Des militants collent des affiches à Bruxelles pour les élections législatives du 13 juin 2010

Dans le labo de l’Europe, l’expérience tourne mal

Longtemps considéré comme un prototype de l’UE, le Royaume se prépare à scrutin qui pourrait aggraver sa crise existentielle. Et les résultats pourraient préfigurer un accroissement de la fracture nord-sud sur le continent.

Publié le 11 juin 2010 à 15:32
Des militants collent des affiches à Bruxelles pour les élections législatives du 13 juin 2010

La dernière fois que les Belges ont voté pour des élections législatives, en 2007, il leur a fallu 282 jours pour former une coalition gouvernementale viable. Le 13 juin, la Belgique est de nouveau appelée aux urnes et la prochaine coalition pourrait être encore plus difficile à trouver. Dans le Nord du pays, les sondages menés auprès de l’électorat néerlandophone de Flandre, donnent la victoire à Bart De Wever, populiste tapageur pour qui les Belges francophones du Sud ne sont que des "assistés", accros aux aides sociales financées par les économies flamandes. Son projet : séparer la fiscalité, les aides sociales et la plupart des dépenses publiques entre les deux communautés. Le roi et le pays qu’on appelle la Belgique peuvent être maintenus pour le moment, la Flandre est, d’après De Wever, "naturellement vouée" à devenir un Etat indépendant.

Du côté des francophones – qui représentent 40% de la population -, les sondages donnent l’avantage à Elio Di Rupo, responsable socialiste appelant à la "solidarité" entre Belges (c’est-à-dire au maintien des transferts financiers depuis la Flandre). Alors que la dette publique belge atteint 99% des revenus nationaux, Di Rupo a promis d’augmenter le budget des retraites et des dépenses de santé à un rythme supérieur à celui de l’inflation. D’une manière ou d’une autre, ces deux hommes vont devoir s’entendre sur le choix de la prochaine coalition. La campagne électorale a été particulièrement terne. Les responsables politiques ont à peine abordé le sujet de la crise économique européenne, pourtant la plus dangereuse depuis près de trente ans, préférant parler des droits linguistiques de communautés francophones dans diverses communes flamandes et dans des affaires locales.

La Belgique fédérale, ancien modèle d'un super-Etat européen

Pendant des années, la Belgique fédérale s’est vue comme un modèle pour une Europe où les pouvoirs convergeraient des régions vers un super-Etat européen, vidant les Etats-nations de leur substance. Cette perspective avait de quoi plaire aux Belges : elle promettait de dissoudre les tensions de leur royaume compliqué au sein de futurs Etat Unis d’Europe (avec Bruxelles pour capitale). Mais l’Europe n’a pas emprunté cette voie. Les Etats-nations se sont avérés plus résistants que prévu et la scène politique européenne est essentiellement dominée par une poignée de responsables nationaux.

Avec ces élections, la Belgique s’est révélée un tout autre modèle d’Europe : une union au sein de laquelle les divisions nord-sud sapent toute tentative d’intégration politique ou économique. Il suffit de voir le slogan de campagne de De Wever. Celui-ci ne se contente pas de dénoncer haut et fort les milliards d’euros pris aux Flamands, il accuse également les inspecteurs des impôts de faire moins de zèle dans le sud du pays. Il grogne contre les autoroutes flamandes truffées de radars tandis celles de Wallonie seraient sans surveillance. Le ministre régional flamand des Finances, collègue de parti, souligne pour sa part que la Flandre devrait enregistrer un excédent budgétaire en 2011 tandis que les dirigeants francophones de Bruxelles et de Wallonie prévoient de laisser courir leurs déficits pour les cinq prochaines années.

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Juste au-dessus de la Belgique, les Pays-Bas ont également tenu des élections, le 9 juin dernier, où il n’a presque pas été question de l’Europe. Mark Rutte, chef du parti libéral de droite, le VVD, et probable futur Premier ministre, s’est engagé à obtenir une baisse notable de la contribution européenne des Pays-Bas, déclarant que les aides européennes aux régions pauvres relevaient essentiellement du "recyclage de fonds". Ces plaintes reflètent l’existence d’un choc culturel nord-sud, tout comme les titres des journaux allemands qui demandent pourquoi les Allemands devraient payer pour des Grecs qui prennent leur retraite à 55 ans. Tout cela a des conséquences pour l’Europe.

Le bloc du nord accusé d'égoïsme

L’Union est divisée entre un bloc mené par l’Allemagne qui cherche à sauver l’euro par la discipline budgétaire et un bloc du sud, dominé par la France, qui pense sauver la mise grâce à des crédits européens meilleur marché et la création d’une "union budgétaire" pour redistribuer la richesse entre Etats membres.Et pourtant, si la Belgique, pays unique doté d’une monnaie unique, a du mal à préserver son propre système de redistribution, quelles sont les chances de l’Europe de parvenir à en créer un à partir de rien ? Les partisans de la "solidarité" accusent les Européens du Nord de faire preuve d’égoïsme. Voilà qui est réducteur car il ne s’agit pas seulement d’argent.

L’Europe peut, en effet, tirer une autre leçon de l’exemple belge : pour que les électeurs approuvent les transferts de richesse, ils doivent sentir que les bénéficiaires sont démocratiquement tenus de leur rendre des compte. Les utopistes affirment qu’il serait possible de bâtir une union budgétaire tirant sa légitimité du Parlement européen. En réalité, rares sont les électeurs qui connaissent ou s’intéressent à ceux qui les représentent au Parlement européen. Ces fragiles fondations ne pourraient pas supporter le poids d’un tel projet. Dans ce cas, répliquent les utopistes, les présidents de la commission européenne et certains membres du Parlement européen devraient à l’avenir pouvoir se présenter dans des circonscriptions pan-européennes. Une fois que le continent aura embrassé la politique pan-européenne, toute forme d’union fiscale et budgétaire devrait être possible. Si ce discours paraît relativement cohérent, les divisions démocratiques demeurent profondes au sein de l’Europe. Il n’y qu’à voir le mal qu’ont 10 millions de Belges à définir une politique "pan-belge".

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