"Si je veux appeler l’Europe, je téléphone à qui ?", aurait demandé Henry Kissinger. Image: Sharyn Morrow

Vous avez demandé l’Europe, ne quittez pas

L’attribution des postes de président du Conseil européen et de Haut représentant pour les Affaires étrangères va donner deux nouveaux visages à l’Europe. Mais cela compliquera aussi encore un peu plus l’action de l’UE. Bruxelles, combien de numéros de téléphone ? se demande Le Soir.

Publié le 19 novembre 2009 à 11:39
"Si je veux appeler l’Europe, je téléphone à qui ?", aurait demandé Henry Kissinger. Image: Sharyn Morrow

Qui sera choisi ? Le suspense reste entier sur l’issue du sommet des Vingt-Sept du 19 novembre au soir, qui devrait désigner le premier président permanent du Conseil européen, et le premier Haut représentant-vice-président de la Commission. Herman Van Rompuy était toujours donné comme favori pour la présidence du Conseil européen. Ce qui sans doute lui a valu, le 16 novembre, une attaque en règle du Daily Telegraph. Selon le quotidien conservateur, et eurosceptique, britannique, le Premier ministre belge est "un croyant convaincu en cette sorte de fédéralisme européen que le peuple anglais déteste". Retour aux vieux arguments…Le futur président du Conseil européen - quel qu’il soit - sera-t-il l’interlocuteur privilégié de tous ceux qui souhaitent parler à l’Europe ? Henry Kissinger aurait un jour demandé, dans les années 1970 : "Si je veux appeler l’Europe, je téléphone à qui ?" ("If I want to call Europe, who do I call ?").

Les initiateurs du site Internet Who do I call ? n’ont par conséquent pas été entendus. Ils plaident pour la création d’un poste unique de président de l’Union européenne, à la fois chef de la Commission et du Conseil… Pour parler à l’Europe, on pourra dorénavant composer quatre numéros de téléphone : celui du président du Conseil européen, celui du président de la Commission, celui du haut représentant-vice-président de la Commission ou celui de la présidence tournante semestrielle. On devrait même ajouter à cette liste le numéro de téléphone du président du Parlement européen – actuellement le Polonais Jerzy Buzek. L’Europarlement va en effet connaître, avec le nouveau traité, une spectaculaire montée en puissance. Celui qui veut parler à l’Europe devra donc choisir le "guichet" auquel il va s’adresser. Pour s’y retrouver, il ne faudra pas être expert en droit européen. Mais presque.

Le président du Conseil européen. Cette fonction de président des "sommets" européens (qui deviennent une institution à part entière) est à inventer. Le traité de Lisbonne explique que "le président du Conseil européen assure la préparation et la continuité des travaux du Conseil européen en coopération avec le président de la Commission, et sur la base des travaux du Conseil des affaires générales. (…) Il assure, à son niveau, la représentation extérieure de l’Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, sans préjudice des attributions du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité". Le président permanent du Conseil européen (mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois) sera-t-il dès lors simplement, "à son niveau" – chefs d’Etat ou de gouvernement – un porte-parole à spectre limité ? Tél. : +32 2 285 61 11

Le président de la Commission . José Manuel Barroso fait mine de ne pas s’en faire, et appelle à une coopération loyale entre les institutions. Mais il est certain que l’arrivée du président permanent du Conseil européen va lui faire de l’ombre. Lui-même et ses collaborateurs répètent d’ailleurs à souhait qu’il restera l’interlocuteur des chefs d’Etat ou de gouvernement étrangers pour toutes les matières qui ne relèvent pas directement de la "PESC" (Politique étrangère et de sécurité commune). Vous voulez parler de commerce ? d’énergie ? de climat ? Il faudra appeler José Manuel Barroso, qui n’entend pas se laisser marcher sur les pieds. En termes de pouvoirs – et donc de poids –, il ne faut pas oublier que la Commission garde le monopole de l’initiative législative : elle seule peut proposer des lois européennes.

Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

Tél. : +32 2 299 11 11

Le Haut représentant. Il sera aussi, en vertu du traité de Lisbonne, vice-président de la Commission. Il aura de ce fait une double légitimité. "Le Haut représentant conduit la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union. (…) Il veille à la cohérence de l’action extérieure de l’Union. Il est chargé, au sein de la Commission, des responsabilités qui incombent à cette dernière dans le domaine des relations extérieures et de la coordination des autres aspects de l’action extérieure de l’Union. (…) Il représente l’Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune." Il dirigera le nouveau Service européen pour l’action extérieure, un mastodonte de plusieurs milliers de membres. Tél. : +32 2 281 56 60 (Solana, haut représentant sortant)

La présidence tournante. Les Suédois ne seront pas les derniers : la présidence tournante semestrielle continuera à exister à l’avenir. Elle va perdre 10 %, dit-on, de ses responsabilités. Elle ne présidera plus les sommets des chefs d’Etat ou de gouvernement (ce sera le président permanent du Conseil européen). Et elle ne présidera plus les conseils Affaires étrangères (ce sera le haut représentant). Mais elle présidera le très important conseil Affaires générales, qui sera le vrai poste de pilotage des capitales, et tous les autres conseils ministériels : Ecofin, Agriculture, Justice et Affaires intérieures, etc. Et la présidence tournante aura toujours son programme et ses priorités – mais il faudra travailler en trio de présidences, pour la continuité des choses. L’Espagne va essuyer les plâtres, dès le 1er janvier. Comment l’ego de José Luis Zapatero va supporter le changement ? C’est un des enjeux…Tél. : +46 8 405 10 00 (Reinfeldt), +34 91 321 40 00 (Zapatero)

COULISSES

Les hauts fonctionnaires comptent aussi

On peut faire encore plus opaque. Derrière les marchandages autour des deux postes clés de président du Conseil et de Haut représentant, derrière les discrètes négociations pour répartir les portefeuilles de commissaires, une autre course se déroule entre une vingtaine de candidats. "La deuxième ligne compte aussi", titre le Tagesspiegelen notant que l'Allemagne - absente du futur duo de tête de l'UE - tire les ficelles en coulisses pour placer ses hommes de confiance àdes postes juste en dessous du niveau de la Commission.

Premier emploi en jeu: le Secrétaire général du Conseil de l'Union européenne, actuellement occupé par le "très influent" français Pierre de Boissieu. "La France se montre très intéressée de continuer à organiser le travail au Conseil, mais l'Allemagne aussi va envoyer un candidat", rapporte le quotidien berlinois. Autre position convoitée: le Secrétaire général du service extérieur de l'UE. "Il tirera les ficelles en éminence grise", raison pour laquelle sa désignation devait être décidée en même temps que celles du Président et du Haut représentant.

Tags
Cet article vous a intéressé ? Nous en sommes très heureux ! Il est en accès libre, car nous pensons qu’une information libre et indépendante est essentielle pour la démocratie. Mais ce droit n’est pas garanti pour toujours et l’indépendance a un coût. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à publier une information indépendante et multilingue à destination de tous les Européens. Découvrez nos offres d’abonnement et leurs avantages exclusifs, et devenez membre dès à présent de notre communauté !

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez le journalisme européen indépendant

La démocratie européenne a besoin de médias indépendants. Rejoignez notre communauté !

sur le même sujet