"En Syrie... Ca suffit".

La Syrie et l’insoutenable faiblesse stratégique de l’Europe

L’impuissance de l’UE face au drame syrien témoigne de l’absence d’une politique étrangère européenne crédible. Mais celle-ci ne peut exister que si l’Europe se dote d’une véritable force armée commune.

Publié le 4 octobre 2012 à 15:32
"En Syrie... Ca suffit".

Alep, Damas... Corps jonchant les rues, quartiers éventrés, bombardements aveugles... Images et récits intolérables qui nous renvoient directement aux heures les plus sombres de Sarajevo et de Grozny. Urbanicides. Et rien ne semble bouger. Les Etats-Unis sont en campagne électorale. Quant aux Européens, quand bien même voudraient-ils intervenir, ils ne le pourraient tout simplement pas.

Cette impuissance européenne ne conditionne pas seulement la résolution future d'un conflit qui s'installe dans la durée. Elle a contribué à la transformation d'un conflit politique en un conflit militaire totalement asymétrique. La "démocratie Potemkine" russe a utilisé à plein cette absence américaine et cette impuissance européenne. L'Europe du "soft power" est nue. Elle attend novembre comme on attendrait Godot. En espérant qu'alors les Etats-Unis bougeront ou que les insurgés auront pris le dessus. On ne sait trop. Il reste qu'au-delà de la Syrie, l'Europe doit sortir de cette insoutenable impossibilité stratégique.

La question de la faiblesse stratégique des pays européens ne peut être lue à la seule lumière de la capacité (ou non) de mener des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix. Elle s'insère au cœur des mouvements tectoniques qui travaillent le monde stratégique. Les Etats-Unis l'ont non seulement compris. Ils y répondent en déplaçant le centre de gravité de leur politique de sécurité de l'Atlantique vers le Pacifique et en demandant aux Européens d'assumer de plus grandes responsabilités. Ce à quoi ces derniers n'ont répondu jusqu'ici que par une nouvelle formulation du "dépenser moins et dépenser mieux" : la "défense intelligente".

Missions de Petersberg

Si, plus encore que la monnaie, la défense touche au cœur des prérogatives régaliennes des nations, laissons donc à l'Otan et aux Etats membres la défense au sens strict, y compris la question de la dissuasion nucléaire, et concentrons-nous sur ce qui fait déjà l'objet d'un consensus au sein de l'Union : "à l'Europe incombent les missions de Petersberg (maintien de la paix, imposition de la paix et missions humanitaires) et à l'Otan (et donc aux Etats membres) le maintien des équilibres stratégiques", écrivait Jean-Jacques Roche en janvier dernier.

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Il ne s'agirait pas de fusionner les armées (ou parties de celles-ci) des différents Etats-membres, mais bien de créer, ex novo, aux côtés des armées nationales, une armée européenne commune. Avec son état-major, son système de recrutement, ses écoles militaires, ses bases militaires, ses organes de renseignement ...

Si l'on part de l'hypothèse d'une coopération renforcée à laquelle adhéreraient initialement dix pays membres (Allemagne, Belgique, Bulgarie, Espagne, France, Grèce, Italie, Pays-Bas, Pologne, Portugal) transférant 0,2 % de leur PNB - soit de 8 à 20 % de leurs budgets de la défense respectifs - de leur défense nationale vers l'armée européenne commune, le budget annuel de celle-ci s'élèverait à près de 18 milliards d'euros. Si on y ajoute les Britanniques, on dépasse les 21 milliards d'euros. Ce qui n'est pas peu si l'on considère que ces moyens devraient être, pour l'essentiel, consacrés à la projection de forces.

Un instrument militaire commun obligerait les Etats membres à délibérer et décider ensemble de la participation ou non aux missions de maintien ou de rétablissement de la paix et sur les modalités de celles-ci. Il contribuerait de ce fait à définir une politique étrangère commune. Cela permettrait également aux Etats-membres de financer des programmes qu'ils ne sont plus en mesure d'assumer seuls. Enfin l'armée commune permettrait aux armées nationales des Etats participant de bénéficier de services qu'elles ont de plus en plus de difficultés à se procurer seules (capacités d'observation et de communication satellitaires, protection contre les menaces bactériologiques, chimiques, nucléaire, groupes aéronavals, renseignement).

Double approbation

Si l'approche est "communautaire", la responsabilité politique de l'organisation et du fonctionnement de cette armée devrait être toute entière dévolue au Président de la Commission européenne et à un commissaire à la sécurité et à la défense. Il leur appartiendrait de décider de l'opportunité d'engager ou non l'armée commune dans des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix. Cette décision serait soumise à la double approbation du Parlement européen et du Conseil des pays participant à la coopération renforcée.

Par l'entremise de ce dernier, les Etats membres - et en particulier les plus peuplés d'entre eux - conserveraient une bonne maîtrise arithmétique et une très bonne maîtrise politique de la décision du recours à la force. Cette armée commune serait intégrée à l'Otan en tant que réserve stratégique selon des modalités à définir avec l'ensemble des membres de l'Organisation atlantique. La coopération renforcée serait ouverte à tous les pays de l'UE qui acceptent que cette armée commune soit partie intégrante de l'Otan.

D'aucuns estimeront que l'Union européenne a d'autres chats à fouetter en ces temps de crise. C'est faire bien peu de cas de ce que la création d'une telle armée européenne commune pourrait apporter en termes de crédibilité politique au projet européen dans son ensemble, y compris donc auprès des acteurs économiques. Par ailleurs le budget de l'Union serait, d'un seul coup, majoré de plus de 20%. L'armée commune permettrait également de tenir compte des effets centripètes en termes de développement économique résultant de la création de la monnaie unique, en investissant les pays du sud des principales infrastructures nécessaires.

Européens convaincus

Avec Angela Merkel, la chancelière allemande, Wolfgang Schäuble, l'homme fort de son gouvernement, le président français François Hollande, Giorgio Napolitano, le président italien ; Mario Monti, Donald Tusk et Mariano Rajoy, les premiers ministres italien, polonais et espagnol, ... rarement l'Europe aura vu la conjonction d'autant de personnalités de premier plan aux convictions européennes aussi affirmées. Si l'on y ajoute un premier ministre britannique connu pour son pragmatisme, il y a certaines raisons de croire que le moment est propice. La fenêtre de tir est néanmoins étroite. Des élections législatives auront lieu au printemps prochain en Italie, puis ce sera le tour de l'Allemagne...

Tout ça nous a menés bien loin de la tragédie en cours en Syrie. Sans doute. Car quand bien même l'Europe déciderait - finalement - de prendre à bras-le-corps la question de sa politique de sécurité, il faudrait du temps avant que celle-ci ne devienne opérationnelle. Certes. Il reste que l'on peut raisonnablement penser que cette assomption européenne de responsabilité pourrait avoir des effets immédiats sur ces pays qui aujourd'hui bloquent toute initiative en faveur d'une action de la communauté internationale pour arrêter la politique mortifère du régime syrien.

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