Le scandale qui secoue la jeune démocratie

Les scandales se suivent et se ressemblent à Tallinn. Les responsables politiques se gardent bien de réagir, préférant faire profil bas de peur d’être pris à leur tour. Face à eux, les contre-pouvoirs peinent à gagner en crédibilité et mobilisent peu.

Publié le 4 septembre 2012 à 15:17

Cela fait trois mois que le scandale Silvergate[voir encadré] a éclaté, sans aucune conséquence jusqu’à présent. Le bouclier de protection de l’élite politique estonienne semble être tellement solide, l'incapacité de celle-ci à se regarder en face tellement tenace, qu’on ne s’en étonnera pas outre mesure.

Il serait néanmoins erroné de dire que ce bouleversement politique n’a eu aucune influence : certains hommes politiques sont actuellement soupçonnés par la justice et la conception manichéenne de la politique jusqu’à présent brandie par les partis au pouvoir comme une source de légitimation, a perdu de sa vigueur. En outre, la Commission de la Constitution du Riigikogu [le Parlement] attend des propositions de la part de la société civile et des spécialistes pour modifier la loi sur les partis.

Cartellisation de la vie politique

Pourtant, tout cela ne suffit pas car on se retrouve face à un phénomène de cartellisation de la vie politique. Par rapport au reste de l’Europe, et en raison d’une expérience démocratique plus courte, ce processus s’est installé particulièrement vite en Europe centrale et orientale. L’Estonie a certainement été la plus “exemplaire” en la matière.

On comprend alors le silence de notre élite politique. Certaines formes de financement des partis sont devenues un sujet tabou. Il est bien vu de ne pas évoquer ces sujets lors des batailles politiques. Finalement, la véritable “faute” de Silver Meikar, non seulement pour sa formation, Reformierakond, mais aussi pour les autres partis, serait d’avoir violé cet accord tacite. Même les partis d’opposition, qui d’habitude s’empressent de gonfler chaque petit faux pas des partis au pouvoir, ont fait profil bas. Tout le monde sait bien que si on jette la pierre à l’autre au sujet d’une chose qu’on pourrait nous reprocher également, la vengeance de celui-ci peut être particulièrement amère.

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Ainsi, le scandale du Silvergate donne l’image de partis estoniens réunis en club de conspirateurs dont la conscience n’est pas tout à fait tranquille et qui, de ce fait, n’ose pas faire un pas pour aborder ces questions publiquement. La fusion progressive des partis avec les structures étatiques et leur éloignement de la société est une autre tendance de la politique estonienne actuelle. L’élite politique vit de plus en plus dans une bulle.

Pas besoin d’une capacité extraordinaire d’analyse pour comprendre le danger qu’une telle situation fait peser sur la démocratie. Au fond, nous sommes arrivés à un stade où si les quatre partis représentés au Parlement devaient prendre une décision d’un commun accord, il n’y aurait plus d’autres voix en Estonie capables de leur dire "non", clairement et à voix haute.

Culture de l'injure

Les institutions comme la société civile, les médias ou le président Toomas Hendrik Ilves, qui auraient pu faire pression et briser la loi du silence, existent bel et bien mais elles n’ont pas réussi à le faire. Et ce pour plusieurs raisons. Même si la société civile s’est un peu renforcée ces dernières années, il n’y a pas de culture de contestation en Estonie et les partis au pouvoir sont très forts pour que les actions publiques soient immédiatement récupérées par telle ou telle formation politique. Les citoyens, déçus et fâchés, ont donc préféré rester se plaindre chez eux.

Bien que les médias aient réagi fortement à ce scandale, ils se sont trop concentrés sur la recherche de coupables et il n’y a pas eu de débat constructif. On ressent d’ailleurs très bien comment la culture du débat commence à disparaître au profit d’une "culture de l’injure" : nous ne savons plus discuter et résoudre les problèmes de façon équilibrée et respectueuse de l’autre.

Enfin, c’est la réaction inadaptée du président qui a surpris. Il a certes lancé un avertissement mais qui s’est avéré bien plus discret que sa réaction à un autre scandale récent [qui concernait le parti centriste Keskerakond], mais beaucoup moins grave pour la démocratie estonienne.

On a désormais une image complète de la société estonienne : d’un côté les partis-cartels et de l’autre, les institutions [sociales] incapables de contraindre les politiques à se regarder dans le miroir. Les conséquences pour le pays sont tristes. Nous avons construit un système auquel il manque des mécanismes de contre-pouvoir et de contrôle des institutions démocratiques que sont les partis politiques. C’est un système qui risque de s’enfermer complètement en devenant sourd à la voix de la société et en perdant un réflexe pourtant naturel, celui de porter sur soi un regard critique.

Scandale

Le Silvergate révèle le financement occulte de la politique

Ce scandale a éclaté en mai dernier et porte sur des soupçons de blanchiment d'argent par l'intermédiaire de donations des membres du parti au pouvoir, Reformierakond(Parti estonien de la réforme, libéral, au pouvoir), à leur formation. Le scandale porte le nom de son principal protagoniste, Silver Meikar (photo), un ancien membre du parti. Celui-ci a révélé au public avoir accepté des donations en liquide sans connaître l’origine de ces fonds. Selon lui, d’autres membres du parti sont également concernés : le nom de Kristen Michal, actuel ministre de la Justice, a été mentionné. Une ancienne membre du parti raconte également comment elle a reçu 1 000 euros de la part d'un membre du groupe parlementaire de Reformierakondqu'elle a transféré sur le compte du parti comme si c'était une donation personnelle.

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