Pendant les répétitions de "Moeland", à Zundert.

Les “petites mains” de l’Est en scène

A Zundert, dans le sud du pays, Néerlandais et travailleurs venus d’Europe centrale et orientale se côtoient sans échanger. Pour créer un lien, des comédiens ont décidé de mettre en scène des tranches de vie.

Publié le 14 septembre 2012 à 10:23
Pendant les répétitions de "Moeland", à Zundert.

Nous voulons donner un visage aux travailleurs immigrés d’Europe orientale”, explique Peter Dictus, l’auteur et le metteur en scène, dans une gigantesque serre horticole vide à Zundert [dans le sud des Pays-Bas]. “Ce sont des gens comme les autres, qui sont venus s’installer ici en grand nombre, mais le reste de la ville les ignore et les tient à l’écart. On ne les considère que comme une main-d’œuvre bon marché.

En ce samedi après-midi, les membres de la troupe Het Zunderts Toneel sont en pleine répétition pour la pièce de théâtre Moeland - Rijk van de Armen [Terre d’Europe centrale et orientale – Royaume des pauvres, mais le nom de la pièce est un jeu de mot car “moe”, qui est l’abréviation d’Europe centrale et orientale, signifie aussi “fatigue”, donc le titre peut vouloir dire “Terre de fatigue – Royaume des pauvres”]. Cette pièce sera jouée les trois derniers week-ends de septembre, dans la serre. Les danseurs se traînent sur le sol de sable noir, comme des cueilleurs de fraises.

Plus loin, on répète des monologues. “Je négocie, j’achète, je vends, je loue”, dit un des acteurs. Il joue le marchand de sommeil qui s’enrichit en louant à des prix usuriers des logements délabrés ou des caravanes aux migrants d’Europe orientale. “*J’apporte ma petite contribution à la société. Je ne suis pas un mauvais gars.*

Une absence totale d’interaction

L’auteur du texte, Peter Dictus, habitant de Zundert, espère que les horticulteurs et pépiniéristes [employeurs des travailleurs immigrés] seront nombreux à venir assister à ce spectacle de “théâtre documentaire”. Et qu’ils porteront alors un autre regard sur le phénomène de l’immigration du travail. Car cette histoire n’est pas seulement économique, elle est aussi sociale, elle témoigne de l’absence totale d’interaction, sans parler d’intégration.

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D’après les données du CBS, l’office national des statistiques, Zundert est l’endroit des Pays-Bas le plus densément peuplé par les travailleurs immigrés d’Europe centrale et orientale. Selon la municipalité, environ 2 500 habitants venus d’Europe centrale et orientale y vivent. Cela représente près de 12 % de la population locale. Selon d’autres estimations, leur nombre atteint même 4 000. “*Nous ne pouvons pas les contourner, au sens propre comme au sens figuré*”, fait remarquer Peter Dictus. “Nous savons qu’ils sont là, mais nous refusons de les voir. Nous avons vraiment besoin d’eux dans les champs de fraises ou dans les pépinières, mais en tant qu’être humain, on leur demande de rester cachés.

On ne les considère que comme des petites mains

Le journaliste et photographe Riet Pijnappels, lui aussi originaire de Zundert, a photographié différents migrants sur leur lieu de travail et chez eux. L’exposition photo, qui sera ouverte au public dans la chapelle de l’ancien cloître Sainte-Anne, donne un visage aux cueilleurs d’asperges polonais et aux cueilleurs de fraises lituaniens. “*Mais ici, on ne les considère que comme des petites mains*, dit Riet Pijnappels.

La plupart des Européens de l’Est vivent dans des villages de vacances à Zundert. Au camping Fort Oranje, des dizaines de caravanes bancales sont remplies de Polonais, de Roumains et de Lituaniens. “Et ils paient 500 euros par mois pour vivre là-dedans ! ”, s’indigne Riet Pijnappels. “C’est de l’exploitation pure et simple. Cet aspect-là aussi fait partie de l’histoire de la migration.

Peter Dictus s’étonne des vies totalement parallèles que mènent les différentes catégories de la population. Le 2 septembre a eu lieu le célèbre défilé de chars fleuris de Zundert. Dans le cadre du projet sur les immigrants d’Europe centrale et orientale, la troupe Het Zunderts Toneel a organisé une expédition à vélo avec environ 70 immigrants pour aller voir quelques tentes où se préparaient les chars de fleurs. *“Au début, les habitants de Zundert et les immigrants d’Europe centrale et orientale se sont regardés comme des lapins éblouis par les phares d’une voiture.*

Des vies entre parenthèses

Il reconnaît que cela vient aussi des immigrants, qui pour la plupart ne cherchent pas à s’intégrer. “Je connais un groupe de Roumains qui travaillent depuis déjà 12 ans chez le même horticulteur, 10 mois par an. Mais ils se considèrent toujours comme des travailleurs saisonniers. Cela me fait penser aux Marocains qui sont venus vivre ici il y a une cinquantaine d’années, pour travailler temporairement à la conserverie. Ils vivent encore ici, dans ce que nous appelons le quartier à problèmes de Zundert.

Dans la pièce de théâtre, il montre aussi les “vies entre parenthèses” des personnes venues d’Europe orientale. “Ils sont partis de chez eux, sans jamais arriver à destination. Ils vivent dans une sorte de no man’s land. Leur vie se déroule sur un emplacement de parking, parfois depuis plus de 10 ans. Ils rêvent, travaillent et mettent de l’argent de côté.

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