Image du film Barbara, de Christian Petzold

Halte au cinéma politiquement correct

Les réactions au film Barbara le montrent : les bons sentiments et les thèmes qui plaisent à l'Etat qui subventionne étouffent la production cinématographique allemande. Et si les cinéastes osaient la provocation et la bonne grosse comédie, implore le réalisateur Dominik Graf.

Publié le 11 mai 2012 à 10:25
piffl-medien  | Image du film Barbara, de Christian Petzold

Il en va toujours ainsi des films allemands : toute heure de gloire est aussitôt suivie d’un coup bas. L’enthousiasme soulevé par Barbara, de Christian Petzold – primé au Festival du film de Berlin – a vite été refroidi par une critique publiée dans l’édition dominicale de la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, qui replaçait le film dans un affreux contexte, celui des autres films apportant leur contribution au travail de mémoire sur la RDA.

Il est extraordinaire de voir certains critiques de cinéma s’obstiner à imposer de la sorte une mission, un message, au cinéma allemand. A tel point que le lecteur se voit suggérer que ce n’est pas en premier lieu sur le plan purement cinématographique que Barbara doit convaincre : le film doit avant tout remplir certains critères d’utilité publique. Le cinéaste est ainsi prié de donner une image "fidèle" de l’histoire ! Attendrait-on des réalisateurs allemands qu’ils aient l’obligeance d’accorder la priorité à "rigueur historique" ?

Pertinence thématique

Ce type d’éloges empoisonnés ne peut pas nuire au film Barbara, qui est de l’avis général une réussite – il a été nommé au Deutscher Filmpreis. Si l’on se penche sur la sélection du festival, on réalise le dilemme auquel sont confrontés l’industrie culturelle et son système de subvention : l’appauvrissement par la surexploitation thématique. Cette habitude de la production cinématographique allemande de faire des films ciblant la classe cultivée et cette application extrême dans le traitement des sujets commencent à être agaçantes.

Si l’on étudiait notre paysage cinématographique en regardant les productions qui tiennent à peu près la route sur le plan commercial, on s’apercevrait que le cœur économique de la production cinématographique – à savoir le cinéma grand public – ne représente qu’une petite fraction des films subventionnés. C’est donc le cinéma qui est le plus à même d’attirer le public dans les salles qui s’appauvrit, de saison en saison. Il est frappant d’observer dans ce segment la proportion relativement élevée de réalisateurs-autodidactes.

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Face à eux, une quantité industrielle de films "de qualité" qui, tant sur le fond que sur la forme, entrent dans la catégorie art et essai – presque tous sont mis en scène par des anciens élèves des écoles de cinéma. Figurent parmi les thèmes traités dans les films en compétition au Deutscher Filmpreis, les troubles mentaux, la maladie d’Alzheimer, le cancer – auxquels il convient d’ajouter les sujets d’utilité publique en vogue : les problèmes d’intégration, le néofascisme, la critique du monde de la finance, le travail de mémoire sur la RDA, et ainsi de suite. Pourquoi tous ces films voient-ils le jour ? Serait-ce dû à leur pertinence thématique, qui augmente leurs chances d’être subventionnés ?

Bâillements

En dépit d’un savoir-faire formel en progression constante, le cinéma allemand donne l’impression de ne proposer qu’un catalogue de dissertations. La mise en scène n’accorde qu’une place minimale à la musique et se soumet au diktat de l’authenticité (souvent remarquable) dans le jeu des acteurs et le cadrage. N’y a-t-il pas là trop d’art, trop de bonnes intentions ? A l’inverse, les films grand public, les films-plaisir, les films à paillettes, les films qui vous séduisent d’emblée sont pour ainsi dire devenus le fait d’entrepreneurs solitaires. Jadis, on prenait plaisir à dénoncer des productions germaniques jugées commerciales et banales. Aujourd’hui, l’heure est peut-être venue de défendre les émanations les plus triviales du cinéma allemand, qui semblent être en voie de disparition.

Toutes les mesures d’aide au secteur partent d’une bonne intention. Mais si l’Académie du film allemand tente courageusement de masquer les dissensions, la guerre fait rage entre le cinéma commercial et le cinéma d’art et d’essai. Il est frappant de constater que le cinéma officiel allemand cherche, et de la manière la plus gênante qui soit, à se faire bien voir de Berlin. Le cinéma allemand est une sculpture en équilibre, auréolée de récompenses et de panégyriques. Les succès internationaux de ces dernières années lui ont conféré une assurance illusoire. On a presque envie dire aux réalisateurs : ne cherchez pas à refermer les plaies ! Prenez-vous par le col ! A ces invites ne répondent pour l’heure que des bâillements. Welcome to the German future ! La vraie passion a un tout autre visage.

Gravité délibérée

Certains genres rencontrent un succès croissant dans le monde entier, comme le fantastique. Sont-ils représentés dans le cinéma allemand ? Non. Il existe pourtant en Allemagne une tradition du film d’épouvante et fantastique, qui n’attend que d’être exhumée, comme le trésor des Nibelungen. La gravité délibérée du cinéma allemand contemporain est à rebours de la nostalgie du grand spectacle, de la comédie tonitruante, des sensations fortes – de tout ce qui compose les fondamentaux du cinéma. On nie le cinéma dans ce qu’il peut avoir de malfaisant et de criard, on nie cette pulsion de mort explosive et source de créativité, qui a toujours donné naissance à de merveilleux "mauvais films".

Du reste, une insouciance mêlée de provocation a toujours fait partie intégrante du cinéma populaire allemand. Mais, depuis 1990, les films allemands ont en grande partie perdu cette naïveté. Au tréfonds de son inconscient, le cinéma allemand reconnaît peut-être le fond du problème dans son rapport aux débordements de l’imagination – qui, depuis la chute du Mur, sont traités de manière scolaire et soigneusement cadrés. Trop de structure, trop peu d’exubérance.

Et parmi les autres films de l’année [2011], le personnage principal de Schlafkrankeit [La Maladie du Sommeil] d’Ulrich Köhler, erre à travers la nouvelle Afrique et retrouve la "sauvagerie" originelle du colonel Kurtz [dans le livre Au Coeur des ténèbres de Joseph Conrad et le film Apocalypse Now de Francis Ford Coppola] – mais de manière toute différente. Le film commente implicitement le règne mondial du politiquement correct et laisse un profond sentiment d’aliénation et de solitude dévastatrice. En ce sens, tous nos films à message et à thème relèvent peut-être à leur tour du mensonge.

La société – et les artistes sont inclus – se trompe elle-même en voulant à tout prix préserver, parmi ce qui est désormais jugé mondialement "bon", un pays embourgeoisé ad nauseam, avec ses quotas de femmes, ses lois anti-tabac et son cinéma d’utilité publique. Pour menteurs qu’ils fussent, les films de terroir allemands des années 1950 étaient moins malhonnêtes.

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