radicale populiste, en invitant le FPÖ au gouvernement. Contrairement à ce qui s’est passé en 2000, lorsque le dirigeant du parti de centre-droit de l’époque Wolfgang Schüssel avait conclu une alliance similaire, cette fois–ci aucune réaction virulente, nationale ou internationale, ne s’est fait ressentir. Le statut de l’extrême droite populiste est normalisé à chaque fois, un coup comme partenaire, une autre fois comme paria.

Cela nous amène à 2018, une année au cours de laquelle beaucoup de pays européens dont les partis populistes sont puissants et très ancrés, y compris la Hongrie et l’Italie, iront aux urnes. A quoi peut-on s’attendre, en tirant les leçons de 2017 ? Premièrement, aucune généralisation n’est possible, étant donné que l’Europe est un continent et non un pays. Les élections nationales sont en premier lieu nationales ! Donc le scrutin hongrois dépendra de facteurs hongrois comme par exemple la division interne de l’opposition et les élections italiennes seront influencées par ce qui se passe du côté de la péninsule, de Syracuse à Venise, notamment sur la question brûlante des réfugiés.

Deuxièmement, le populisme continuera à jouer un rôle important lors des élections européennes et plus particulièrement dans les régions où les partis populistes étaient déjà influents il y a dix ans. Troisièmement, quels que soient les résultats effectifs des partis populistes, ils seront rapportés de manière disproportionnée par les médias internationaux.

Infographie

La carte des populistes de droite en Europe

Cette carte montre l'importance des partis populistes, souverainistes et nationalistes en Europe, selon les recherches réalisées par Timbro, Policy Solutions, Parties and elections, Chapel Hill Experts Survey, Epicenter Network et Cas Mudde.

Allemagne : Alternative für Deutschland (AfD). Autriche : Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ). Belgique : Vlaams Belang (VB). Bosnie-Herzégovine : Народни демократски покрет (NDP)-Партија демократског прогреса (PDP), Bosanska patriotska stranka (BPS). Bulgarie : Обединени Патриоти (Patriotes Unis), Граждани за европейско развитие на България (GERB). Chypre : Εθνικό Λαϊκό Μέτωπο (ELAM, Front National Populaire). Croatie : Živi zid, Promijenimo Hrvatsku. Danemark : Dansk Folkeparti (DF). Estonie : Eesti Konservatiivne Rahvaerakond (EKRE). Finlande : Perussuomalaiset (Parti des Finlandais). France : Front National (FN). Grèce : Χρυσή Αυγή (Aube Dorée), Ανεξάρτητοι Έλληνες (Grecs Indépendants). Hongrie : Fidesz, Jobbik. Islande : Framsóknarflokkurinn (Parti Progressiste), Miðflokkurinn (Parti du Centre). Italie : Movimento 5 Stelle (M5S), Lega Nord. Lettonie : Nacionālā apvienība (Alliance Nationale), No sirds Latvijai (De la Lettonie avec le cœur). Lituanie : Tvarka ir teisingumas (Ordreet Justice), Lietuvos valstiečių ir žaliųjų sąjunga (Union des paysans et des Verts Lituaniens). Luxembourg : Alternativ Demokratesch Reformpartei (ADF). Macédoine : Внатрешна македонска револуционерна организација – Демократска партија за македонско национално единство (VPRO-DPMNE). Malte : Alleanza Bidla, Moviment Patrijotti Maltin. Norvège : Fremskrittspartiet.Pays-Bas : Partij voor de Vrijheid (PVV), Forum voor Democratie (FvD). Pologne : Prawo i Sprawiedliwość (PiS, Droit et Justice), Kukiz'15, Kongres Nowej Prawicy. Portugal : Partido Nacional Renovador (PNR). République tchèque : Akce nespokojených občanů (ANO), Svoboda a přímá demokracie-Tomio Okamura (SPD). Roumanie : Romania Mare, Partidul România Unită. Serbie : Srpska radikalna stranka (SRS). Slovaquie : Slovenská národná strana (SNS). Suède : Sverigedemokraterna (SD). Suisse : Union Démocratique du Centre (SVP/UDC), Lega. Turquie: Milliyetçi Hareket Partisi. Royaume-Uni : UK Independence Party. Ukraine : Pravy Sektor, Svoboda.

Cet article est publié en partenariat avec The European Data Journalism Network – CC/BY/NC

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