Les euro-hérétiques aussi ont leur place

Les députés européens et autres eurocrates de Bruxelles sont souvent caricaturés en membres d'"une religion". Parce qu'ils vivent dans le même environnement pro-européen, écrit un journaliste néerlandais. Mais les voix dissonantes commencent à se faire entendre.

Publié le 19 juillet 2012 à 11:47

Derk-Jan Eppink est un hérétique. Membre conservateur du Parlement européen, il ne croit pas au principe de base de l’intégration européenne d’une union toujours plus proche entre les peuples d’Europe, tel qu’il est exprimé dans les traités depuis 1957.

Eppink, un Néerlandais occupant un siège pour un parti belge, est l’un des plus virulents détracteurs de ce principe. *“Tous ceux qui viennent ici sont censés soutenir cette vision", affirme-t-il. Ceux qui ne le font pas sont des non-croyants – des hérétiques – et sont traités comme des parias. "On nous regarde de travers dès qu’on ouvre la bouche. Les fédéralistes quittent la pièce ou commencent à se parler entre eux. On nous accorde moins de temps de parole. Daniel Cohn-Bendit [co-président du groupe des Verts au Parlement européen] dépasse souvent le temps qui lui est imparti, sans que personne n’intervienne. Si nous en faisons autant, le couperet tombe.”* La comparaison religieuse est à peine exagérée. Bruxelles est un autre monde, où beaucoup prêchent activement la bonne parole d’une Europe unie. Un monde où la mention de toute autre conviction – union purement économique ou, Dieu nous en préserve, aucune union – est proscrite car considérée comme l'expression d'un obscurantisme primitif.

La main de Dieu

C’est surtout le cas au Parlement européen, l’arène d’Eppink. La majorité de ses membres sont vraisemblablement plus europhiles que les membres de leur propre parti dans leur pays. Ils sont toujours favorables, jamais opposés, aux transferts de souveraineté. Actuellement, ils sont les premiers à réclamer la mise en place des euro-obligations pour résoudre la crise.

Cela s’explique incontestablement par le fait que les plus europhiles d’entre eux ont tendance à venir à Bruxelles. En outre, les moins europhiles ont également tendance à se convertir avec le temps. Ils adoptent les coutumes locales, selon les termes d’un haut fonctionnaire. D’après Eppink, Bruxelles vous change, comme si vous aviez été touché par la main de Dieu.

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Wim van de Camp, membre du CDA [parti chrétien-démocrate] fait partie de ces convertis. Il est arrivé à Bruxelles en 2009, après 23 années passées à la chambre basse du Parlement néerlandais, dans l’idée d’en finir avec le zèle réglementaire et de réduire le budget. Il est maintenant l’un des fondateurs de la nouvelle ligne plus europhile du CDA.

*“C’est vrai, reconnait-il. C’est en partie parce que j’en sais plus maintenant. Et en partie parce que, quel que soit l’angle sous lequel vous envisagez la question, les gens se coulent toujours dans le moule de la société pour laquelle ils travaillent. Je suis maintenant plus convaincu que jamais de l’utilité et de la nécessité de l’Union européenne.”* Plus vous restez ici longtemps, plus vous commencez à y croire.

Par ailleurs, explique le membre du parti socialiste néerlandais Dennis de Jong, Bruxelles est organisée de telle sorte que vous avez tout intérêt à croire : Si vous montrez que vous êtes favorable aux Etats Unis d’Europe, les portes s’ouvrent automatiquement devant vous.”

C’est la même chose dans les activités quotidiennes, explique De Jong. Si vous faites correctement votre travail, vous allez pouvoir présider une certaine commission parlementaire. Vous êtes récompensé pour votre travail parlementaire, qui est par définition pro-européen. Le renforcement positif est énorme. C’est difficile de garder les pieds sur terre.

Les vrais croyants

Aux côtés du Parlement, la Commission est indubitablement pro-européenne, mais comme le montrent des discussions anonymes avec trois hauts fonctionnaires, c’est une posture plus pragmatique qu’idéologique. *“Nous ne sommes pas croyants, dit l’un deux, qui travaille à la direction générale de l’Elargissement. Il y a en fait deux groupes de fonctionnaires : ceux qui font simplement leur travail, et les vrais croyants. Le deuxième groupe est de plus en plus restreint.”*

Par le passé, les choses étaient différentes, racontent les fonctionnaires, dont deux travaillent depuis vingt ans à la Commission. Avant, ils avaient encore le sentiment de contribuer à un événement historique. Aujourd’hui, les choses sont beaucoup plus bureaucratiques. *“L’UE existe, l’intégration européenne est une réalité, assène une personne travaillant à la direction générale de la Concurrence. La question maintenant est de savoir comment assurer son fonctionnement. C’est bien plus monotone que ce que peuvent parfois imaginer les gens.”*

Les discussions politiques sur la direction que l’Europe doit prendre sont donc rares. À la fin de la journée, ce sont des fonctionnaires, quel que soit l’exotisme apparent de la Commission. Ils sont par définition apolitiques et technocrates, et parlent de football autour de la fontaine à eau – pas des avantages et des inconvénients d’une union bancaire européenne.

Les temps sont durs pour les prophètes

Depuis début 2010, le nombre d’eurosceptiques est pour la première fois supérieur à celui des europhiles. La Commission européenne commence à le remarquer. Les fonctionnaires ont récemment trouvé des autocollants sur leurs voitures montrant un homme utilisant sa cravate pour se pendre. Eurocrate, sers-toi de ta cravate, disait la légende. Un certain nombre d’entre eux ont eu une belle frayeur le mois précédent quand ils ont été encerclés dans le métro après une embuscade montée par un groupe d’activistes de gauche. Dans une lettre sur cet événement, les syndicats de la Commission disaient qu’il y avait toujours eu des attaques, mais qu’elles étaient plus nombreuses et plus importantes depuis le début de la crise de l’euro.

Ce sont des temps difficiles pour les prophètes. La crise met leur foi à l’épreuve. *“Les croyants commencent à avoir des doutes, estime Eppink. Il raconte que ces jours-ci, ils écoutent davantage quand lui ou l’un de ses frères politiques prend la parole. "Nous sommes en position de supériorité intellectuelle”*, ajoute-t-il.

Les élections montreront si les Néerlandais sont d’accord. Davantage d’Europe, moins d’Europe. *“C’est une bonne chose, estime le fonctionnaire de la direction générale de l’Elargissement. C’est la preuve que l’intégration devient réelle. Avant, tout le monde était d’accord. Mais il n’y avait pas vraiment d’enjeu. Maintenant, il y en a un.”*

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