La messe de Pâques dans l'église de Sarichioi, dans l'Est de la Roumanie

L’Eglise aux portes du purgatoire

A Bucarest comme à Athènes, la population confrontée à la crise accepte de moins en moins bien les privilèges de l'Eglise orthodoxe. Si rien ne change, l'institution devra payer un lourd tribut culturel, met en garde România liberă.

Publié le 9 novembre 2011 à 13:41
La messe de Pâques dans l'église de Sarichioi, dans l'Est de la Roumanie

La crise qui balaye l'Europe nous montre de manière de plus en plus pressante que chaque jour qui passe remet en question non pas la capacité des Etats à maintenir un minimum de solvabilité, mais la philosophie même qui a fourni jusqu'ici les fondements du système social et économique européen d'après la Seconde guerre mondiale.

Les idéologies classiques sont arrivées à échéance et leur mise au diapason avec la réalité est devenue de plus en plus difficile. Mais la crise économique actuelle ne sonne pas seulement le glas des dettes des Etats et la faillite des principes qui les ont rendues possibles. Elle marque l'arrivée à l'échéance de certains tabous, comme le statut des Eglises orthodoxes grecque et roumaine, et l'attitude provocante dont les deux entités font preuve dans le contexte actuel.

Depuis plusieurs mois, l'impudence des hauts prélats à Athènes et Thessalonique a atteint des sommets, après que les brebis égarées qui manifestent dans les rues ont commencé à faire preuve d'une certaine attention redistributive, en se concentrant non seulement sur le rejet des plans d'austérité, mais aussi sur la richesse, jamais évaluée, de l'Eglise orthodoxe [en Grèce et en Roumanie, elle est exemptée d'impôt et jouit de nombreux privilèges]. Il est regrettable que la pression sur le haut clergé ne résulte pas d'un débat public, mais plutôt d’une poussée de rage provoquée par des circonstances économiques et sociales extrêmes. L'Eglise orthodoxe roumaine est confrontée à une contestation semblable.

D'où les réactions laconiques de la hiérarchie ecclésiastique hellène sur le sujet et le cynisme avec lequel elle a envoyé promener les voix de la société civile qui ont cédé au péché de la contestation. Ce qui, là encore, est valable aussi chez nous. Mais au fur et à mesure que la situation se complique - et dire qu'en Grèce elle se complique est un euphémisme - les mouvements contestataires contre l'opacité et l'autisme de l'Eglise ont toutes les chances de s'amplifier, ainsi que la suffisance de ceux qui représentent l'institution orthodoxe.

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Après la crise économique, le choc culturel

Alors que l’indignation avait jusqu’à hier encore pour objet les finances de l’Eglise, c'est son influence politique et sociale qui pourrait devenir demain la cible favorite d'une vigilance populaire ravivée par la crise. L'histoire nous a montré que l'Eglise a souvent évolué en parallèle de la société, peut-être parce qu'elle s'est sentie submergée par sa position permanente sur la frontière entre deux mondes, le transcendant et l'immanent.

Cependant, depuis les grandes découvertes scientifiques et les grands bouleversements culturels, sociaux et politiques du siècle dernier, l'Eglise, malgré son influence écrasante, a été forcée de faire son aggiornamento. Elle ne l'a pas fait par conviction, ni même par principe, mais simplement pour survivre. En d'autres termes, elle s'est adaptée, même si cela lui a pris un certain temps - beaucoup de temps parfois. Le fera-t-elle aussi maintenant, puisque c'est nécessaire, voire plus que nécessaire ?

A ce stade, la crise en Europe est traitée comme une crise strictement économique. Ce n'est qu'une étape, en quelque sorte préparatoire, vers un choc culturel. Ceux qui ne le pressentent pas sont dans l'erreur, et ceux qui pensent savoir à quoi il ressemble se font des illusions.

Opinion

La folie des grandeurs

"L'Eglise orthodoxe roumaine (BOR) se comporte comme le patron d’une grande multinationale plutôt que comme un Dieu. Elle a mis la main sur tout ce qu'elle a pu, en laissant les œuvres de bienfaisance sur le compte des ONG", écrit Adevărul. "Peuple inhabituellement croyant en ces temps modernes", les Roumains, qui sont à 90% orthodoxes, vivent mal les mesures d'austérité imposées suite au prêt accordé par le FMI en 2009.

Car, pendant que les Roumains se serraient la ceinture, la BOR a engrangé 10 millions d’euros de bénéfices en 2010, d’après le Trésor public, tout en n’étant pas soumise à l’impôt et en ayant lancé la construction de la plus grande cathédrale du pays. “D’un côut de 120 millions d’euros, elle sera terminée en 2015”, précise România liberă, qui a compté pas moins de "4 000 autres églises construites au cours des 20 dernières années". Pour Adevărul, la BOR fait "preuve d’autisme social", et si elle ne change pas, elle est destinée à "pourrir, tel un poisson, en commençant par la tête".

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