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Dans son dernier livre, l'intellectuelle turco-allemande est très critique à l'égard du milieu mixte dont elle est issue. L'opinion allemande est partagée quant à son analyse.

Necla Kelek, l’ivresse de la liberté

Allemande d’origine turque, Necla Kelek se bat corps et âme pour la démocratie. En s’attaquant à l’islam, l’essayiste s’est attirée les foudres de certains intellectuels allemands. L’hebdomadaire Der Spiegel s’interroge sur les raisons d'une telle controverse.

Publié le 16 avril 2010 à 10:59
Dans son dernier livre, l'intellectuelle turco-allemande est très critique à l'égard du milieu mixte dont elle est issue. L'opinion allemande est partagée quant à son analyse.

"Les Allemands aussi ont leurs défauts, lance un jeune homme, il n’y a pas que les Turcs". Necla Kelek a déjà entendu cela. Son visage se contracte avant de finalement esquisser un sourire. "Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas en Allemagne", dit-elle, ironique. Le jeune homme est satisfait et Necla Kelek poursuit, reconnaissant que si tous les musulmans d’Allemagne ne constituent pas une menace pour la démocratie, certains le sont et c’est d’eux dont il est question. Necla Kelek, 52 ans, Allemande d’origine turque, est l’invitée du centre culturel d’Achim, près de Brême, et l’auteur de Himmelsreise (2010) ["Voyage dans le ciel"] dont elle vient de lire quelques extraits.

Elle défend toutes les valeurs qui constituent le fondement de la société allemande

Dans ce livre, l'essayiste jette un regard critique sur l’islam et dénonce le carcan de certaines familles turques installées en Allemagne. Cette position fait d’elle un personnage très controversé en ce moment. La Süddeutsche Zeitung l’a déjà accusée "d’incitation à la haine" et la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung l’a qualifiée de "croisée". Si elle est si vivement critiquée, c'est qu’elle défend toutes les valeurs qui constituent le fondement de la société allemande : liberté, démocratie, éducation et sécularisme.

Ses détracteurs estiment qu’elle ne s’est jamais remise des humiliations subies au sein de sa propre famille et qu’elle en rejette la faute sur l’islam en général. Enfant, Kelek a quitté la Turquie pour une petite ville de Basse-Saxe. Bien que vivant en Allemagne, elle continuait à vivre dans un environnement turc. A la maison, son père se conduisait en dictateur, la mère filait droit et les enfants devaient servir obséquieusement le chef de famille. Le pire, c'était à l'école, notamment durant les récréations qu’elle passait toujours seule. Kelek s’est initiée à la sociologie grâce à la fondation Hans Böckler, proche du milieu syndical. Elle considère les gens de la fondation comme "ses véritables parents". Aujourd'hui, elle vit de sa plume, après avoir été plusieurs années chercheuse.

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Elle ose critiquer la famille turque sans jamais s'excuser

Elle a beau avoir la citoyenneté allemande, quand elle parle de l’Europe, elle dit toujours "les Européens" et pas "nous, Européens". Quand on l’avise de cela, elle corrige et dit qu’elle se considère européenne, puis sourit, comme prise sur le fait. Ce qui est déconcertant chez elle, c’est de voir avec quel enthousiasme elle fait l’éloge de la liberté. Les Allemands ne parlent plus comme ça. Kelek prononce des mots comme démocratie, société civile et éducation avec une passion qu’on n’entend plus que pendant les meilleurs matches de première division. Peut-être faut-il avoir connu l’asservissement pour vouer un tel culte à la liberté. Ses héros sont des hommes comme Heinrich Heine, des intellectuels qui se sont battus pour la liberté au début du 19e siècle.

Ce qui dérange également chez Kelek, c’est qu’elle ose critiquer la famille turque sans s’excuser, sans répéter à longueur de journée qu’il y a aussi beaucoup de Turcs en Allemagne qui sont pour la démocratie et l’éducation. Il existe deux raisons qui expliquent pourquoi les Allemands défendent si mal leurs propres valeurs : ils tiennent à leur tranquillité et ont peur de paraître intolérants. Reste qu’une société libre a besoin d’implacables défenseurs de la liberté, comme Kelek, pour ne pas devenir cynique.

Intransigeante face à l'intolérance

Necla Kelek se trouve toutefois confrontée à un dilemme : un défenseur de la tolérance se doit d’être intransigeant face à l’intolérance. A son sens, tant que le voile sera l’expression de la soumission des femmes, il sera inacceptable. La charia ne doit pas s’appliquer en Allemagne. Les mariages forcés sont une honte. "La religion est un aspect de la liberté mais elle ne se situe pas au-dessus", déclare-t-elle. Elle souhaite que les musulmans soient des citoyens européens respectueux de valeurs comme la démocratie, la liberté et le sécularisme. Alors que la part des musulmans ne cesse d’augmenter dans la population, la société doit, à son sens, se battre pour chaque enfant d’immigrés. Le système démocratique a besoin d’atteindre une masse critique et les défenseurs du multiculturalisme négligent trop souvent cet aspect.

Necla Kelek, la Turque allemande, a toutefois eu un geste difficile à comprendre pour un Européen. Ayant retrouvé la tombe de son père complètement délabrée en Turquie, elle l’a fait restaurer afin de pouvoir reposer, avec ses frères et sœurs, à côté de l’homme qui les opprimait. Elle refuse d’être enterrée ailleurs.

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