Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso

La Commission passée par pertes et profits

Tout le monde a oublié que c’est l’exécutif européen qui a préparé le budget que les Vingt-Sept négociant actuellement. Pour une simple raison : son président, José Manuel Barroso, est invisible. Un “suicide” politique dénoncé par le correspondant de Libération à Bruxelles.

Publié le 23 novembre 2012 à 15:46
Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso

La Commission européenne a bel et bien politiquement sombré. Ceux qui en doutaient encore en ont la démonstration sous les yeux ces jours-ci : alors qu’elle doit défendre devant les vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement sa proposition de loi de programmation budgétaire 2014-2020 ("cadre financier pluriannuel"), l’acte le plus important de la législature, celui qui orientera l’Union pour les sept prochaines années, elle est tout simplement absente des débats. Personne ne s’intéresse plus à ce qu’elle a à dire, que ce soit les Etats, les médias ou les citoyens. Il ne s’agit pas d’un assassinat, mais d’un suicide orchestré par son président, José Manuel Durão Barroso, décidément une calamité pour une institution qui fut pourtant l’un des moteurs de la construction européenne dans un passé pas si lointain.

Historiquement, la bataille budgétaire mobilisait l’ensemble des moyens de la Commission : c’est elle qui est à la manœuvre, puisqu’elle propose, et qui a les moyens d’orienter l’Union européenne pour peu qu’elle arrive à convaincre les Etats, mais aussi les opinions publiques qui pèsent sur les Etats, du bien-fondé de son action. Ce n’est pas évident pour une institution dont la légitimité est fragile et c’est pour cela qu’il faut être extrêmement politique. Car la politique, ce n’est pas seulement agir, c’est convaincre du bien fondé de son action, faut-il le rappeler ?

Testament politique

Jacques Delors, président de la Commission entre 1985 et 1995, excellait dans cet exercice. Inventeur, en 1987, des "perspectives financières" ou loi de programmation budgétaire qui était destinée à en finir avec les drames financiers annuels, il n’a jamais négligé aucun des champs de l’action politique. Un travail de galérien, vraiment, mais qui fut payant. J’ai suivi, en 1992, les négociations du "paquet Delors II" (1993-1999). Je me rappelle encore du long travail d’explication et de conviction préalable de la Commission auprès des médias, intermédiaires obligés avec l’opinion publique européenne. Delors lui-même, mais aussi Pascal Lamy, son chef de cabinet, les commissaires, les directeurs généraux de la Commission, tout le monde s’y collait, en off, en on, en conférence de presse, pour expliquer de quoi il retournait, chiffres à l’appui. Une machine à convaincre d’une incroyable efficacité qui a continué à fonctionner sous Jacques Santer et Romano Prodi.

Sous Barroso, elle s’est enrayée. L’homme n’a jamais été un bon communicant et est mal à l’aise avec la presse. On aurait néanmoins pu penser que le cadre financier 2014-2020 qui va être son testament politique allait le réveiller. Il n’en a rien été. Bien au contraire, il a été pire que jamais. Une conférence de presse tardive et vite expédiée, le 29 juin 2011, pour présenter l’épais document de la Commission, sans aucun travail de déminage et de préparation préalable. Comment, dès lors, poser la moindre question alors qu’on découvre le projet au moment où il est dévoilé ? À chacun de se débrouiller pour comprendre de quoi il retourne. Décourageant vu l’extrême complexité de la matière. Seul un porte-parole a pris sur lui de décrypter pour les médias les grandes lignes du cadre financier.

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Sauver les meubles

Et depuis ? Rien, absolument rien. Un an sans communication vers l’extérieur. Un président absent, qui tente surtout de contrer l’influence de Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, auprès des Etats et du Parlement européen, des commissaires tétanisés osant à peine parler aux médias, des directeurs généraux planqués dans leur bureau au lieu d’expliquer les enjeux des négociations. Résultat : champ libre pour les Etats qui peuvent dire tout le mal qu’ils pensent des propositions de la Commission (et qui ne s'en privent pas, tout le monde est disponible) et pour Herman Van Rompuy, chargé en lieu et place de la Commission, de trouver un compromis à partir des chiffres de l’exécutif européen. Celui-ci, dès qu’il a pris la négociation en main, ne s’est pas privé de communiquer. Face à lui, il n’a trouvé personne.

Car la Commission a tout simplement disparu du débat au lieu d’en être le centre. Ce n’est pas en boudant ou en parcourant les coulisses de Bruxelles qu’on influence, que l’on rentre dans le jeu. Qui peut citer la dernière interview de Barroso dans un média ? C’est simple, personne, car il ne parle plus aux médias. Et ce n’est pas le discours prononcé le 21 novembre devant le Parlement européen qui va permettre de sauver les meubles alors que presque personne n’a fait le déplacement de Strasbourg pour cause d’Eurogroupe et de Sommet européen à préparer. Tout à son petit jeu institutionnel, Barroso a oublié qu’il devait aussi, si ce n’est d’abord, convaincre les citoyens européens, qu’il devait faire de la politique et non du lobbying ou du secrétariat. Là, il va perdre sur les deux tableaux : face aux Etats qui méprisent chaque jour davantage son institution et face à l’opinion publique qui l’ignore chaque jour davantage. Chapeau l’artiste !

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