La cuisine d'un restaurant. Les immigrés représentent plus de 20% de la main-d'oeuvre dans l'hôtellerie-restauration en Europe. Photo: Jetta Productions/Walter Hodges

Un “black out” d'un jour

A l'initiative de plusieurs collectifs en France, Italie, Espagne et Grèce, les travailleurs immigrés étaient pour la première fois invités à croiser les bras et à ne rien acheter le 1er mars. Baptisée "Une journée sans nous", cette manifestation vise à faire prendre conscience de l'importance que les étrangers ont désormais dans nos sociétés.

Publié le 1 mars 2010 à 13:57
La cuisine d'un restaurant. Les immigrés représentent plus de 20% de la main-d'oeuvre dans l'hôtellerie-restauration en Europe. Photo: Jetta Productions/Walter Hodges

"*I*maginez. Un lundi où les métros seraient vides et les chantiers paralysés. Où les restaurants n'auraient plus de cuisiniers et les universités, plus de professeurs. Où les réunions de travail seraient désertées, où 10 % des entreprises n'auraient plus de patron. Impossible ? C'est pourtant ce qui se passerait si les immigrés et leurs descendants" – près de 12% de la population française – "cessaient de travailler une journée",note Le Point.fr .

Cette journée, le collectif "24 heures sans nous" l'a instituée ce 1er mars, anniversaire de l'entrée en vigueur du Code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile des étrangers afin, explique le site de l'hebdomadaire parisien, de "prouver que les immigrés ne sont pas un fardeau, mais une nécessité pour faire tourner le pays". Le site français Rue89 dresse quant à lui un portrait de Peggy Derder, Nadir Dendoune et Nadia Lamarkbi, les trois jeunes à l'origine de l'initiative et raconte qu'ils en ont eu l'idée en s'inspirant d'un mouvement né aux Etats-Unis – "le 1er mai 2006, toute personne se sentant une histoire commune avec l'histoire migratoire du pays avait été invitée à cesser de travailler et de consommer" - et décrit le succès du groupe qu'ils ont crée sur Facebook.

Tout un système paralysé

Il Sole 24 Ore expliqueque la mobilisation a lieu "en même temps en France, en Espagne, en Grèce et en Italie", qu'il s'agit d'une "première absolue en Europe" et qu'"il ne s'agit pas techniquement d'une grève", mais d'une "abstention du travail et des achats", accompagnée de "sit-ins et de démonstrations". Née en France, la "révolution en jaune (la couleur officielle de la journée) a débarqué en Italie" où vivent "près de cinq millions d'étrangers" : "50 000 adhésions sur Facebook, 60 comités locaux et plusieurs organisations, comme Amnesty International, impliquées",raconte La Repubblica. Cité par le quotidien romain, l'un des organisateurs de la manifestation en Italie souligne que "sans les immigrés, il y aurait un black-out de l'économie", à commencer par "le secteur du bâtiment, où la main-d'œuvre étrangères atteint les 50%. Les chantiers s'arrêteraient à l'improviste. Ensuite, ce serait le tour de l'industrie manufacturière : textile, mécanique, alimentaire. Puis de l'agriculture, où les récoltes sont l'apanage des travailleurs immigrés saisonniers. Viendrait ensuite l'industrie de l'abattage, où les étrangers représentent plus de la moitié des travailleurs. Dans les grandes villes, les restaurants, les hôtels et les pizzerias devraient fermer. Les familles seraient en proie à la panique à cause de l'effondrement du niveau de vie dû à la disparition des assistantes familiales, des nounous et des domestiques". Enfin, le système de santé, qui emploie des dizaines de milliers de personnes, serait paralysé. Et tandis qu'Il Giornale met en évidence la "régie européenne" de l'initiative et son soutien par la plupart des partis et des syndicats de gauche en Italie, La Stampa note que la manifestation *"s*'apprête à débarquer en Belgique et au Royaume-Uni".

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Les opinions publiques sont divisées

Si la situation des travailleurs immigrés n'est pas rose dans la plupart des pays européens, elle est carrément noire en Grèce – où ils forment près de 9% de la population -, où la crise économique sévit : "Il et très dur d'être un immigré… même lorsque l'on a la nationalité grecque", raconte ainsi à Ta Nea "une jeune ukrainienne qui vit en Grèce depuis dix ans, qui est mariée à un Grec et qui n'arrive pas à trouver du travail, car elle est considérée comme étrangère". "Nous ne donnerons pas 1 euro pendant 1 jour. Et les Grecs verront à quel point nous sommes importants pour l'économie", clament au journal les organisateurs de la manifestation grecque.

Et si les organisateurs "jouent sur le registre de la peur [de l'étranger] et de son caractère indispensable", c'est parce que "les opinons publiques sont divisées sur l'immigration" note dans Il Sole 24 Ore, le sociologue algérien Khaled Fouad Allam. Celui-ci invite les Européens à "aller au-delà et à regarder les Etats-Unis", qui, "tout en absorbant des populations non européennes – arabes, africains, asiatiques – ne s'est ni arabisée, ni africanisée ni asiatisée. Peut-être que la culture européenne de demain pourra se constituer à partir de la musique de Mozart, du rap et de la littérature des nouvelles minorités. Le débat est encore ouvert, mais j'aurais préféré, à la place d'une grève, entendre ou lire le récit de leurs problèmes ; parce que les grèves passent, mais la littérature reste et elle marque notre époque difficile".

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