Photo: Adam Gault

Des unions qui ne font pas notre force

Bonne nouvelle : de l’Asie aux Amériques, les associations régionales se multiplient sur le modèle de l’UE. Mauvaise nouvelle : elles risquent à terme de faire de lui faire de l’ombre sur la scène internationale.

Publié le 9 février 2010 à 13:42
Photo: Adam Gault

Presque quatre fois plus d’habitants que les 27 pays de l'UE, une superficie de 14 millions de km2 et un produit intérieur brut de plus de 6 000 milliards de dollars : telles sont les caractéristiques de la nouvelle zone de libre-échange formée le 1er janvier par la Chine et les dix pays de l’ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique), dont l'Indonésie, Singapour et la Thaïlande.

Pékin signifie ainsi qu’elle compte unir ses voisins autour d’elle, plutôt qu’entretenir les dissensions. En 2013, le groupe Chine-ASEAN pourrait s’élargir au Japon, à la Corée du Sud, à l'Inde, à l'Australie, et même à Taiwan, pourtant en conflit avec la Chine. Dans les vingt à trente prochaines années, l’union la plus puissante de tous les temps verra le jour en Asie, la zone de libre-échange n’étant qu’une étape préliminaire à l'union douanière et monétaire, assure Krzysztof Rybinski, professeur à l’Ecole de commerce de Varsovie.

Un contrepoids économique

On peut se demander de quel pouvoir d’attraction disposera une union régionale entre la Biélorussie, la Russie et le Kazakhstan, lancée le 1er janvier dernier. Ces pays, également membres clefs de la Communauté économique eurasiatique (CEEA), ne forment pour l’instant qu’une union douanière. L’objectif annoncé de constituer un "contrepoids" à l'UE doit attirer les pays de l’ex-Union soviétique. Mais l’absence de logique d’action à long terme, le poids des systèmes fiscaux défavorables et une masse de formalités rendent infructueuse toute tentative de stimuler les échanges mutuels au sein de la CEEA.

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L'absence de réelle concurrence de la part de la CEEA est une maigre consolation pour l'Union européenne. Son économie est comme un athlète qui aurait remplacé la salle de musculation par un régime MacDonald's. Depuis plusieurs années, la balance des échanges commerciaux de l’UE est négative : elle achète plus qu’elle ne vend. Son PIB, pourtant gigantesque, de 19 000 milliards de dollars (13 800 euros) contraste avec le déclin de sa croissance (environ 0,5 % en 2009, contre 3% en 2006). C’est le résultat d’une mauvaise gestion des priorités : on n’avait pas encore achevé l'intégration économique que l’on entamait déjà l'intégration politique.

Le PIB de l'ALENA rattrape celui de l'UE

Le succès initial de l'UE a néanmoins incité les autres régions du monde à créer des unions régionales. La plupart n’auront de réel pouvoir que dans quelques décennies, mais elles parviennent déjà à s’imposer sur les marchés jusqu’alors réservés à l’Europe. Selon le Fonds monétaire international, la part de l’UE dans le PIB mondial passera en 2014 de 30 % à 25 %. L’ALENA, (Accord de libre-échange nord-américain) entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada dispose déjà d’un PIB comparable à celui de l’UE, mais qui progresse plus rapidement, même en temps de crise. La force de l’ALENA réside non seulement dans une politique douanière harmonisée, mais aussi dans une politique tournée vers les investissements réciproques dans les pays membres.

Bien qu’elle ne soit pas une union parfaite (notamment à cause de la politique migratoire des Etats-Unis, qui exclut la libre circulation des personnes), l'ALENA ambitionne la création d’une union économique des Amériques. Il a même été question d’une monnaie commune - l’"amero". A ce jour, l’adhésion des pays de l’Amérique du Sud à l'ALENA n'est pas envisageable pour la simple raison que ces pays ont créé leur propre et puissante union. Dès 1969, le Pérou, la Bolivie, l'Equateur et la Colombie ont fondé la Communauté andine, qui a participé en 2008, au côté du Mercosur (avec le Brésil et l’Argentine en chefs de file), à la création de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), sensée unifier toute l’Amérique latine à l’image de l'Union européenne. L’UNASUR va certainement mettre du temps à rejoindre le rang des concurrents sérieux. Et pour cause : l’Amérique du Sud doit régulièrement faire face aux crises économiques. Reste le Brésil, qui demeure un pays puissant avec une politique économique fiable, pointe Krzysztof Rybinski.

La finance islamique, nouvel enjeu mondial

Des problèmes similaires concernent l'Afrique. Sans leurs subventions agricoles, l'UE et l'ALENA ne supporteraient pas la concurrence des produits africains. Le commerce extérieur africain reste donc minime, tandis que les conflits, le manque de technologie et une dette monstre sont à l’origine d’un retard de plusieurs décennies du continent. L’espoir pour l'Afrique vient aujourd’hui de l'Inde et de la Chine qui expatrient des hommes d’affaires au lieu d’envoyer des convois humanitaires, et ont investi environ 80 milliards de dollars ces dernières années.

Le Conseil de coopération du Golfe (CCG) devient quant à lui un acteur de poids. Si ses membres décident d’investir l'argent provenant du pétrole dans les technologies et les institutions financières, leurs économies ne dépendront plus des matières premières et pourront dominer les économies extérieures. Quant à l’initiative d’un système bancaire fondé sur la loi coranique, promue par le CCG, ses bienfaits (tels que la stabilisation du système financier notamment par le biais de l’interdiction de l'usure) restent à démontrer. Peut-être ces mesures constitueront-elles une valeur tout à fait nouvelle à l'échelle mondiale.

Institutions européennes

Le chef d'Etat mongol ne sait plus à quel président se vouer

L’Europe de l’après-Lisbonne laisse la communauté internationale perplexe, écrit Ian Traynor dans The Guardian. Censée "dissiper le malaise de l’Europe" en "facilitant l’avènement d’une direction forte et cohérente", la mise en œuvre du traité de Lisbonne - dont l’accouchement a pris neuf ans - a engendré des "querelles de clochers et des rivalités pour la présidence". Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, José Manuel Barroso, de la Commission, José Luis Zapatero, qui assure la présidence tournante de l’UE pour l’Espagne, et Jerzy Buzek du Parlement européen, ne cessent de jouer des coudes pour le poste. "Quand le président mongol Tsakhiagiin Elbegdorj est venu à Bruxelles la semaine dernière, il a été éberlué par la pléthore de 'présidents européens' que le protocole l’obligeait à rencontrer". Un diplomate européen de haut rang évoquant "beaucoup de contorsions et de vacheries", estime que "personne n’ose se mettre en avant pour prendre les commandes. Ce n’est pas beau à voir, et le reste du monde trouve ça plutôt minable".

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