La culture du secret, une menace pour l’euro

Les ministres des Finances de l'Union s'apprêtent à adopter un fonds de stabilisation pour protéger les membres les plus affaiblis de la zone euro. Il n'en reste pas moins que le culte du secret, entretenu par la Banque centrale européenne et l'UE, constitue une menace pour l'avenir de la monnaie unique, écrit Wolfgang Münchau.

Publié le 7 juin 2010 à 14:01

Il y a de grandes chances que l'Union européenne fasse quelque chose de bien cette semaine. Les ministres des Finances devraient, à mon avis, aboutir à un accord intelligent sur les grandes lignes de la structure ad hoc [le Fonds monétaire européen, doté de 750 milliards d'euros] devant servir de bouclier aux membres de la zone euro en difficulté. Le flou qui règne sur le champ d'action de ce mécanisme de soutien a contribué la semaine dernière à l'agitation sur les marchés européens. Certains échos rapportés par les médias allemands, selon lesquels les banques françaises procédaient à une revente massive de leurs obligations grecques auprès de la Banque centrale européenne, ont eu les mêmes effets. Il n'y avait guère d'éléments solides pour le prouver, mais les dénégations n'étant pas très solides non plus, ces soupçons ont perturbé les marchés durant plusieurs jours.

Une rétention d'informations irresponsable et dangereuse

La hausse des spreads [écarts de crédit] sur les obligations d'Etat enregistrée la semaine dernière est donc essentiellement due à une communication pitoyable. Il n'y aurait jamais eu de panique sur les marchés si la BCE avait fourni des informations sur ses rachats d'obligations, ou si les ministres européens des Finances avaient précisé clairement quels mécanismes avaient été retenus, ou non, pour le fameux Fonds de stabilisation. Lorsque les détails manquent, on tend à supposer le pire. C'est ce qui s'est produit la semaine dernière.

La transparence n'est pas une matière forte de l'Union, moins encore de la BCE. Il est grand temps que la BCE nous dise clairement ce qu'elle achète et comment votent ses membres. Selon mes informations, seul Axel Weber, le président de la Bundesbank, a formellement levé la main pour voter contre le programme d'achat d'obligations de la BCE. Pourtant, il n'était pas le seul à avoir exprimé des inquiétudes au cours des discussions. D'autres échos, moins crédibles, faisant état d'une répartition différente des votes, me sont également parvenus. Où est la vérité ? Une chose est sûre, nous ne devrions pas en être réduits à faire ces devinettes.

De nombreuses bonnes raisons plaident en faveur d'une plus grande transparence. C'est une condition préalable pour résoudre une crise de l'envergure de celle que nous connaissons aujourd'hui. La BCE a bien géré la crise jusqu'à présent, mais pratiquer une telle rétention d'informations importantes est irresponsable et potentiellement dangereux.

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Les débats sur la transparence ne sont pas nouveaux, je me rappelle avoir écrit un article sur le sujet en 1998 déjà. Depuis des années, les observateurs répètent que le pacte de stabilité et de croissance qui encadre la zone euro ne résistera pas à une tourmente même modérée, que les sanctions ne fonctionnent pas, qu'il nous faut de vrais systèmes de gestion de crise, que nous avons besoin d'autres critères d'adhésion à la zone euro, et que la transparence de la banque centrale est une nécessité. Ils n'ont été écoutés sur aucun de ces points.

La BCE s'est efforcée de tuer dans l'œuf tous les débats sur la transparence, prétendant que cela exposerait les membres de son conseil à d'excessives pressions dans leur pays. Les spécialistes de la BCE se sont ainsi transformés en “kremlinologues”, contraints de spéculer en permanence sur ce que pouvait bien penser la BCE contrairement à ce qu'elle disait. Les théories du complot se sont succédé. Et quand la crise s'est installée, cette culture du secret a donné naissance à des spéculations délétères, ce qui n'a pas manqué d'aggraver les problèmes.

Un problème d'opacité qui ne concerne pas la seule BCE

L'UE a manqué une belle occasion de résoudre tous ces problèmes en 2003, lors de la convention constitutionnelle qui a abouti au traité de Lisbonne. Une nouvelle occasion se présente aujourd'hui à elle, mais je n'en attends pas grand-chose. La transparence de la BCE et son obligation de rendre des comptes devraient selon moi figurer en tête des priorités du débat sur la gouvernance. Je ne mets pas en cause l'indépendance de la BCE. Cependant, la Banque centrale devrait à tout le moins être contrainte de rendre publique la manière dont ses membres votent lors de ses réunions, sans pour autant les nommer. Même si, dans l'idéal, il faudrait aller plus loin et préciser qui a voté quoi.

Lorsque l'union monétaire venait d'être instaurée, j'acceptais l'argument selon lequel des pressions risquaient de s'exercer sur les gouverneurs des banques centrales de chaque Etat pour qu'ils votent selon les intérêts de leur pays. Dix ans plus tard, cet argument ne tient plus guère. Et si c'était le cas, nous ferions tout aussi bien de tout laisser tomber.

Anne Sibert, professeur d'économie au Birbeck College de Londres et membre externe du comité de politique monétaire de la Banque centrale d'Islande, souligne dans un article tout récent l'existence de deux types de responsabilité, la responsabilité formelle et la responsabilité réelle. Cette dernière inclut d'éventuelles sanctions en cas d'objectif non atteint. Or la BCE, elle, n'est pas même formellement responsable. ”Pour qu'il y ait responsabilité formelle, écrit Anne Sibert, la BCE doit être transparente. En d'autres termes, elle doit informer les citoyens de ses actions et de ses décisions, et les justifier. Malheureusement, la BCE, dont l'opacité de la politique monétaire est notoire, fait preuve d'une transparence sans doute moindre encore dans son action dans le domaine de la stabilité financière.” Dans le cas précis des achats d'obligations, où l'action de la BCE influe directement sur les finances des Etats, l'opinion a le droit démocratique de connaître non seulement les volumes globaux, mais aussi la nature exacte des obligations rachetées.

Ce problème d'opacité ne concerne certes pas la seule BCE. Il sévit à aussi Bruxelles. Le débat sur la gouvernance, organisé sous l'égide du président du Conseil européen Herman Van Rompuy, est dans son ensemble aussi secret qu'une réunion du conseil de la BCE. Et là aussi, le secret déchaîne les spéculations, qui à leur tour déclenchent dénégations et rejets, entravant de fait tout véritable débat. Mon sentiment est que les discussions qui ont lieu actuellement à Bruxelles et Francfort portent avant tout sur Bruxelles et Francfort, et non sur la recherche de solutions durables. Pour qu'on parle de solutions, il nous faudrait une crise bien plus grave encore. Et nous finirons sans doute par l'avoir.

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