Actualité République tchèque

Václav Havel, ni ange ni Dieu

L’ancien président tchèque ne cherchait pas le pouvoir pour le pouvoir. Mais depuis la fin du communisme il y a 22 ans, il a été indispensable à son pays. L’hommage du quotidien Hospodářské noviny après sa mort le 18 décembre.

Publié le 19 décembre 2011 à 15:32

L’interview "Je ne m’aventurerai jamais sur ce terrain" est parue dans la revue samizdat Sport, le prédécesseur de l’hebdomadaire Respekt. On était alors en septembre 1989. La Pologne venait d’organiser ses premières élections quasi libres et les Allemands de l’Est, à bord de leurs Trabant se frayaient, par des chemins tortueux, la route d’un nouvel avenir.

Dans une Prague grise et couverte d’échafaudages, un homme de 53 ans, sorti quelques mois auparavant d’un nouveau séjour en prison, se faisait lentement à l’idée qu’il allait passer les prochaines années de sa vie un peu différemment de ce qu’il aurait probablement souhaité.

Dans cette interview du journaliste Ivan Lamper, le leader de l’opposition tchécoslovaque, Václav Havel, insistait avec force sur le fait qu’il n’entendait absolument pas devenir un homme politique professionnel.

"Nous n’avons pas choisi la politique, c’est la politique qui nous a choisis. Et tout ce que nous faisons, nous le faisons pour mettre en place des conditions qui nous permettent de ne pas être obligés de nous consacrer à la politique", disait-il en citant son ami Adam Michnik. "Je ne suis ni un ange ni Dieu et n’ai de forces ni surhumaines ni herculéennes. Je ne peux pas changer cette nation… Mais je la servirai tant que je le pourrai […]"

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L'amour et la vérité

Trois mois plus tard, Havel est devenu président, et il a servi la "chose publique" les 22 années suivantes, jusqu’à son décès hier matin. Nous pouvons être certains qu’il continuera à la servir.

A la fin de l’année 1989, personne ne pouvait imaginer ce qui allait arriver. Un pays en déclin, où stationnaient encore plus de 70 000 soldats soviétiques, était alors à l’aube d’une transformation civilisationnelle qui allait concerner chacun d’entre nous.

"L’amour et la vérité doivent triompher du mensonge et de la haine" : c’est par cette formule célèbre que Václav Havel a résumé l’esprit euphorique de cette époque. Pour une très grande partie de la population, il est apparu comme le garant de cette victoire tant attendue. Il convient de rappeler ici une autre déclaration de Havel, liée à la première : sa promesse de conduire le pays jusqu’aux premières élections libres en juin 1990, puis de retourner à l’écriture.

Pour les contempteurs de Havel, c’est une preuve tout à fait caractéristique de son hypocrisie, car il a présidé le pays – avec un court intermède dans la seconde moitié de l’année 1992 au moment de la partition de la Tchécoslovaquie – pendant 13 longues années, au cours desquelles le match entre la vérité et l’amour d’un côté et le mensonge et la haine de l’autre n’a pas pris la tournure qu’il avait espéré.

L’effet Havel

Mais nous ne pouvons absolument pas savoir quel aurait été le cours des évènements, si Havel n’avait pas assumé cette responsabilité et si à l’été 1990 ou après la naissance de la République tchèque [le 1er janvier 1993], il avait pleinement profité de ce rôle pour lui plus naturel de star intellectuelle mondiale.

Havel a décidé de s’engager et de se mettre au service non seulement de son pays, mais de toute l’Europe postcommuniste. Et même s’il a dû réviser un certain nombre de ses idées originales (comme la dissolution complète de tous les pactes militaires) et que certaines d’entre elles sont apparues au mieux naïves, c’est lui qui, aux yeux du monde entier, a ramené toute la région dans le giron de la civilisation.

Bien sûr, il y avait au début une certaine fascination pour l’exotisme de ce président rock’n’roll qui, dans ce nouveau rôle qu’il avait endossé, refusait à la fois de changer d’habitudes et d’amis. Mais s’il n’y avait eu que cela, "l’effet Havel" se serait épuisé juste après 1990 quand Georges Bush, le Dalaï-lama, Margaret Thatcher, les Rolling Stones, le Pape ou François Mitterrand lui rendaient visite à tour de rôle.

