Je préfère faire à ma façon.

L’Allemagne a un problème avec l’Europe

Si la crise grecque est la plus grave que l’Union européenne ait jamais eu à affronter, elle révèle également ce que l’Europe signifie aux yeux de Berlin, rapporte la Gazeta Wyborcza.

Publié le 19 mai 2010 à 14:59
Je préfère faire à ma façon.

"Madame Europe s’est transformée en Frau Germania", écrivait début avril l’ancien ministre des Affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, laissant entendre qu’Angela Merkel - considérée comme une véritable dirigeante européenne - avait été prise d’une soudaine poussée d’égoïsme national. En réalité, la chancelière allemande avait de bonnes raisons de ne pas céder à la pression des marchés et de l’opinion publique européenne. Certes, il aura fallu du temps pour définir les nombreuses conditions assorties au plan de sauvetage de la Grèce et obtenir l’intervention du Fonds monétaire international, mais ces étapes étaient nécessaires.

En fait, le principe d’une aide financière à la Grèce n’a jamais fait débat à Berlin, d'abord parce qu’il s’agit de préserver la stabilité de l’euro mais aussi pour défendre des intérêts nationaux. Les banques allemandes seraient, en effet, les premières victimes d’une faillite de l’économie grecque, à qui elles ont prêté pour près de 400 milliards d’euros. Ce seraient alors aux contribuables allemands de régler l’addition. Si l’Allemagne a un problème avec l’Europe aujourd’hui, ce n’est pas par égoïsme. Le pessimisme allemand face au défi européen est davantage lié aux évolutions en cours dans l’environnement européen qu’à un renouveau nationaliste post-réunification.

Berlin doit redéfinir sa place au sein de l’UE. "L’engagement européen de l’Allemagne a toujours été défini par de grands projets : le marché unique, l’élargissement, la monnaie unique, la constitution européenne. Aujourd’hui, il n’a plus ce genre d’objectif à la fois symbolique et fédérateur", analyse Rainder Steenblock, longtemps spécialiste européen des Verts.

L'intégration, un tremplin pour l'économie allemande

Du point de vue allemand, ces projets avaient beaucoup en commun. Ils participaient d'abord à la formation d’une Union européenne dans laquelle Berlin reconnaissait son empreinte : le fédéralisme, le principe de subsidiarité, l’aide structurelle, une monnaie européenne inspirée du mark allemand, l’application de règles du jeu similaires à celles du système politique allemand. Autant d’éléments qui sont devenus cruciaux pour le fonctionnement de l’UE.

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L’Allemagne était un exemple à suivre et l’Europe - aussi bien que l’Allemagne - en ressortait gagnante. Les modalités de la présence européenne dans le monde – la mission d’une puissance civilisatrice et démocratique – s’accordaient également très bien avec la culture politique allemande de méfiance envers toute forme de militarisation ou d’usage de la force. Toutes ces étapes de l’intégration européenne étaient aussi parfaitement cohérentes non seulement avec la raison d’Etat d’une république fédérale déterminée à afficher, après la guerre, son ancrage avec le bloc occidental mais également avec ses intérêts immédiats.

Le renforcement des liens européens a avant tout servi de tremplin à l’économie allemande.Entre 2000 et 2008, les exportations allemandes au sein de la zone euro sont passées de 19% à 25% du PIB. La vague d’élargissement à l’Est et la disparition du risque monétaire ont donné un nouveau coup d’accélérateur aux exportations allemandes. En 2008, le "champion du monde des exportations" affichait un excédent de 200 milliards d’euros.

Le modèle allemand ne fait plus recette en Europe

Pendant des décennies, les modèles allemand et européen se sont parfaitement accordés. Même si certains projets comme l’euro ou l’élargissement ont suscité une certaine réticence au sein de l’opinion publique, les élites, elles, étaient toujours conscientes que la construction progressive d’une "union toujours plus resserrée" était un élément essentiel à la prospérité et à la sécurité de l’Allemagne. Ce sentiment a disparu. Le modèle allemand ne carbure plus au "toujours plus d’Europe". La crise grecque a montré que l’Europe ne se "germanisait" pas.

