Même les dieux se perdent dans la crise !

La crise de la dette nous a contraint à nous intéresser au secret Olympe de la finance mondiale. Mais à présent que nous sommes un peu plus calés en matière d'obligations et de mécanismes de stabilité, il semble que les oracles de l'économie n'en savent pas beaucoup plus.

Publié le 25 mai 2012 à 15:05

C’est ballot, tout de même : aucune des analogies habituelles ne fonctionne vraiment. La mythologie grecque, en particulier, se révèle nettement moins éclairante qu’à son habitude. L’histoire du cheval de Troie, par exemple, devrait fournir la métaphore parfaite pour illustrer cette façon qu’a eue la Grèce, coquille vide ne contenant que dettes et attentes déçues, d’infiltrer la zone euro et de tout flanquer par terre.

Le hic, c’est qu’à raconter l’histoire comme ça, on finit par sous-entendre que la Grèce l’a fait exprès. Or la Grèce tenait plus d’un cheval de Troie qui faisait tout pour se contenir et éviter que toutes ces saletés débordent et s’étalent au grand jour. Plus de la boîte de Pandore que du cheval de bois, en fait, montant une colline en croyant naïvement ne jamais redégringoler, condamnée à nourrir éternellement le monstre de la cave, monstre à tête de taureau mais au corps (dommage pour l’image !) qui n’a rien de celui d’un ours [références aux images, en anglais, du bear market, marché “ours”, à la baisse, et du bull market, marché “taureau”, à la hausse].

Le peuple qui a construit ce cheval et se trouve peut-être à l’intérieur (ou peut-être pas – je m’y perds) fut enchanté, un bref instant, de voir que tout un tas de trucs insignifiants semblait se transformer en or. Mais aujourd’hui, le voilà effrayé à l’idée de devoir regarder la vérité en face, de peur qu’elle ne les pétrifie du regard.

Bref, vous me suivez. Je vous aide, au moins ? Je me le demande…

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La vieille tatie Allemagne

Si la Grèce était un être humain, ce serait le neveu dépensier incapable de se trouver un vrai boulot et qui ne cesse de se faire renflouer par sa riche et vieille Tatie Allemagne. A ceci près que cette image-là ne marche pas tout à fait non plus : la Grèce est plus vieille que l’Allemagne, et puis la dynamique tatie pourrait tout aussi bien décider de fermer le robinet.

Enfin, en fait non, tata Allemagne ne peut pas faire ça, d’une part parce que son panier percé de neveu lui doit désormais tellement d’argent que la banque, si elle apprenait que la Grèce ne la remboursera jamais, pourrait confisquer la maison de tata, et d’autre part (oh mon Dieu, ça se corse vraiment), parce que l’essentiel de l’argent emprunté par la Grèce n’est en fait pas du tout celui de tatie Allemagne, mais provient de prêts concédés par d’autres personnes, même pas de la famille, qui jugeaient la Grèce sûre puisque tatie Allemagne serait toujours là pour sortir le chéquier.

Et si Tatie Allemagne… Vous me suivez toujours ? Je comprendrais que vous ayez perdu le fil. Donc, si jamais Tatie Allemagne n’est plus là, alors ces personnes cesseront de prêter d’argent à la Grèce. Mais pas seulement : ils ne prêteront plus, non plus, à tous les autres ratés de la famille, ni sa sa nièce Espagne, prostituée toxico à la rue, ni à ses filleuls Irlande et Portugal, qui ne valaient guère mieux mais ont fini par se trouver une place en foyer et commencent à s’en sortir, ni, surtout, à son frangin France qui persiste à porter son beau costume et à fréquenter des restaurants chics pour sauver les apparences, mais qui chaque soir rentre chez lui s’endormir en sanglotant, horrifié par le terrible secret que cache sa facture de carte de crédit.

Et si les choses prennent cette tournure, Tatie Allemagne ne reverra jamais un seul de ses sous et se retrouvera à peu près dans le même merdier que les autres.

La chaudière euro

Le problème, vous l’aurez peut-être remarqué, est que toutes ces analogies finissent par devenir aussi compliquées que la situation qu’elles sont censées illustrer. Ce qui est peut-être révélateur en soi, remarquez. D’ailleurs, j’ai une analogie à ce propos. Imaginons que l’euro est une chaudière.

Si l’euro était une chaudière, ce serait bien évidemment une chaudière en panne, du genre de celles dont les réparations se monnayent. Le chauffagiste ne sait pas dire combien exactement, mais ce sera cher, assure-t-il. Ce qui vous inquiète, c’est que la chaudière, il est déjà venu la réparer trois fois en 2010, une fois en 2011, et encore une fois il y a seulement deux mois. Chaque fois, cela vous a coûté plus que vous ne l’imaginiez. Chaque fois, il vous a juré que c’était la dernière.

Vous le soupçonnez de tout déglinguer, mais vous ne savez pas bien ce que vous pourriez y faire. Vous avez interrogé d’autres chauffagistes, et si chacun a sa propre idée sur la façon de réparer la chaudière, tous s’accordent sur un fait : ça va vous coûter un bras. Au bout du compte, vous allez bien devoir faire confiance à l’un d’eux. Qu’est-ce que vous y connaissez, vous, aux chaudières ? C’est du grec pour vous.

Le défaut de cette image, bien sûr, c’est que les chauffagistes sont quand même moins portés sur l’improvisation que les économistes. Quelque part, dans le brouhaha de voix cherchant à retenir votre attention, il y en a bien une qui doit avoir raison. Mais laquelle ? Comment sommes-nous censés faire la part des choses, entre ceux qui disent que la Grèce devrait quitter l’euro et ceux qui disent qu’elle ne devrait pas le faire ? Ou même entre ceux qui disent qu’elle peut le faire, et ceux qui disent qu’elle ne peut pas ?

Décideurs secrets

Toutes les crises sont riches d’enseignements, dit-on – enfin, jusqu’à un certain point. Depuis deux ans, comme tant d’autres, j’ai beaucoup appris : qu’est-ce que le mécanisme européen de stabilité, pourquoi on le présente comme un pare-feu, pourquoi, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la hausse du rendement des obligations n’est pas une bonne chose. Mais ce que j’ai compris aussi, c’est que tout ça aura seulement servi à faire de moi un idiot un tout petit peu mieux informé. Pendant ce temps, des légions silencieuses de technocrates, dans les coulisses du pouvoir, se sont visiblement affairées à refaire le monde.

Pendant un demi-siècle, rares ont été ceux qui, parmi nous, se sont souciés de comprendre le fonctionnement des obligations et des marchés : nous n’en avions pas besoin, pensions-nous. Aujourd’hui, si. Alors nous sommes allés tirer du sommet de l’Olympe les économistes et les experts, secrets décideurs de toutes choses, pour découvrir à notre plus grande horreur que, s’ils en savent effectivement plus que nous n’en saurons jamais et possèdent des pouvoirs et des capacités dont nous autres ne ferons jamais que rêver, ils n’en sont pas moins perdus, imparfaits et impuissants que nous tous… Enfin ! Une analogie qui fonctionne ! Merci à tous les dieux du panthéon.

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