Idées France-Allemagne
Sur le papier : nouvel ordre.

Le retour des vieux démons

Les propositions allemandes pour plus de discipline dans la zone euro passent mal en France. Plusieurs commentaires germanophobes révèlent une réalité indiscutable : les Français veulent bien de l'Europe, à condition qu'elle soit française, constate un éditorialiste des Echos.

Publié le 5 décembre 2011 à 15:13
Sur le papier : nouvel ordre.

Dans la semaine qui s'ouvre, qui sera conclue par le sommet européen du 9 décembre, la relation franco-allemande sera une nouvelle fois la clef d'une éventuelle sortie de crise. Dans ce domaine, une faute doit être reconnue et corrigée, et une erreur d'optique devrait être évitée.

La faute, lourde, c'est celle de toutes les voix germanophobes qui se sont exprimées avant le week-end. "Europe à la schlague" (Marine Le Pen) ; "La politique à la Bismarck de Mme Merkel" (Arnaud Montebourg) ; Nicolas Sarkozy, c'est "Daladier à Munich" (Jean-Marie Le Guen) , ce qui conduit à comparer la chancelière à Hitler ; "capitulation" (Martine Aubry)... Ces mots risquent de "réveiller les vieux démons" pour reprendre le titre de l'excellent dernier ouvrage de l'économiste Jean Pisani-Ferry.

Refuser ces pratiques de bouc émissaire qui injurient l'Histoire n'interdit pas de critiquer notre grand partenaire : sa lenteur à réagir depuis deux ans dans la crise de l'euro et sa focalisation sur la seule discipline budgétaire sont discutables quand la récession est là.

Mais les mots choisis ne sont jamais innocents et les propos de François Hollande dans Le Journal du dimanchehier ("Evitons les mots qui blessent") sont en deçà ce qui devait être dit.

Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

La force de Berlin, c'est la faiblesse de la France

Au passage, on est obligé de dire aussi que la force de Berlin, c'est la faiblesse d'une France dont la crédibilité sur les finances publiques est faible depuis longtemps et le reste aujourd'hui. On notera enfin, cette fois avec un sourire, que les Français veulent bien de l'Europe à la condition expresse qu'elle soit française !

L'erreur d'optique concerne les moyens de dénouer la crise actuelle. Les discussions entre la France et l'Allemagne portent sur l'automaticité des sanctions contre les pays cigales ; sur la réforme des traités (comment ? quand ? à combien, vingt-sept ou dix-sept ?) et le rôle de la Cour de justice, dont les enjeux sont réels sur la nature de l'Union ; elles concernent les moyens de rassurer les créanciers en leur assurant que leurs dettes ne seront plus effacées. Mais, en réalité, si un accord est nécessaire, il ne sera pas suffisant.

La solution à la défiance qui perdure sur les marchés (les sorties de capitaux, le fait que les entreprises empruntent moins cher que l'Etat) reste bel et bien entre les mains de la Banque centrale européenne, qui seule peut réassurer la zone euro désormais.

La détente sur les taux d'intérêt constatée ces derniers jours (le « spread » franco-allemand est passé de 220 à 100 points en dix jours) s'explique par le discours plus ouvert de Mario Draghi, son président. Tous les chemins mènent à Francfort.

Merkel-Sarkozy

La tête, les jambes et la banquière

L’entente affichée entre la chancelière allemande et le président français est travaillée jusque dans les moindres détails. Elle, en tailleur noir et collier argent, lui, en costume noir et cravate bleue ; elle affirme que c'est "la crise la plus grave depuis la création de l'euro", lui parledu "plus grand défi sans doute que l’Union européenne ait eu à relever depuis qu'elle existe".

Mais l'entente s'arrête là, explique Der Spiegel : les pommes de discorde restent les mêmes, à savoir le fonctionnement du fonds de sauvetage européen (FESF), le rôle de la BCE, et l’implication des créanciers privés dans les éventuels faillites des Etats.

Pour l'hebdomadaire de Hambourg, il y existe pourtant une marge pour un compromis : "Si les institutions européennes peuvent empêcher les gouvernements de vivre au-dessus de leurs moyens, il n'y a plus de raison de refuser la contrepartie : une responsabilité commune pour les cas d'urgence."

Mais pour l'instant, “Angela Merkel et Nicolas Sarkozy restent prisonniers des traditions politiques de leurs patries. Les Français ne veulent pas accepter l’indépendance de la Banque centrale européenne. Les Allemands pensent pouvoir profiter des avantages du marché commun sans prendre de responsabilité financière."

La méfiance règne au point que, raconte Der Spiegel, Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe, subit l'interrogatoire de l'un s'il vient de téléphoner à l'autre.

Autre anecdote rapportée par l'hebdomadaire: "En marge d'un sommet européen, Sarkozy dit à la chancelière: 'Angela, nous deux en Europe, nous somme la tête et les jambes.’ Non, répond Merkel, 'c'est toi, la tête et les jambes – moi, je suis la banque'."

Tags
Cet article vous a intéressé ? Nous en sommes très heureux ! Il est en accès libre, car nous pensons qu’une information libre et indépendante est essentielle pour la démocratie. Mais ce droit n’est pas garanti pour toujours et l’indépendance a un coût. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à publier une information indépendante et multilingue à destination de tous les Européens. Découvrez nos offres d’abonnement et leurs avantages exclusifs, et devenez membre dès à présent de notre communauté !

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez le journalisme européen indépendant

La démocratie européenne a besoin de médias indépendants. Rejoignez notre communauté !

sur le même sujet