Bratislava, un "Novinový stánok", kiosque à cigarettes, timbres et journaux. Photo : Gilderic/Flickr

Liberté de la presse, le combat continue

La vie des journalistes slovaques n’est pas un long fleuve tranquille. Confrontés à un gouvernement populiste qui cherche à les museler par la loi et les poursuites en justice, ils réussissent pourtant à révéler de nombreux scandales.

Publié le 16 novembre 2009 à 11:09
Bratislava, un "Novinový stánok", kiosque à cigarettes, timbres et journaux. Photo : Gilderic/Flickr

En Slovaquie, il n’est pas utile d’avoir beaucoup d’expérience pour devenir rédacteur en chef d’un journal, avance Matúš Kostolný, 34 ans, le patron du quotidien Sme. "Personne ne veut ce job", justifie Juraj Porubsky, du quotidien concurrent Pravda, qui a trois ans de moins. Publier un quotidien en Slovaquie n’est pas une partie de plaisir. Comme ailleurs, les journaux sont confrontés à une baisse du nombre des lecteurs. Mais surtout, ils doivent se débattre contre des autorités hostiles.

Depuis qu’une coalition de socialistes, de populistes et de nationalistes est arrivée au pouvoir, en 2006, la presse vit des temps difficiles. Le Premier ministre slovaque, Robert Fico, ne cache pas qu’il considère les journaux comme son principal ennemi. Ce qu’il aime par-dessus tout, selon Matúš Kostolný, c’est proférer des injures contre les journalistes. Habituellement, Fico les qualifie d’idiots, mais les termes de "prostituée" et de "serpent" sont aussi déjà tombés. Une situation que la presse écrite doit au caractère critique des informations publiées par les trois principaux journaux (Sme, Pravda et Hospodárske Noviny), à propos du gouvernement. Selon Gabriel Sipos, de Slovak Press Watch, on leur doit les trois quarts des scandales publiés.

Des scandales servis sur un plateau

Pour cela, ils n’ont pas à se donner beaucoup de mal. Le méli-mélo de populistes, nationalistes et semi-criminels qui, selon Sipos, sont au pouvoir à Bratislava, donnent beaucoup de grain à moudre à la presse. Les journalistes ont notamment de quoi faire avec les partenaires du Parti socialiste (SMER) de Fico au sein de la coalition. Le Parti national slovaque de Jan Slota, qui s’en prend aux Hongrois, aux tziganes et aux homosexuels, et le Parti populaire-Mouvement pour une Slovaquie démocratique de l’ancien Premier ministre Vladimír Mečiar qui, par sa gestion autoritaire dans les années 1990, a valu à la Slovaquie une mauvaise réputation, ne sont pas particulièrement connus pour leur respect des règles du jeu démocratique. Les promesses électorales de Robert Fico de s’attaquer à la corruption largement répandue n’ont pas encore abouti à grand-chose.

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De temps en temps, déclare Gabriel Sipos, les journaux remportent un succès. C’est ainsi que le ministre nationaliste des Infrastructures et du développement régional a récemment dû démissionner après des magouilles avec des fonds européens. Mais le prix que les journaux payent pour leurs critiques est extrêmement élevé. Il arrive que pendant des conférences de presse, Fico - qui, en tant que Premier ministre, peut compter sur l’appui de la télévision (d’État) - refuse catégoriquement de répondre aux questions des journalistes des trois principaux journaux. Les procès en diffamation sont une autre façon de museler la presse. En juin, le vice-Premier ministre Štefan Harabin, un membre du parti de Meciar, a réclamé 600 000 euros à trois journaux, dont Sme et Pravda, qui l’avaient accusé d’entretenir des liens avec un trafiquant de stupéfiants albanais. Fico a lui aussi intenté plusieurs actions en justice pour demander des réparations.

Un code de la presse désavantageux

Mais la plus grande menace pour la liberté de la presse en Slovaquie est constituée par le ‘code de la presse’ adopté l’année dernière par le Parlement. Ce code autorise un droit de réponse à toute personne qui se sent insultée. Ce droit de réponse doit être publié au même endroit que l’article incriminé, que les faits qui figurent dans l'article soient corrects ou non. Le refus de publication est sanctionné par une amende de 1 660 à 4 980 euros. Ce code de la presse n’a pas encore eu beaucoup d'effet. A quelques exceptions près, aussi bien Sme que Pravda ont refusé d’insérer les réponses. Le risque pour eux de devoir payer une amende dépendra des juges. Pour l’instant, ces derniers ne se hâtent pas pour prononcer un jugement. Mais pour Sipos, ce n’est pas forcément bon signe : "En Slovaquie, les tribunaux ne fonctionnent pas bien".

Le fait qu’aucun journal n’ait encore payé d’amende n’est pas du goût du Premier ministre. Après avoir été accusé par un tabloïd, en septembre, de payer 900 euros par mois de frais de scolarité pour son fils, il a menacé de renforcer la loi. Cela ne promet rien de bon pour la liberté de la presse. Dans leclassement annuel de Reporters sans frontières, publié récemment, la Slovaquie a basculé à la 44ème place, la plus grande chute dans le classement. L’an dernier, elle était encore au 7ème rang. On peut se demander si Fico, qui arrive largement en tête des sondages d’opinion, s’en souciera. Juraj Porubsky, rédacteur en chef de la Pravda, pense déjà que non : "De toute façon, les lecteurs de journaux ne votent pas pour lui."

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