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Footballeur, peintre, acteur, collectionneur et maintenant photographe, "Canto" est à l'affiche au théâtre à Paris. (photo : AFP)

Eric Cantona, artiste né

Après avoir joué son propre rôle dans Looking for Eric, de Ken Loach, l'ancienne vedette de Manchester United est à l'affiche d'un grand théâtre parisien. Portrait d'un footballeur de légende en artiste sensible et passionné.

Publié le 26 janvier 2010 à 11:53
Footballeur, peintre, acteur, collectionneur et maintenant photographe, "Canto" est à l'affiche au théâtre à Paris. (photo : AFP)

Il débute au théâtre, et il ne le fait pas à moitié. Pendant une heure et demie, Eric Cantona sera seul sur scène dans une pièce contemporaine, Face au paradis, de Nathalie Saugeon. C'est à partir du 26 janvier, au Théâtre Marigny, à Paris. Dans un décor de fin du monde, il joue Max, un mourant terré dans une cavité. Et il n'a même pas peur. "Je sais où je vais", dit Eric Cantona, qui convoque son passé de footballeur. "Mon but, gamin, était de jouer ma pièce devant 80 000 personnes et je l'ai fait. Alors une salle de 400 places..." Il y a une énigme Cantona. Pourquoi un footballeur français, élu "joueur du siècle" en 2001 par les supporteurs de Manchester United, club anglais où il a joué dans les années 1990, ne cesse d'ajouter des cordes à son arc culturel ?

Le CV officiel intrigue. Il a peint des tableaux. Il a joué dans onze films, depuis Le bonheur est dans le pré (1995), d'Etienne Chatiliez, jusqu'à Ensemble, c'est trop (en salles le 17 février), de Léa Fazer. Il a monté les marches du dernier Festival de Cannes, comme acteur et coproducteur de Looking for Eric, de Ken Loach. Un livre récent dévoile le photographe : Elle, lui et les autres (éd. DDB) réunit ses portraits de mal-logés pour la Fondation Abbé Pierre. Il est aussi collectionneur d'art. Il a produit des pièces de théâtre. Il a créé la société de production Canto Bros. Cantona artiste, la France est sceptique. Son image est celle d'un homme ingérable, arrogant, qui n'a pas trouvé sa place. L'Angleterre, en revanche, l'adule comme on ne peut l'imaginer chez nous. Il est vrai que, pour Cantona, le foot relève de l'art. Il jouait le buste droit, prolongé par le col du maillot relevé. Il fêtait ses buts en s'arrêtant net, les bras ouverts, comme s'il absorbait la clameur du public.

Les dix plus beaux buts anglais d'Eric Cantona

Son père, Albert Cantona, était infirmier psychiatrique et peintre. "A 10 ans, Eric me regardait peindre et il dessinait beaucoup, raconte Albert Cantona. Il voulait que je l'emmène voir des expositions." Eric Cantona quitte l'école à 15 ans pour rejoindre le club d'Auxerre, où il décroche son premier contrat pro. En Bourgogne, il peint beaucoup. Il expose ses toiles, en 1988, à Marseille. Elles sont violentes, expressionnistes, très colorées, avec du feu, des dollars partout. Le collectionneur est également précoce. A 22 ans, il a acheté une dizaine de tableaux de peintres post-impressionnistes. Son goût a fortement évolué vers des artistes actuels. Il a acquis récemment cinq toiles de très grand format de Ronan Barrot. En photo, il collectionne Saul Leiter, Sarah Moon, Sabine Weiss, Lucien Hervé, le Chinois Fan Ho...Depuis sept ou huit ans, Cantona ne peint plus, il photographie. En argentique, sans recadrage ni retouche. C'est brut comme son personnage. Il ne veut pas non plus que l'on retouche les portraits qu'on fait de lui. "Pourquoi m'améliorer, je ne vends pas de l'illusion." Il a trois sujets : des détails abstraits en couleur, la tauromachie en noir et blanc, qu'il a exposée, et les mal-logés.

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Multiplier les expériences

Sa relation aux livres, comme à l'art, est charnelle. De Pasolini, il a vu tous les films, lu tous les livres. Au festival de cinéma de Locarno (Suisse), en 2008, Pasolini est au cœur d'un échange avec un cinéaste qu'il admire, Bertrand Bonello, diamant du cinéma d'auteur. "Nous avons parlé de Qui je suis, que Pasolini écrit quand il pense qu'il va mourir, raconte Bonello. Eric avait un jugement très juste, très personnel, sur ce livre." Les poètes qu'il admire : Ezra Pound, Antonin Artaud, Yves Bonnefoy, les cinéastes Pasolini, Renoir, Fassbinder, les écrivains Oscar Wilde ou Hermann Hesse, les peintres Zoran Music ou Antoni Tàpies. On peut cerner, à partir de cet ensemble cohérent, ce qui consume Cantona : un art expressionniste qui parle - comme la pièce qu'il va jouer - de la mort, de la guerre, de l'exclusion, du déracinement, de cauchemars. De la recherche de soi, aussi. A 20 ans, à Auxerre, il suit une psychanalyse. "Ça m'a aidé à me connaître, dit l'intéressé. Et puis c'est devenu n'importe quoi."

Se dessine un artiste romantique, écorché, maître de lui, un torero qui cherche sa place dans l'arène, avance en maniant le mot brutal et le geste violent - en 1995, Cantona avait châtié un supporteur insultant. La vision est un peu cliché mais sincère. Veut-il devenir grand acteur, comme il fut grand footballeur ? On sent plutôt qu'il veut multiplier les expériences. "Il y a tellement de choses que je veux faire..." Il a un projet de film, confie son frère Jean-Marie Cantona, à partir de l'histoire de leur grand-oncle, d'origine sarde. Eric dit aussi qu'il sera un jour photographe de guerre. "Dans sept ans."

Le coup de pied de Cantona contre un supporteur en 1995

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