Tout se joue à Berlin

Le moment fatidique pour l’avenir de l’euro approche. D’ici le Conseil européen des 28 et 29 juin, Angela Merkel doit décider si l’Allemagne veut sauver la monnaie commune, et dans quelle mesure, prévient la Süddeutsche Zeitung.

Publié le 26 juin 2012 à 14:38

L'avenir de l'euro ne dépend pas de l'Italie. Il ne dépend pas non plus de l'Espagne, ni du Portugal, de Chypre ou de la Grèce. C'est en Allemagne et pas ailleurs que sera décidée la survie de la monnaie unique. Berlin est aujourd'hui au cœur de la crise. Le ministère des Finances et la Bundesbank en sont certainement bien conscients mais la question est loin d'être débattue publiquement avec la franchise nécessaire. Seule l'Allemagne peut supporter la grande partie des charges qui accompagneront le sauvetage de l'euro. La question est de savoir si les Allemands le veulent, et combien de temps ils pourront encore le faire.

Avant un nouveau sommet européen qui s'annonce difficile, les responsables politiques allemands et l'opinion publique ont l'occasion de faire froidement leurs calculs : quel prix, économique et politique, devra-t-on payer pour sauver l'euro ? Et que nous coûterait un échec, c'est-à-dire la désintégration de la zone euro, quelle que soit sa forme ? Dans les deux cas, quels risques concrets s'apprêtent à courir les banques et la Bundesbank ? Quelles seraient les conséquences d’un échec pour la place de l'Allemagne en Europe ? La chancelière doit-elle, et peut-elle, continuer à jouer le dompteur de l'Europe ?

La menace des plans de sauvetage

Les observateurs extra-européens ont remarqué que les Allemands menaient le débat sur l'euro d'un point de vue étonnament moral - "Comment en sommes nous arrivés à payer pour que les Grecs prennent leur retraite à 45 ans ?" Ces questions sont faciles à comprendre mais elles ne sont pas pertinentes : aucun euro allemand n'a encore été injecté dans le système de retraite grec. Il serait temps plutôt d'élever le débat à un niveau économique et constitutionnel. Le gouvernement allemand doit examiner ce qu'il a le droit et la capacité de faire pour sauver l'euro. Ses limites sont autant définies par la Constitution que par la force économique et l'opinion publique allemandes. Les citoyens ont peur pour leur argent et perçoivent de plus en plus les divers plans de sauvetage comme une menace.

Il est clair que la stratégie adoptée jusqu'à présent par Angela Merkel a échoué sur un point important : depuis 2010, la chancelière a donné juste assez pour que ça continue. Elle a acheté du temps dans le souci très compréhensible de garder la main, pour contraindre ses partenaires à des réformes.

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Mais la crise n’est pas terminée, bien au contraire. Son coût continue d’augmenter et la peur de voir éclater une nouvelle crise financière mondiale plus grave encore s’accroît. Le fait que l'agence de notation Moody's ait baissé, parfois sévèrement, la note de quinze banques internationales est un signal d'alarme. La bataille finale de l'euro est engagée depuis longtemps.

Eviter une dépression mondiale

L'éclatement de l'union monétaire est désormais une possibilité avec laquelle il faut compter – au sens propre du terme. Ses conséquences du point de vue allemand ne seraient pas seulement que le cours de l'euro du Nord ou du nouveau deutsche mark, selon le nom qu'on donnerait à cette monnaie dérivée, grimperait en flèche de manière incontrôlée. Mais il deviendrait difficile d'éviter une dépression mondiale. Certains souhaitent peut-être une fin horrible à l'euro ces jours-ci mais on peut se demander s'ils ont une idée de la dimension que prendrait cette horreur.

Le sauvetage de l'euro reviendrait également très cher à l'Allemagne, comme d'ailleurs à la France, à l'Italie et à d'autres. Les propositions du FMI, du G20 et de nombre d'économistes disent la même chose : les Etats de la zone euro doivent partager, au moins en partie, les risques encourus par leurs systèmes bancaires et leurs emprunts d'Etat. Les Etats économes, comme l'Allemagne et les Pays-Bas, devront garantir les comptes espagnols, les contribuables français et allemands, le budget de Rome, de Madrid etc.

On ne saurait défendre l'euro avec crédibilité sans une garantie commune européenne, au moins limitée. Il faut pour cela mettre en place rapidement une politique bancaire européenne. Pourquoi tant de banques européennes sont-elles sous-capitalisées – contrairement à leurs homologues américaines ? Parce qu'il y n'a pas d'instance européenne pour les contraindre à se constituer des réserves suffisantes.

Pour l'euro, les Allemands ont le choix entre le mauvais et le catastrophique. Ils doivent choisir la mauvaise solution. Et très vite.

Commentaire

Une vision “à la française” de l’Europe

Angela Merkel doit rencontrer François Hollande mercredi soir à l’Elysée. Une dernière tentative pour lisser les différends entre Paris et Berlin avant le Conseil européen des 28 et 29 juin.

Dans Les Echos, Dominique Moïsi s’interroge sur le rapport de forces entre les deux partenaires :

L’Allemagne était perçue hier comme le moteur de l’idéal européen. Comment en est-elle venue à être vue aujourd’hui comme un frein qui, par sa rigidité, sa certitude absolue d’avoir raison, risque de conduire l’Europe à l’implosion ? Comment expliquer cette transformation radicale de la perception sinon de la réalité de l’Allemagne ?

Rappelant que, traditionnellement, l’Europe était pour la Fance "*un multiplicateur d’influence*”, et que l’Allemagne "voyait dans la construction européenne une protection contre le retour possible de ses démons intérieurs”, le politologue constate que

quand aujourd’hui Berlin parle de l’Europe, c’est “à la française” et non plus “à l’allemande”. L’Europe n’est plus pour elle un rempart contre ses “côtés noirs”, mais le prolongement d’elle-même par le biais d’un fédéralisme qui lui est si naturel.

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