Maintenant les politiques n’ont plus d’excuse

Le verdict de la Cour constitutionnelle allemande a mis fin à la première partie de la "guerre d’unification" européenne. Mais aujourd’hui s’ouvre une nouvelle phase : celle de la bataille pour convaincre les politiques nationaux d’accepter le transfert de souveraineté nécessaire à l’UE de demain.

Publié le 13 septembre 2012 à 15:22

Comme dans un jeu vidéo au scénario cauchemardesque, l’Europe a évité l’énième piège qui la menaçait et peut désormais accéder au niveau supérieur après avoir récupéré enfin ce "bazooka" anti-spéculation qu’elle attendait depuis un an.

La Cour constitutionnelle allemande a jugé que le nouveau fonds de sauvetage, le MES [Mécanisme européen de stabilité], n’enfreignait pas les prérogatives souveraines du parlement national. Les juges ont posé, c’est vrai, quelques conditions qui renforcent implicitement l’hégémonie allemande sur les affaires européennes, mais qui ne sont pas aussi dures qu’on aurait pu le redouter.

La sentence de Karlsruhe met sans doute fin à la première phase, la plus sanglante, de cette guerre d’unification européenne qui s’est heureusement livrée sur les marchés et non plus dans les tranchées. Mais il s’en ouvre une autre, plus délicate encore. Parce que la bataille s’étend aujourd’hui de la sphère économique à la sphère politique : depuis les institutions financières, elle gagne les parlements, les gouvernements, les bureaux de vote où, dans les années qui viennent, les démocraties seront appelées à décider de l’avenir du continent.

Le défi de la crédibilité

Grâce au courage et à la clairvoyance [du président de la BCE] Mario Draghi et aux décisions des chefs de gouvernement, aussi tardives fussent-elles, la zone euro a démontré dans les faits qu’elle jugeait l’euro "irréversible", comme le dit la BCE. Et s’est dotée des instruments nécessaires pour soutenir la monnaie unique. Cependant, ce serait une erreur grossière de croire que la guerre est gagnée. Le défi de la crédibilité de l’Union est simplement passé au niveau supérieur : il est passé de l’euro à l’Europe elle-même, de la monnaie au souverain qui la frappe. Et ce souverain se montre à l’heure qu’il est pour le moins indécis, et donc peu crédible.

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L’urgence n’est donc pas derrière nous. Mais la nouvelle bataille qui s’engage est entièrement politique. Et se jouera simultanément à trois niveaux au moins.

Le premier niveau est celui de la politique économique. Les bouées de sauvetage qui sont aujourd’hui enfin disponibles ne feront effet que si les gouvernements des pays qui, ces dernières années, ont perdu le défi de la compétitivité et de la rigueur, maintiennent le cap des efforts déjà consentis et regagnent le terrain perdu. Ce ne sera ni facile, ni indolore. Mais si, dans les dix années à venir, l’Espagne ou l’Italie devaient s’écarter du cap qu’elles s’étaient fixées, tout ce qui a été accompli jusqu’à présent n’aura servi à rien. S’il a pu résister, tant bien que mal, au manque d’engagement de la Grèce, l’euro ne survivrait pas en revanche à la défection d’économies qui pèsent dix ou vingt fois plus lourd.

Le deuxième niveau est celui des politiques nationales. Hier, ce sont les Pays-Bas qui se sont rendus aux urnes pour des élections législatives qui étaient en réalité un référendum sur l’Europe et qui se sont soldées par le succès retentissant des partis europhiles. Avant les Néerlandais, les Grecs s’étaient exprimés (deux fois) sur l’Europe. Ce sera ensuite aux Italiens et, là aussi, le choix se fera entre les partis europhiles et les partis ou mouvements anti-européens. Après, ce sera au tour de l’Allemagne, et les termes de la question seront encore une fois les mêmes. Après de nombreuses hésitations, Angela Merkel s’est positionnée avec force dans le sillon européen tracé par Helmut Kohl. Mais tout le monde ne semble pas disposé à l’y suivre jusqu’au bout et les élections revêteront la forme d’une bataille visant à rallier, ou plutôt à re-rallier, les Allemands à la cause du projet européen.

L’une après l’autre, toutes les démocraties de l’Union devront faire leurs comptes au sujet de ce projet, en considérant son coût et les défis qu’il pose.

300 millions d'Européens et huit juges

Le troisième niveau est celui de la politique européenne. C’est le plus complexe. Hier, la Commission a présenté sa proposition visant à confier la surveillance des 6 000 banques de l’Union à la BCE. C’est le premier pas vers une union bancaire, mais un pas qui ne plaît pas aux Allemands. Toujours hier, devant le Parlement européen, [le président de la Commission] José Manuel Barroso a déclaré que l’avenir de l’Europe résidait dans une "fédération d’Etats-nations", ce qui ne plaît pas aux Français. En octobre, les chefs de gouvernement devront rendre un premier avis sur le projet d’intégration future de l’Union que présenteront Herman Van Rompuy, Mario Draghi, José Manuel Barroso et Jean-Claude Juncker. Celui-ci prévoira des réformes qui pourront entrer en vigueur sans modifier les traités, mais aussi des objectifs et une feuille de route en vue d’une modification de ces mêmes traités qui devra aboutir à l’union budgétaire et à une véritable union politique.

La coexistence de la souveraineté nationale et de la souveraineté européenne et la confusion qu’elle fait régner constituent un problème qui va s’aggravant et dont la résolution bénéficiera à la démocratie elle-même. En témoigne le verdict prononcé hier, qui a vu 300 millions d’Européens suspendus aux lèvres de huit juges nommés par les Länder allemands.

Autrement dit, après avoir sauvé la monnaie, il faut désormais sauver l’Europeen la dotant de la souveraineté qu’elle ne possède pas encore. Mais la réponse que les gouvernements sauront apporter à cette question dépendra largement de l’issue des deux autres défis – la politique économique et les nouvelles majorités parlementaires – qui reste suspendue, pour la dernière fois peut-être, au verdict des démocraties nationales.

Vu de Paris

Un triple renoncement allemand

Avec les dernières décisions de la Banque centrale européenne, le 6 septembre, et l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, le 12, “le destin de l’euro s’est trouvé dans les mains non pas des politiques mais de responsables non élus et inamovibles pendant leur mandat : les banquiers centraux de Francfort et les juges allemands de Karlsruhe, constate Le Monde :

Cette situation pose un problème de légitimité démocratique et oppose profondément les esprits allemand et latins, Français en particulier. [Ces derniers] invoquent le primat du politique et du peuple souverain. [...] Instruits pas les catastrophes du XXème siècle, les Allemands ont appris à se méfier du politique. [...] Les décisions de Mario Draghi [...] sont paradoxalement approuvées en France, critiquées par les esprits germaniques. Pour les Français, ces deux institutions bien peu démocratiques ont pris des décisions éminemment politiques : sauver l’euro coûte que coûte. [...] Pour la raison inverse, les Allemands s’en indignent. Selon eux, la BCE a abdiqué son indépendance. Quant aux juges de Karlsruhe, leur décision [...] traduit le passage à une Europe faite de transferts financiers.

De fait, estime le quotidien français, l’Allemagne a beaucoup perdu en une semaine :

Derrière l’apparence d’un triple veto venu d’Allemagne, celui de Francfort, Karlsruhe et Berlin, c’est un triple renoncement qui s’est imposé à l’Allemagne. Les vieilles institutions de la République fédérale ont été sapées sur l’autel de l’euro.

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