Un magasin fermé dans la rue Ermou, la principale rue commerçante d'Athènes. (AFP)

Le jeu de domino qui menace l'euro

Une faillite de la Grèce inquiéterait les marchés et mettrait la monnaie unique en danger. Voilà pourquoi, Allemagne en tête, certains pays membres plaident pour que tous mettent la main à la poche.

Publié le 19 janvier 2010 à 10:45
Un magasin fermé dans la rue Ermou, la principale rue commerçante d'Athènes. (AFP)

Les Allemands doivent se serrer la ceinture mais aussi venir au secours de leurs partenaires moins vaillants où ils aiment tant passer leurs vacances. La faillite d'un Etat reste rarement confinée à ses frontières. En l’occurrence, elle pourrait signer l'arrêt de mort de l'euro, provoquer un chaos monétaire dans toute l'Europe et mettre en péril la stabilitéde tout le continent. C'est comme un jeu de domino, dont la première pièce est tombée le 8 décembre 2009, à Londres. Ce mardi-là, Brian Coulton a rendu son jugement sur la Grèce. Coulton dirige le service d'analyse de l'agence de notation Fitch qui détermine la cote de solvabilité des pays. Dans son ordinateur, une nation se réduit à une rangée de chiffres: taux de croissance, taux d'inflation, niveau d'imposition. Son travail consiste à comparer toutes ces données aux discours des gouvernements et à leur donner une note qui vaut de l'or. La meilleure - AAA - est appliquée à des pays comme l'Allemagne et leur permet d'emprunter des capitaux aux meilleures conditions.

Depuis quelques semaines, Brian Coulton est préoccupé par les nouvelles qui lui parviennent d'Athènes. A 13 heures 27, sur l'écran d'une grande banque de Francfort défile le message suivant: "Fitch abaisse la note de la Grèce à BBB+ ". La nouvelle s'affiche sur tous les écrans télés branchés sur l'agence financière Bloomberg, autrement dit plusieurs milliers dans le monde : BBB+, cela veut dire "attention, risque de faillite!". Immédiatement, les grands investisseurs commencent à vendre leurs obligations du gouvernement grec. Des dettes importantes ne mènent pas inévitablement au chaos. [Au XIXème siècle, l'Espagne a été en faillite à huit reprises]. Les faillites d'Etat sont dangereuses car leurs conséquences sont difficiles à prévoir. Les pertes rendent les marchés nerveux et la nervosité des marchés n'apporte jamais rien de bon. Les investisseurs se retirent d'autres économies, qui ne sont pas impliquées, pour l'unique raison qu'elles ont une réputation de faiblesse. Et ne prête-on pas des finances instables à la moitié du monde ?

Une intervention étrangère, le cauchemar de tout dirigeant

La Grèce, l'Italie ou l'Espagne pourraient être tentées de revenir aux drachmes, aux lires et aux pesetas pour dévaluer leur monnaie et ainsi stimuler leurs exportations. Les spéculateurs pourraient se remettre à parier pays contre pays, comme par le passé, mettant en péril la prospérité de l'ensemble des nations européennes. L'Allemagne a toujours mis ses voisins en garde contre ce scénario. Mais aujourd'hui, à Berlin, le gouvernement est unanime: les pays européens doivent intervenir avant d'en arriver à la faillite. La question n'est toutefois pas seulement de savoir si les Allemands veulent bien venir au secours des Grecs mais si ces derniers veulent bien de leur aide. Car "sauver" signifie aussi "participer au gouvernement". Les pays [ainsi] secourus perdent une partie de leur souveraineté au profit de l'étranger. Le contrôle des finances, privilège du Parlement dans tout système démocratique, est perdu. Un cauchemar pour tout chef de gouvernement. Bon nombre d'économistes plaident néanmoins pour cette solution car ce n’est pas la crise financière qui a précipité ces pays dans le marasme économique. Elle les y a seulement un peu plus enfoncés. Le gouvernement grec a falsifié ses performances économiques. Les Italiens et les Portugais ont laissé les salaires augmenter deux fois plus vite que la moyenne européenne. Le gouvernement espagnol n'a rien fait contre la spéculation immobilière. Pour sortir de la crise, tous ces pays vont devoir rabaisser le niveau de leurs salaires afin de redevenir compétitifs.

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En 2003, lorsque le gouvernement rouge-vert [de Gerhard Schröder] a annoncé son agenda 2010, l'économie allemande s’est enfoncée dans la crise. Les entreprises ont rationalisé leurs dépenses, les salariés ont renoncé à être augmentés. Et l’Allemagne a réalisé un petit miracle salarial. Le gouvernement a perdu les élections [en 2005] mais les entreprises allemandes ont pu écarter leurs concurrents européens jusqu'alors moins chers. En un sens, les premiers dominos vers les faillites grecque, espagnole et italienne ne sont pas tombés à cause de l'agence Fitch mais des entreprises allemandes et de leurs services de paie. L'union monétaire est au bord de l'abîme parce que chaque Etat membre n'a recherché que son propre intérêt. La Commission européenne plaide désormais pour une plus forte convergence des politiques économiques nationales. Tous les pays doivent être prêts à accepter une intervention extérieure. Le Premier ministre espagnol a même souhaité des sanctions contre les Etats rétifs. Cela ferait peut-être mieux passer la pilule de perte de souveraineté à Athènes.

VU DE POLOGNE

Plus de pitié pour les PIGS

"Fini le laxisme à l'égard de l'Europe du Sud", annonce le quotidien de Varsovie Dziennik Gazeta Prawna au sujet du Portugal, de l'Italie, de la Grèce et de l'Espagne. Protégés par l'euro, ces pays, surnommés les PIGS, se sont souvent autorisés à mener des politiques économiques de courte vue, jugées irresponsables - la forte croissance de la zone euro dissimulant leurs problèmes structurels. Ainsi, le déficit actuel de la Grèce atteint 14% du PIB et celui du Portugal, 12%. Des coupes budgétaires drastiques et l'imposition d'une discipline financière semblent être la seule solution. Mais cela risque de retarder encore leur sortie de la récession, observe le quotidien. L'Espagne est confrontée à une situation particulièrement difficile : sa dette publique s'élève à 67% du PIB et l'endettement des consommateurs atteint 177% du PIB. A ces chiffres catastrophiques, s'ajoutent ceux du chômage, vertigineux : 45% des Espagnols âgés de moins de 27 sont chômeurs. Selon Hugo Brady du Centre for European Reform (CER) basé à Londres, après des années de prospérité, ces pays du sud de l'Europe devraient bientôt être devancés par plusieurs nouveaux pays membres.

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