Européens, mais pas sans nations

L'Union européenne est un Empire, selon l'historien Thierry Baudet. Certes, lui répond le philosophe Roger Scruton, à condition qu'il ne dénigre pas les nations qu'il dirige. Car c'est là que nait l'attachement à une communauté.

Publié le 10 juillet 2012 à 10:44

Le livre et l’article de Thierry Baudet publié par le NRC Handelsbladla semaine dernière suscitent la controverse. Il a pourtant raison sur un point : le projet d’intégration européenne a été fondé sur l’idée que le nationalisme et le principe de souveraineté nationale étaient à l’origine des guerres qui avaient secoué l’Europe. A partir de ce constat fondateur, l’intégration européenne a été conçue de façon unidimensionnelle, comme un processus d’union qui ne cesserait de croître, chapeauté par un commandement centralisé. Et selon lequel plus le pouvoir central gagnerait de pouvoir, plus les puissances nationales auraient à en céder.

Cet objectif n'a pourtant pas été choisi par les peuples européens qui, à chaque fois qu’ils ont l’occasion de s’exprimer sur la question, le rejettent - c’est pourquoi tout est fait pour qu’ils n’aient jamais l’occasion de voter. Le processus européen progresse pourtant inéluctablement vers plus de centralisation, plus de contrôle imposé d’en haut, plus de dictature des juges et des bureaucrates non élus, plus d’abrogations de lois pourtant votées par des parlements élus, plus de traités constitutionnels conçus sans la moindre contribution des peuples concernés. Le tout soutenu par une monnaie unique imposée sans avoir défini clairement qui paierait les dettes.

On aboutit de plus en plus à un gouvernement impérial, ce qui prouve bien que le contraire du nationalisme, ce ne sont pas les Lumières mais bien l’Empire. La seule chose qui pourrait enrayer ce mouvement, ce sont les sentiments nationaux des peuples européens.

Liturgie de la dénonciation

En tant que citoyen britannique et amoureux de la civilisation romaine, je ne suis pas opposé à la notion d’Empire. Il faut cependant être conscient de ce que cela implique. Et des diverses formes que peut revêtir le pouvoir impérial. Selon moi, l’Empire permet de protéger les souverainetés et les coutumes locales par la civilisation et le droit ; mais il peut aussi être tenté de faire disparaître les coutumes locales et de se poser en rival des souverainetés en les remplaçant par un pouvoir centralisé et anarchique.

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L’UE est un peu des deux mais son principal défaut est de ne jamais avoir essayé de persuader les peuples européens de l’accepter. L’Europe est, et a toujours été selon moi, une civilisation d’Etats-nations, fondée sur une sorte d’allégeance aux territoires et à ses coutumes d’abord, à la religion et à la dynastie ensuite. Et si on leur donnait le choix, les Européens exprimeraient leur attachement à leur pays en ces termes. Dans la mesure où cet attachement est inconditionnel – en terme d’identité – il prend une forme nationale.

Or la classe politique européenne y est hostile et par conséquent, elle a diabolisé l’expression directe des sentiments nationalistes. Evoquez Jeanne d’Arc et le pays réel, le sceptre et Saint-George, les forêts sombres de Lemminkäinen et l’espace finlandais, ou même Henk et Ilsa, et vous serez taxé de fasciste, de raciste et d’extrémiste. Cette liturgie de la dénonciation est répétée à l’envi dans toute l’Europe par une classe politique qui prétend mépriser le principe de souveraineté dont elle dépend pourtant insidieusement.

Fidélité à la nation

Or le sentiment national est, pour la plupart des Européens, le seul motif qui peut justifier un sacrifice au nom du bien commun ; la seule source d’obligation dans la sphère publique qui ne soit pas une question d’argent. Tout comme les gens ne votent pas pour se remplir les poches, ils votent pour protéger leur identité des prédations de ceux qui ne la partagent pas, et qui essayent de piller un héritage auquel ils n’ont pas droit. La fidélité à la nation n’a rien à voir avec le racisme ou le fascisme : son expression primaire est l’attachement à un territoire et à la communauté qui y a grandi.

De la crise actuelle, nous avons au moins compris une chose : quand tout va mal, les hommes politiques s’attendent à ce que nous fassions des sacrifices. Mais au nom de quoi devrions-nous faire des sacrifices si nous n’avons pas de sentiment d’appartenance ? Et comment pourrait-on avoir de sentiment d’appartenance quand les frontières ont disparu et ne distinguent plus ce qui est à nous de ce qui est à eux ? Nous devrions remercier Thierry Baudet d’avoir osé soulever ces questions et ouvert un débat aussi nécessaire au Royaume-Uni qu’aux Pays-Bas, comme dans les autres pays européens.

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