Image du film "Comment j'ai fêté la fin du monde", de Cătălin Mitulescu (2006)

Le blues des "decretseï"

Ils ont entre 20 et 40 ans et sont nés à l’époque où le régime de Ceausescu interdisait la contraception et l’avortement. Ils ont fait la révolution de 1989, mais ce sont les plus jeunes qui en tirent le bénéfice. Portrait d’une génération sacrifiée.

Publié le 14 décembre 2009 à 14:22
Image du film "Comment j'ai fêté la fin du monde", de Cătălin Mitulescu (2006)

Si l'on essaie de trouver une définition certaine, qui fasse l’unanimité, la plupart choisissent de considérer comme "décretsel" toute personne née entre 1966, année du décret 770 interdisant l'avortement et la contraception en Roumanie, et 1990, année de son abrogation.

A la suite de ce décret, le taux de natalité est passé de 14,7 ‰ en 1966 à 27,4 ‰ en 1967. En 1972, l’application du décret fut étendue aux femmes jusqu’à 45 ans au lieu de 40, et le nombre d'enfants par femme passa de quatre à cinq.

Certains soutiennent que les naissances à partir 1967 ont conduit à des cohortes de décretseï "nés sur commande" en raison d'une expérience sociale inhumaine. D'autres soutiennent que seuls ceux nés jusqu’en 1968 pourraient porter cette étiquette, car après un certain temps, les gens avaient réussi à s'adapter à ce style de vie où la sexualité était vécue comme une contrainte. Plutôt que les différencier, nous pouvons les considérer simplement des enfants ayant grandi sous le communisme, des "enfants clé au cou" [en référence à la clé qu’ils portaient de cette manière dès qu’ils sortaient de chez eux]. Ce sont ceux qui avaient approximativement 20 ans en 1989.

Un désir de vengeance

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Certains sont pleins de reproches envers leurs parents : "Nous ne devrions pas être nés". "Je sais qu'ils ont essayé pendant des années avant de m'avoir, mais ma sœur est venue après, ‘par erreur’", affirme une femme que nous avons rencontrée. "Elle n'arrive toujours pas à surmonter le moment où notre mère lui a dit qu'elle n'était pas planifiée." De là est née la conviction sous-jacente que ce sont eux qui ont sauté sur l'occasion de renverser Ceausescu - la révolution de la jeunesse - portaient dans leurs âmes un désir de vengeance.

De nombreux decretseï estiment que, même s'ils n’ont pas pu assister à la naissance de l'ordinateur et des téléphones cellulaires, parce qu’il étaient isolés de ce qu'avaient les enfants au-delà du rideau de fer, ils ont une meilleure capacité d'expression et sont de meilleurs blogueurs. Cela semble paradoxal, non ? Serait-ce dû à un attrait généré par la frustration, à un rattrapage du temps perdu ou au fait qu’ils ont prolongé leur adolescence, surtout les hommes ?

Une génération tragi-comique ?

Qui sont-ils ? Les citoyens disciplinés étaient créatifs car les besoins développent l'imagination. Ils avaient la passion des collections (Pif Magazine, capsules). Ils sont aujourd’hui persévérants, solides, orgueilleux, batailleurs, mais aussi cruels. Mais ils regardent leur passé avec amertume, car, frustrés, ils se cachaient pour avoir de vrais sentiments. Ils ont encore le réflexe de la naïveté. Il leur est difficile d’accepter de ne pas savoir de quoi l'avenir sera fait. Ils ont des doutes sur les valeurs à transmettre à leurs enfants.

Y a-t-il plus de deux millions "d'enfants de trop" ? Sont-ils violents, comme le soutient une psychologue italienne, Margherita Carotenuto, qui estime que "la violence génétique des décretseï est la cause des délits commis par des Roumains en Italie" (février 2009, dans Il Sole-24 Ore). Il est certain que ceux qui restent ne peuvent pas effacer leur enfance. L'oubli n'est pas volontaire, et la mémoire est sélective.

Les decretseï sont-ils une génération tragi-comique ? Une génération hybride, à cheval entre deux mondes, témoin du choc des valeurs, égarée dans un monde où la génération suivante a confisqué l'espace public et réussi socialement de manière incompréhensible, et impuissante à prendre le pouvoir - après tout, ce sont eux qui ont "fait la révolution".

Anniversaire

Des poèmes pour fêter la révolution

Cotidianul, 14.12.09Le coup d'envoi des commémorations pour les vingt ans depuis la chute du régime de Nicolae Ceausescu et de la révolution de décembre 1989 a été donné le 14 décembre à Iasi. Dans cette ville du Nord de la Roumanie ont été lancés Les manifestes des poètes, raconte Cotidianul: un happening qui durera jusqu’au 22 décembre, jour où le dictateur communiste a été arrêté, marquant la fin du régime. A l’initiative du plasticien Mihai Zgondoiu, vingt poètes roumains racontent à travers leurs textes comment ils ont vécu la révolution et font revivre l’esprit de cette époque. Parmi eux, le prix Nobel de littérature 2009 Herta Müller, qui est originaire de la région de Timisoara, où la révolution a commencé. Vers, photos, dessins, leurs œuvres seront publiées sous la forme d’un livre, Manifest.20.rEvolutie. Le point d’orgue de la manifestation sera le largage, le 18 décembre, de 50 000 manifestes d’un hélicoptère survolant Timisoara.

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