Au contraire, les dispositifs qui ont le mieux servi les intérêts allemands – indépendance de la banque centrale, maintien de l’inflation au plus bas, souveraineté de la politique économique – sont en train de rapidement perdre de leur importance. Pour Berlin, une période essentielle de l’intégration européenne touche à sa fin. Le modèle allemand ne fait plus recette en Europe. Si tous les pays devenaient des champions de l’exportation, qui achèterait leurs produits ?

Les stricts critères du pacte de stabilité qui pénalisent le manque de discipline budgétaire – une idée allemande – se sont révélés inefficaces : ils n’ont ni protégé l’Europe de la crise, ni permis une convergence économique de l’UE. A présent, l’Union se dirige vers une phase où Berlin ne devra plus seulement jouer les leaders mais également revoir entièrement sa façon de penser et d’appliquer sa politique économique.

Berlin idéologiquement sur la défensive

L’Allemagne a besoin de stimuler davantage sa demande intérieure, d’augmenter les dépenses pour l’enseignement, la recherche et l’innovation et de renforcer le secteur tertiaire, expliquent les partisans d’un nouveau modèle de croissance pour l’Allemagne. Dans le classement publié l’année dernière par l'Institut allemand pour la recherche économique (DIW), l’Allemagne ne figurait qu’en neuvième position parmi 17 pays développés et était classée dernière en termes de système d’éducation et de financement de la recherche.

Les politiques taillées sur mesure pour les branches traditionnelles de l’industrie (automobile, chimie, ingénierie) qui profitaient de garanties à l’exportation, de subventions de recherche, d’allègements d’impôts et de la protection du gouvernement, appartiennent à un autre âge. "L’Allemagne devrait se préparer à dire au revoir à son enfant chéri : la voiture à essence", écrit Uwe Jean Heuser, grand spécialiste économique, dans son livre Was aus Deutschland werden soll ("Ce que l’Allemagne va devenir'). Le futur est ailleurs, dans les technologies de pointe et la main d’œuvre qualifiée. Le problème de l’Allemagne avec l’Europe ne vient pas d’une quelconque volonté néo-impérialiste mais d’une faiblesse structurelle qui empêche l’Allemagne d’endosser facilement le rôle de leader.

Berlin se retrouve aujourd’hui idéologiquement sur la défensive car il ne sait pas quelle voie choisir. La concomitance du débat interne sur le futur modèle économique du pays et les grands défis qui se posent dans le même domaine au plan européen, ne facilite pas la tâche aux Allemands. Paradoxalement, il est possible qu’une Europe moins allemande s’avère bien plus avantageuse pour l’Allemagne. Reste à savoir au bout de combien de temps les Allemands vont le comprendre.

Initiative

Berlin ne cède rien

Critiquée en Europe pour son intransigeance envers la Grèce, Angela Merkel persiste et signe dans un entretienaccordé au Corriere della Sera, au Monde et à El País. "La solidarité et la solidité sont inséparables. Pour l’Allemagne, cette culture de stabilité ou de solidité n’est pas négociable", rappelle la chancelière allemande, ajoutant que "nous sommes volontiers européens et nous savons ce que nous apporte l’euro. Mais nous nous sentons renforcés d’avoir négocié durement les points particulièrement importants pour nous."

Preuve de cette volonté de maintenir la pression sur ses partenaires, le Handelsblatt publie un document confidentiel du ministère des Finances sur la stratégie en vue des prochaines négociations. Pour réformer le pacte de stabilité, Berlin proposerait "un examen rigoureux et indépendant" des programmes de stabilité des pays de la zone euro, par la BCE ou "un cercle d'instituts de recherche".

Autre proposition : "Les pays de la zone euro qui ne respectent pas les objectifs de réduction de déficit se verront privés de fonds structurels temporairement", voire définitivement dans un cas extrême. Les pays violant les règles de l'Union monétaire perdraient leur droit de vote au Conseil européen pour au moins un an. Berlin envisage même une procédure de mise en faillite qui transformerait un Etat déficitaire en "protectorat de la Commission européenne", ainsi que le décrit le Handelsblatt. "L'Allemagne se pose maintenant en modèle, ce qui a longtemps manqué", se réjouit le quotidien économique qui parle d’un "tournant". "Dans l'intérêt de l'Europe, on doit continuer sur ce chemin. L'Allemagne doit garder le cap."

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