Dans les abattoirs d'Anderlecht, à Bruxelles, octobre 2012.

Bêtes de somme à bas prix

Les abattoirs d’Anderlecht ont souvent recours à une main d’oeuvre venue d'Europe de l’Est - notamment des Roumaines - sous-payée et sans contrat. Un problème lié à leur vulnérabilité et aux déséquilibres économiques entre les pays membres, constate De Standaard.

Publié le 4 octobre 2012 à 15:27
Dans les abattoirs d'Anderlecht, à Bruxelles, octobre 2012.

Ça pue du côté des abattoirs d’Anderlecht. Une puanteur qui ne vient pas des déchets de l’abattage, mais de l’exploitation des êtres humains et du dumping social, dont des femmes roumaines sont surtout victimes.

Les jours de marchés, quand on se promène sur le site des abattoirs et des marchés d’Anderlecht - “à l’Abattoir” comme disent les Bruxellois - on voit des gens de toutes les couleurs qui viennent acheter de la viande. Parce que les produits sont proposés à des prix relativement avantageux en plein cœur d’un quartier multiethnique. Le site est géré par Abatan SA et les lignes d’abattage sont exploitées par deux entreprises : Abaco SPRL (bovins) et Seva SPRL (porcs).

De plus, environ 45 PME se chargent, dans des locaux qu’elles louent, de découper la viande de bœuf et de porc, qu’elles vendent à l’étal. Ce sont surtout ces petites entreprises qui semblent recourir à des travailleurs issus de pays d’Europe de l’Est, notamment des Roumains. Elles ne le font pas toujours dans les règles. C’est ce qu’affirment deux femmes qui travaillent “à l’Abattoir”. “Nous sommes nombreux. Et personne n’a de contrat. Nous travaillons au noir. Et nous sommes sous-payés.

L’une des femmes reçoit huit euros de l’heure, l’autre six, ce qui est nettement inférieur au salaire minimum. Elles ne veulent pas que leur nom soit mentionné dans le journal, pas plus que leur âge. “Oui, nous sommes exploitées, mais nous nous taisons, de peur d’être renvoyées. Il y a assez de gens pour nous remplacer tout de suite. Et nous ne pouvons pas nous permettre de nous retrouver sans travail.

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Une pause déjeuner de dix minutes

Selon Codruta-Liliana Filip, de l’association des femmes du Parti social-démocrate roumain, les histoires des Roumaines sont toutes les mêmes : elles n’ont souvent pas de contrat, elles séjournent illégalement dans le pays, sont sous-payées, doivent faire de longues journées, n’ont droit qu’à une pause de dix minutes pour le déjeuner et travaillent souvent le week-end. Pas question de congés payés ni de prime de fin d’année. La plupart du temps, leur patron leur interdit de parler leur propre langue.

J’ai même essayé une fois d’entrer en contact avec des femmes qui vendaient de la viande”, raconte Codruta-Liliana Filip. “Je voulais les inviter à un événement culturel roumain. Dans les deux secondes, leur employeur s’est approché et m’a demandé de traduire tout ce que j’avais dit, ‘pour être sûr que j’avais des intentions honorables’. On se demande bien ce qu’il entendait par là.

Je travaille dix heures par jour”, dit la femme qui gagne huit euros [par heure]. “Et moi parfois onze heures, surtout le week-end”, réplique l’autre. “Il m’est aussi arrivé de travailler comme vendeuse, et là on gagne mieux.

Les femmes sont les plus vulnérables

Une des travailleuses peut comprendre la situation de son employeur. “C’est la crise économique. Les boucheries ont des coûts élevés, comme les frais de vétérinaires. S’ils nous payaient treize euros de l’heure, ils ne feraient peut-être plus de bénéfices. Et tout vaut mieux que ce que je gagne en Roumanie. Là-bas, on touche à peine 150 euros par mois, même quand on a un diplôme. Pas étonnant qu’on aille chercher un avenir ailleurs.

Il y a des problèmes partout, mais surtout dans le secteur de la transformation de la viande. Les gens y travaillent dans des conditions très difficiles. Les femmes sont les plus vulnérables. En Belgique, on manque cruellement de bouchers et beaucoup de femmes roumaines peuvent répondre à ce besoin. Mais on ne les traite pas correctement”, dit Codruta-Liliana Filip.

Je comprends qu'elles aient peur de parler. On peut facilement les remplacer par d’autres personnes qui seront prêtes à accepter les conditions qu’on leur impose. En définitive, elles sont ‘contentes’ de pouvoir gagner leur pain quotidien et de mettre un peu d’argent de côté. Pourtant, il faut que nous réagissions à cette situation. Les entreprises qui traitent convenablement leur personnel sont victimes d’une concurrence déloyale. Tout le monde a intérêt à se battre pour obtenir les mêmes conditions de travail. Sinon, on est confronté au dumping social et à la fraude. Et cela engendre de la souffrance humaine”, argumente la représentante de l'association des femmes du Parti social-démocrate roumain.

Je ne veux pas couvrir de boue les employeurs. Je ne veux pas les juger. Je suis consciente des difficultés sur le marché européen du travail. La Belgique doit faire face à la concurrence d’autres Etats membres.” L’industrie de transformation de la viande en Allemagne, notamment, où il n’y a pas de salaire minimum, perturbe le marché. “Ce n’est pas un problème belge, mais européen”, conclue-t-elle.

* Cet article est publié avec l'autorisation de l'éditeur, tous droits réservés.

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