Bons baisers des mal aimées. © Presseurop

Les mal aimées se rebiffent

On les déteste et elles aiment ça. Rebelles, insolites, portuaires, six métropoles européennes ont décidé de se regrouper dans un réseau d'inspiration culturelle. Objectif : faire une richesse de leurs particularités.

Publié le 7 janvier 2010 à 16:02
Bons baisers des mal aimées. © Presseurop

L'idée a germé en 2005 à Liverpool, lorsque le port, qui détient des records de chômage et de criminalité, obtenait le label de capitale européenne de la culture 2008. De sa mauvaise réputation, la ville des Beatles décida de faire une force, et d'y associer des cousines d'Europe dans un jumelage incongru. Derrière cette idée, deux hommes : Bob Scott, le meneur du projet 2008, qui souhaitait apporter un surcroît d'Europe à son programme, et Franco Bianchini. Pour cet universitaire toscan installé à Liverpool, la communauté de destin de ces villes est flagrante. Mêmes handicaps, même charme trouble, même réputation outrée. Pour étoffer le réseau, Istanbul fut approchée en raison de son projet pour 2010, mais surtout en tant que ville aux confins des continents et des religions, laissée au bord de l'Europe officielle. Brême, ville portuaire étouffée par Hambourg, se rallia à son tour. Puis Gdansk vint représenter la nouvelle Europe. Mal aimé, ce sextet ? Derrière le slogan fondateur, il faut plutôt chercher le sentiment d'une méconnaissance, d'une incompréhension.

Prenons Marseille. Comment être une ville française comme les autres lorsqu'on fut indépendante (entre 1592 et 1596), prise de force par Louis XIV, qui tourna les canons de ses forts vers la ville plutôt que vers le large ; ville sans nom en 1794 pour excès de rébellion ; sous tutelle de l'Etat en 1936 après l'incendie des Nouvelles Galeries, qui avait révélé la mise en coupe réglée de la municipalité ? Alessi Dell'Umbria, dans son Histoire universelle de Marseille, explique l'évolution de la ville par cette constante quête d'indépendance. Et Naples ? L'une des plus vieilles cités d'Europe, patinée par les influences, dont on ne parla guère ces derniers temps que pour l'amoncellement de ses ordures ou les menaces de la Camorra contre l'écrivain Roberto Saviano. Ou Liverpool ? Qui peut en citer un monument ? Un homme politique ? La ville est écrasée par les Beatles et les Reds, comme Marseille l'est par Pagnol et l'OM. Brême aussi, toujours et sans cesse comparée à Hambourg la riche. Gdansk, enfin, à la recherche constante de son identité niée par les pouvoirs successifs... Une ville phénix, comme Istanbul. Ils sont nombreux dans tous ces pays à mépriser ces exilées intérieures qui ne furent jamais que les capitales d'elles-mêmes.

La politesse de la révolte

Paradoxe : ces mal-aimées attirent. Les bobos parisiens en quête de vraies gens filent à Marseille en TGV. Et l'effet "Plus belle la vie" séduit les bambins. Brême dispose d'une des universités les plus attractives d'Allemagne. Naples assume sa devise. Istanbul incarne la modernité à la frange d'une Turquie encore largement rurale. Franco Bianchini, alors étudiant en aménagement urbain, a vécu cette expérience d'attraction et de répulsion à Naples. En ce temps de réflexion sur l'identité, ces marginales brouillent les cartes, mais affinent le débat. Brême est aussi le plus petit Land d'Allemagne. Gdansk fut tour à tour allemande, membre de la Ligue hanséatique, autonome, polonaise. Istanbul fut Byzance, puis Constantinople... Mouvantes, sans cesse au bord de la crise, elles ont traversé leur histoire le sourire aux lèvres, avec une dérision qui est aussi la politesse de la révolte.

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Affreuses, sales et méchantes, elles nourrissent un milieu envahissant, parfois folklorique, mais sont aussi des centres de revendication, des aiguillons. En définitive, le réseau fonctionne mieux sur le terrain qu'auprès des institutions. Fin 2008, le soufflé est retombé. Sentant qu'il y avait peu de profit à tirer de l'initiative, Naples s'est défilée. A Istanbul, l'enthousiasme initial s'est dilué dans les incessants changements d'équipe à la tête du programme 2010. Liverpool a essayé de faire agréer le réseau par le Programme culture 2007 de l'Union européenne. Contre toute attente, il fut rejeté. Aujourd'hui, Bernard Latarjet, qui préside le comité Marseille-Provence 2013, ne lâche pas le morceau, et "Cities on the Edge" reste ouvert pendant les travaux : "Liverpool nous a passé le relais. Nous avons un engagement moral." Il entend bien développer le réseau vers le sud, à Tanger ou à Valence, et présenter une nouvelle fois Cities on the Edge aux suffrages de Bruxelles. "C'est un projet véritablement européen, absolument exemplaire. Le rejet par Bruxelles est totalement incompréhensible. Que veulent-ils de plus ?", s'étonne-t-il. Istanbul, dont l'équipe organisatrice a changé à trois reprises déjà, a annoncé au dernier moment le programme détaillé de son mandat de capitale culturelle. On the edge, toujours.

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