Ce ne fut pas le cas. Havel est devenu comme une caution pour cette partie du monde, méritant d’être prise au sérieux et d’être aidée. Parmi toutes ces condoléances qui, hier, ont afflué du monde entier, les mots de Madeleine Albright ont sonné très juste : "Les Américains ont considéré Havel comme une preuve que les peuples d’Europe centrale voulent faire partie de l’Occident".

Lorsqu’au printemps 1997, Havel s’est demandé s’il devait pour la dernière fois se lancer dans la course à la présidence, il venait de sortir, 6 mois seulement auparavant, d’une lourde opération pour un cancer des poumons. Il avait alors parfaitement le droit de se retirer de cette atmosphère de plus en plus tendue qui régnait dans le pays, au moment où le "miracle économique" prenait fin en même temps qu’une époque dont Havel était le symbole.

Mais Havel a accepté ce nouveau défi. Et durant son dernier mandat, il a fait entrer son pays dans l’OTAN et l’a conduit aux portes de l’Union européenne.

Moral, conscience, responsabilité

Les Tchèques avaient besoin de lui, et cela même si sa côte de popularité dans le pays — contrairement à celle dont il bénéficiait à l’étranger — s’était peu à peu émoussée, atteignant 40 % à la fin de son dernier mandat il y a neuf ans.

Il en est ainsi. Václav Havel n’était, comme il l’a dit de lui-même dans Sport, ni un ange ni Dieu et il savait qu’il ne changerait pas la nation. Mais il a toujours servi son pays comme le lui dictait sa conscience. Il a constamment abordé toutes ces questions – dans un discours sans cesse martelé qu’avec le temps les gens ont été de plus en plus de mal à entendre – sur la morale, la conscience, la responsabilité, mais aussi le racisme ou la corruption, dont il a été capable de reconnaître très rapidement les dangers, dès le début des années 1990.

Tout cela, il l’a fait en ayant pleinement conscience que les gens allaient juger son discours à l’aune de leur propre expérience et de son action. Cette confrontation d’une autorité morale avec la politique réelle ne peut, semble-t-il, se terminer d’une autre manière que par une certaine désillusion de toutes les parties.

Certes, la vérité et l’amour ne triomphent pas du mensonge et de la haine, mais on ne peut douter que ce sont ses plus profondes convictions qui ont toujours guidé les discours et les actes de Havel, et que c’est là le chemin qui mène à cette victoire. Quoi qu’en pense, sur le moment, la majorité.

Littérature

Havel, le dramaturge inimitable

Les hommages sont nombreux pour saluer le dissident et chef d’Etat. Mais Václav Havel est aussi “le dernier vrai dramaturge international que nous ayons eu ces soixante dernièrs années”, rappelle Jana Machalická. La critique littéraire deLidové noviny rappelle qu’à partir des années 70, les communistes ont tout fait pour que Havel, en tant que dramaturge, soit “effacé du monde”. Mais en vain.

Quand, à la fin des années 80, ses pièces - Fête en plein air (1963), L'Audience (1975), Vernissage (1975) ou Largo desolato (1984)- ont lentement commencé à être jouées dans des théâtres, et non plus seulement dans des théâtres-appartements clandestins, “ce fut le signal que le régime était à bout de souffle”, souligne Jana Machalická. Et quand le régime est tombé, toutes les salles voulaient jouer Havel, “les gens se battaient pour avoir des billets pour les premières.”

“Son style est inimitable et pourtant toujours différent, irritant et plein de mystifications”, note la critique. Par l’usage d’une “poésie particulière qui relie le grotesque au théâtre absurde, les pièces de Havel vont au coeur des choses”, mais “la devise de Havel et sa philosophie ne peuvent pas être comprises si l’on ne connaît pas son oeuvre dramatique”. La dernière pièce de Havel, qu’il voulait titrer Sanatorium, restera inachevée.

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