Le vent se lève... au pays de Marlboro © Presseurop

L’IRA, de la lutte armée au trafic de cigarettes

Six ans après être devenu le premier pays européen à imposer l'interdiction du tabac dans les restaurants et dans les pubs, l'Irlande est désormais au coeur d'un immense trafic de cigarettes de contrebande. The Irish Times se penche sur le rôle joué par d'anciens paramilitaires républicains dans cette industrie très lucrative.

Publié le 4 mars 2010 à 15:20
Le vent se lève... au pays de Marlboro © Presseurop

En novembre dernier, quand les agents de la Garda [la police] et des douanes ont organisé une descente de grande envergure chez des trafiquants présumés de cigarettes, ils ont eu droit à une surprise. Au lieu des grands cartons de cigarettes habituels — soit des contrefaçons en import, soit des cibiches tout à fait légales mais ayant échappé aux droits de douanes —, les autorités ont découvert des indices d’une opération extrêmement complexe. En fouillant un camion garé dans une cour près de Carrickmacross, dans le comté de Monaghan, connu pour être une plaque tournante des trafics, ils ont retrouvé assez de tabac, de papier à cigarette, de filtres et d’emballages pour fabriquer douze millions de cigarettes.

Selon une source bien placée, "ils auraient transformé tout ça en paquets de clopes sur un site de fabrication clandestin quelque part le long de la frontière". Cette saisie, évaluée à 5 millions d’euros, aurait pour origine un port danois, et la cargaison serait entrée en Irlande à bord d’un ferry. Les agents des douanes ont contrôlé à l’aide d’un scanner à rayons X un conteneur de plus de 13 mètres de long qui recelait autre chose que le chargement de papier indiqué dans les documents d’expédition. Le conducteur du camion a été interrogé puis remis en liberté. Rien n’a permis d’identifier le gang de la frontière qui serait derrière ce trafic. Une livraison colossale a certes été interceptée, mais personne n’a été arrêté. Un schéma classique dans le secteur en pleine expansion du trafic de cigarettes, qui a coûté 400 millions d’euros au Trésor l’an dernier en taxes et droits de douanes impayés.

D’après certains responsables de la Garda, pendant les Troubles [le conflit nord-irlandais qui a duré de la fin des années 1960 à 1998] , le trafic de cigarettes de contrebande et de contrefaçon était dominé par l’IRA Provisoire [en 1970, l'IRA dite provisoire nait après que l'IRA officielle a renoncé à la violence]. Les bénéfices de ce commerce — ainsi que du blanchiment et du trafic de diesel — allaient essentiellement au "mouvement". "A leur apogée, non seulement ils finançaient une campagne de terrorisme ici et en Grande-Bretagne, il leur fallait aussi de l’argent pour s’occuper de leurs hommes, des familles des prisonniers, et ainsi de suite", explique une source au sein de la police. A en croire des agents familiers de ce trafic, depuis le démantèlement de l’IRA Provisoire, beaucoup d’anciens membres qui avaient organisé la contrebande de cigarettes, et les délinquants avec qui ils travaillaient, continuent de contrôler le secteur, mais ils n’opèrent plus qu’à des fins personnelles.

"Avec la récession, la demande va être énorme"

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D’anciens membres de l’IRA Provisoire, des membres actuels de l’IRA Véritable et les "délinquants tout à fait normaux" avec lesquels ils travaillent ont mis en place un impressionnant réseau de contacts au niveau international — des Etats-Unis à l’Europe de l’Est et l’Extrême-Orient —, qui leur fournit d’énormes livraisons de cigarettes. En octobre, par exemple, 120 millions d’unités en provenance des Philippines et d’une valeur de 50 millions d’euros ont été saisies dans le port de Greenore, dans le comté de Louth.

Quelques personnalités des gangs ont été touchées par la récession, due avant tout à la baisse de la demande en cocaïne des consommateurs de drogue récréationnelle, se sont tournés vers la contrebande de cigarettes, bien que cette tentative de diversification n’en soit qu’à ses débuts. Quoi qu’il en soit, des sources proches de la Garda estiment que les gangs et les trafiquants traditionnels devront importer et vendre un flot constant de cigarettes s’ils comptent engranger des profits substantiels. Comme le dit l’une de ces sources : "Un paquet de 20 cigarettes qui se vend 4 euros dans la rue ici peut-être acheté auprès d’un fournisseur étranger pour environ 50 centimes. Mais en Amérique du Sud, vous pouvez vous procurer un kilo de coke pour environ 800 euros si vous achetez en gros. Et une fois en Irlande, ça rapporte 70 000 euros. On ne peut pas faire ce genre de bénéfices avec les cigarettes". Un autre policier propose un point de vue intéressant : "Avec la récession, les gens qui vont en boîte ou dans les fêtes et qui consomment beaucoup de cocaïne n’ont plus le même pouvoir d’achat. Par conséquent, le trafic de drogue a été salement touché. Or, avec les cigarettes, c’est l’inverse. Les clopes au marché noir coûtent moitié moins que celles que l’on trouve dans le commerce, donc, avec la récession, la demande va être énorme".

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