La porte vers l'Europe. Le terminal Eurostar à la gare St Pancras, Londres

Ces Britanniques qui adorent l’Europe

Bien que la Grande-Bretagne compte encore un nombre important d'europhobes indécrottables, une nouvelle génération, qui se sent plus proche du modèle social et économique continental, est en train d'apparaître, explique Mary Dejevsky.

Publié le 30 avril 2010 à 13:13
La porte vers l'Europe. Le terminal Eurostar à la gare St Pancras, Londres

Depuis la semaine dernière, je me demande si je n'ai pas été un peu trop pessimiste sur l'étendue de l'euroscepticisme, et même de l'europhobie, au sein de la jeunesse britannique. "Nouvelle Europe" était la formule astucieuse imaginée par Donald Rumsfeld pour qualifier les pays soutenant l'effort de guerre de l'administration Bush. Les "vieux Européens" ne l'ont pas appréciée et l'ont accueillie avec mépris, puisqu'elle suggérait que l'Europe était plus divisée sur le sujet de l'invasion de l'Irak qu'elle ne l'était réellement. Mais ils ne pouvaient nier que cette expression avait un fond de vérité.

Les dinosaures europhiles ont raison d'espérer

Cela, c'était hier. Aujourd'hui, à l'heure où la Pologne et la Russie se réconcilient, où l'Europe centrale a perdu l'envie de combattre pour des guerres américaines, et où l'administration Obama refuse l'idée de liens privilégiés, il serait peut-être temps d'abandonner ce concept désobligeant. Six ans après le grand élargissement de l'Union, les divisions ne sont pas aussi marquées et les rancœurs moins vives qu'elles n'étaient alors. À l'heure où la "nouvelle" Europe se fond dans l'ancienne, cependant, se pourrait-il qu'une nouvelle génération de "nouveaux" Européens, d'un genre assez différent, soit en train d'émerger à l'endroit le plus improbable qui soit : ici même, en Grande-Bretagne ? Nous avons des raisons de nous inquiéter, mais voilà que nous avons aussi, soudain, nous autres dinosaures europhiles, des raisons d'espérer.

Récemment encore, je me lamentais de voir ce qui m'apparaissait comme une stratification immuable par tranche d'âge de l'intérêt des Britanniques pour la politique étrangère : il y avait ceux qui se souvenaient de la Seconde Guerre mondiale et voyaient le fascisme sous ses diverses formes comme la première des menaces. Ceux qui avaient grandi dans l'ombre noire de cette guerre – qui étaient devenus de vaillants petits soldats de la guerre froide, jetant le regard par-delà l'Atlantique et fondant leurs espoirs sur l'OTAN. Puis étaient arrivés ceux que l'on peut appeler peut-être les premiers Européens – c'est-à-dire nous, devant qui s'ouvrait, en accès libre, la moitié du continent, et qui nous aventurions toujours plus avant par-delà des frontières en voie de disparition.

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Pas de fête arrosée à Tallinn sans l'idéalisme européen

À mes yeux, le lamentable échec de ma génération – européenne – est de n'avoir pas su transmettre son enthousiasme à ceux qui arrivaient derrière. Naturellement, il y a eu la chute du mur de Berlin et l'excitation de voir la réunification des deux moitiés de l'Europe. Et il y a eu les billets d'avion bon marché : les vacances arrosées à Ibiza ou en Crète étaient alors devenues un rite de passage et des hordes de jeunes gens partaient fêter des enterrements de vie de garçon à Tallinn.

Mais ces amusements semblaient s'accompagner d'une indifférence, d'une défiance, et même d'une xénophobie à l'égard de l'Europe et de l'Union européenne. Cette génération semblait ignorer que de telles expériences n'auraient pas été aussi faciles sans l'idéalisme de ceux qui ont voulu bannir la guerre du continent européen et qui ont créé les institutions nécessaires pour y parvenir.

Une Grande-Bretagne décontractée et européenne

Jusqu'à il y a peu, on admettait volontiers que l'étiquette eurosceptique de David Cameron était un gage de succès électoral auprès d'un électorat britannique possédant les mêmes inclinations. L'europhilie traditionnellement décomplexée des libéraux-démocrates était considérée comme un handicap par le parti, et par Nick Clegg lui-même. On disait même en plaisantant – mais non sans une pointe de sérieux – que le multilinguisme de Nick Clegg, ses quelques années à Bruxelles, son style qui a quelque chose de "continental", sa mère néerlandaise, son père à moitié russe, son épouse espagnole et les prénoms ibères de ses enfants pouvaient rebuter l'électeur britannique de province.

Personnellement, je pense que le style neutre et détendu de Nick Clegg est en phase avec une Grande-Bretagne – urbaine tout au moins – devenue plus décontractée, plus internationale, et même clairement européenne au fil des vingt dernières années. D'abord, il y a eu l'opposition à la guerre en Irak, au motif qu'elle répondait à des priorités américaines et non aux intérêts nationaux des pays européens dont les dirigeants étaient sollicités. La France et l'Allemagne ont dit non. Un grand nombre de Britanniques s'y sont également opposés, mais ont été mis sur la touche par un gouvernement et une opposition rangés derrière les Américains. Puis il y a eu "l'État social", et sa préférence donnée à la protection de l'emploi, la réduction du temps de travail, et une plus grande égalité que ce que les gouvernements britanniques récents jugeaient être dans notre intérêt.

Et, tout récemment, dans le grand débat sur la réglementation du secteur bancaire, l'opinion britannique a adopté une position plus dure que le gouvernement ou l'opposition – en d'autres termes, une posture plus continentale, selon laquelle le PIB ne suffit pas à définir la réussite d'un pays. Un flirt de vingt ans avec les manières américaines a laissé un goût amer à la Grande-Bretagne, au point qu'il favorise peut-être une orientation plus européenne de notre attitude sociale et économique. Le monde politique change peut-être, lui aussi. Il est intéressant de constater que le récent Livre Vert du gouvernement sur la défense, assez étonnamment, proposait un réchauffement des relations avec la France. Si l'euroscepticisme exerce un attrait moins infaillible qu'auparavant, ma génération n'y est peut-être pas étrangère. Nous serons finalement parvenus à faire de nos compatriotes des Européens.

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