Des Palestiniens attendent de passer le poste de frontière avec l'Egypte, à Rafah.

L’Europe a raison depuis 1980

Il y a trente ans, l’Europe plaidait pour l’autodétermination du peuple palestinien. Au lendemain de l’attaque de l’armée israélienne contre la flottille pour Gaza, cela reste la seule solution viable au conflit au Moyen-Orient, estiment deux observateurs israéliens.

Publié le 14 juin 2010 à 14:51
Des Palestiniens attendent de passer le poste de frontière avec l'Egypte, à Rafah.

Il y a 30 ans, un vendredi 13 juin, une déclaration de la Communauté européenne ouvrait des perspectives nouvelles en se prononçant pour l’“autodétermination” du peuple palestinien et en appelant à l’“association” de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) aux pourparlers de paix au Moyen-Orient. Survenant alors que les Etats-Unis s’efforçaient de lancer des négociations entre Israël et l’Egypte sur l’autonomie palestinienne, conformément au traité de paix signé par les deux pays un an plus tôt, la “déclaration de Venise” stupéfia Jérusalem et en agaça plus d’un à Washington.

Le Premier ministre israélien Menachem Begin prononça l’une des déclarations les plus furibondes de l’histoire de la diplomatie. Qualifiant les membres de l’OLP de “SS arabes” et comparant la déclaration des Européens à une marque d’apaisement envoyée à Hitler, il tonna : “Tout homme de bonne volonté et tout individu libre en Europe examinant ce document y verrait une capitulation à la munichoise, la deuxième en une génération, face à l’extorsion tyrannique, et un encouragement à tous les éléments aspirant à mettre en échec le processus de paix au Moyen-Orient.”

Les principes fondamentaux d'une solution globale au conflit

Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que ni Bruxelles, ni Jérusalem n’ait envie de célébrer cet anniversaire. Pourtant, revenir sur la déclaration de Venise constitue une bonne occasion de mesurer ce qu’il est advenu de son contenu au fil du temps, et d’y reconnaître un épisode visionnaire de la politique européenne au Moyen-Orient.

Le verdict ne fait pas de doute : les Européens avaient raison. Ils avaient raison de souligner que pour résoudre le conflit israélo-palestinien, Israël devait reconnaître le droit à l’“autodétermination” des Palestiniens, façon codée, en langage diplomatique, de parler d’Etat indépendant. Ils avaient raison d’appeler à l’intégration de l’OLP au processus de paix. Et ils avaient raison de demander instamment une solution globale au conflit arabo-palestinien, une solution qui aille au-delà de l’accord bilatéral entre Israël et l’Egypte et de l’autonomie dont les deux pays devaient négocier au nom des Palestiniens.

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En réalité, la déclaration européenne n’était pas seulement juste, elle était aussi visionnaire, puisqu’elle énonçait avec hardiesse les principes fondamentaux de cette solution globale. A savoir : reconnaissance du droit à l’existence d’Israël, garanties de sécurité pour toutes les parties au conflit (avec, si nécessaire, le déploiement d’une force multinationale sur place) et retrait israélien des territoires arabes occupés depuis 1967. En qualifiant les colonies juives d’“obstacle grave au processus de paix”, la déclaration de Venise mettait aussi en garde contre toute tentative unilatérale de changement du statut de Jérusalem. Ces principes continuent aujourd’hui de définir les contours du seul accord viable envisageable entre Israël et les Palestiniens.

Le Moyen-Orient attend son nouveau Venise

Néanmoins, si les Européens avaient raison, cela ne signifie pas pour autant que leur démarche diplomatique fut irréprochable. Tout d’abord, en gérant mal le contexte diplomatique de la préparation de la déclaration, ils ont contribué à son rejet : au lendemain du processus de Camp David lancé par les Américains [les accords ont été signés en septembre 1978], auquel ils ont d’emblée réservé un accueil glacial, la déclaration de Venise ressemblait davantage à une justification opportuniste qu’à un effort de bonne foi.

Du côté de Washington, le refus des Américains d’admettre que rien de décisif ne pouvait sortir de pourparlers d’autonomie s’est traduit par de longues années de mauvaise volonté diplomatique. Ce n’est qu’en décembre 2000 qu’ils ont rattrapé leur retard sur la déclaration de Venise en présentant les “paramètres Clinton”. L’OLP, pour qui la déclaration représentait une incontestable victoire diplomatique, tarda huit ans encore à renoncer officiellement à la violence et à s’engager en faveur de la solution à deux Etats.

Pourtant, l’OLP, les Etats-Unis et, à des degrés divers, Israël elle-même se sont ralliés à la conception européenne, et trente ans après, la déclaration de Venise se distingue comme la plus audacieuse des initiatives formulées par l’Europe pour la paix au Moyen-Orient. De nombreux facteurs peuvent expliquer pourquoi il n’y a pas eu d’efforts semblables par la suite, notamment l’élargissement de l’Europe, l’absence de force politique commune (sans parler de force militaire) et la volonté farouche de Washington d’écarter les Européens de la question.

Les Européens déplorent souvent d’être cantonnés au Moyen-Orient au rôle de payeurs plus qu’à celui d’acteurs. Le trentième anniversaire de la déclaration de Venise devrait venir rappeler que l’Europe seule a été capable d’articuler une vision plus claire, plus audacieuse et plus perspicace que tous les autres. Trente ans plus tard, la région attend son nouveau Venise.

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