Image: Presseurop, T Moustafa

Diplomate en chef, un poste en or

Alors que la ratification du traité de Lisbonne est imminente, Con Coughlin, du Daily Telegraph, souligne que le poste de président de l'UE - que Tony Blair convoite - sera surtout honorifique. En réalité, le pouvoir devrait d'abord être concentré entre les mains du Haut représentant pour les Affaires étrangères et de sécurité.

Publié le 12 octobre 2009 à 15:54
Image: Presseurop, T Moustafa

Alors que le traité de Lisbonne est sur le point d'être officiellement ratifié par chacun des vingt-sept Etats-membres de l'Union européenne, l'attention se porte maintenant sur Tony Blair et sur la question de savoir s'il parviendra à réaliser son ambition, un rien douteuse, d'être le premier président de l'UE. Il y a encore quelques mois, l'affaire semblait entendue, puisqu'il avait réussi à s'assurer le soutien tant de Nicolas Sarkozy que d'Angela Merkel. Mais depuis peu, sa candidature suscite une certaine opposition.

Les fédéralistes, comme le député européen et ancien Premier ministre belge Jean-Luc Dehaene, remettent en cause la capacité de Blair à diriger l'UE. Ils rappellent qu'il n'a pas su faire entrer son pays dans la zone euro, que Londres n'a pas signé les accords de Schengen, lesquels seraient revenus à exiger du gouvernement britannique qu'il renonce de facto au contrôle de ses frontières. Blair est aussi en butte à la haine d'une grande partie de la gauche européenne à cause de son alliance étroite avec les Etats-Unis et son implication dans la guerre en Irak.

Les plus malins continuent malgré tout à parier sur lui, pourvu qu'il puisse toujours compter sur l'appui des Allemands et des Français. Ce qui est probable pour deux raisons. La première est que Sarkozy et Merkel reconnaissent tous deux que le nouveau chef de l'UE doit être une personnalité respectée capable de faire plus que se défendre dans les négociations avec les grands dirigeants de la planète, comme Barack Obama ou le Chinois Hu Jintao. Le second facteur, peut-être plus important, est que les Français aussi bien que les Allemands convoitent le poste du Haut représentant pour les Affaires étrangères et de sécurité qui, à leurs yeux, sera potentiellement plus influent que la présidence, et pas seulement parce que cette dernière sera une fonction plus honorifique qu'exécutive.

Un statut d'ambassade pour les missions de l'UE

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Quand le traité de Lisbonne entrera en vigueur - ce qui pourrait avoir lieu à la fin du mois, si la République tchèque vient à bout de son méticuleux processus de ratification -, le Haut représentant sera chargé de développer et d'officialiser les relations de l'UE avec le monde extérieur. La Commission travaille déjà d'arrache-pied en attendant le jour où elle pourra prétendre être une entité souveraine à part entière. Elle a ainsi établi un réseau de missions de l'UE partout dans le monde. Dans certaines régions du globe, comme en Amérique latine, ces missions disposent de plus de personnel que la plupart des ambassades européennes. Le représentant sera également habilité à négocier les traités au nom de l'UE, ce qui lui conférera des pouvoirs supérieurs à ceux du président pour ce qui est de façonner le destin de l'Union. Du reste, les ambitions de l'UE ne se cantonnent pas à la mise en place de Lisbonne.

Pour l'heure, le traité stipule que le cabinet du Haut représentant doit consulter et collaborer avec les services diplomatiques des Etats-membres, comme le ministère britannique des Affaires étrangères. Mais rien ne l'oblige à agir en fonction de leurs recommandations. Le fait que le Parti populaire européen (PPE), fédéraliste, le plus grand groupe représenté au Parlement, fasse vigoureusement campagne en faveur de l'attribution du statut d'ambassade aux missions de l'UE à l'étranger indique clairement quelles sont les ambitions diplomatiques de l'Union. Le PPE souhaite également que l'UE dispose d'un siège au Conseil de sécurité des Nations unies, prenant la place de la Grande-Bretagne ou de la France, voire des deux.

Le ministre allemand de l'Intérieur parmi les favoris

Si l'on part du principe que Blair va effectivement décrocher la présidence, le premier candidat en vue pour le poste de Haut représentant est Wolfgang Schäuble, le ministre allemand de l'Intérieur [sortant]. Il est avant tout connu sur la scène européenne pour avoir proposé, vers le milieu des années 90, la création d'une Europe à deux vitesses, la France et l'Allemagne continuant à progresser sur la voie rapide tandis que des pays situés hors de la zone euro, comme le Royaume-Uni, se retrouveraient abandonnés sur le bas-côté de la route.

Nous ne sommes pas encore sortis du maquignonnage auquel vont se livrer les Etats-membres avant que ces deux postes ne soient occupés, probablement d'ici la fin de l'année. Mais quel que soit le résultat, le projet d'une intégration européenne toujours plus marquée est sur le point d'accomplir un grand bond en avant.

PRESIDENCE DU CONSEIL

Donnons un visage à l'Europe

Quel est le principal problème du traité de Lisbonne ? Comme le sait tout apprenti journaliste souhaitant rendre compte d’un problème, le mieux est toujours de l’illustrer à travers l’histoire concrète d’un individu. Or il manque un visage à l’Union européenne. Le symbole de la réunification allemande est l’ex-chancelier Helmut Kohl, celui de l’essor de l’Allemagne de l’après-guerre est Konrad Adenauer. La révolution de Velours, en Tchécoslovaquie, est associée à Václav Havel. En Pologne, c’est Lech Walesa qui est le symbole de la chute du communisme. Ronald Reagan et Margaret Thatcher incarnent quant à eux la révolution conservatrice, tandis qu’au nom de Léonid Ilitch Brejnev est attachée la stagnation du communisme. Voilà peut-être comment expliquer pourquoi, de plus en plus, les Européens ont le sentiment que quelque chose ne va pas dans le processus d’intégration : ils ne parviennent pas à le personnifier.

L’Union européenne est une chose lointaine, qui demeure, anonyme et bien payée, dans les palais de verre du rond-point Schuman, à Bruxelles. Il manque un visage à l’Union européenne. Il lui manque également la force d’un récit. Et il est illusoire de croire que l’élection de Tony Blair ou d’un autre à la présidence du Conseil européen pourra y changer quoi que ce soit. En fait, tant que les Européens n’éliront pas eux-mêmes leur président et qu’ils ne reconnaîtront en lui le porteur du récit européen, rien ne changera.

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