Des étudiants de l'Université de Bologne, Piazza Santo Stefano.

Les NEET, une génération dans le besoin

Quatorze millions de jeunes Européens sont sans travail ni formation, et leur nombre s'accroît en raison de la crise économique, avec des disparités selon les pays. Les sociologues s’inquiètent des conséquences sociales et sanitaires de ce phénomène.

Publié le 28 novembre 2012 à 16:26
Des étudiants de l'Université de Bologne, Piazza Santo Stefano.

Un chômeur de longue durée à Naples, une mère adolescente en Saxe-Anhalt, un jeune en décrochage scolaire à Lelystad et un téléphage dépressif à Vilnius. Ce sont tous des jeunes vulnérables éloignés du marché du travail. Et la persistance de la crise les écarte toujours plus de l’Europe qui travaille.

Les chiffres de l’augmentation du chômage des jeunes sont choquants. Mais le plus souvent, ces chiffres tiennent seulement compte des jeunes qui sont prêts à travailler et en ont envie. Il y a également un groupe considérable de jeunes tellement démotivés qu’ils se détournent du marché du travail”, explique, au téléphone, Massimiliano Mascherini, de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, un organe de l’UE. Il a mené une étude sur la jeunesse qui ne travaille pas, ne suit pas d’études ni de formation professionnelle (ceux que l'on appelle les NEET, pour Not in Education, Employment or Training). Pour cela, il a examiné le contexte et le comportement de ces “télézards” et ce qu’ils coûtent à l’Europe.

Les résultatssont préoccupants. Il y a quatorze millions de jeunes inactifs en Europe, 15,4 % des jeunes de 15 à 29 ans. Certains le sont à titre volontaire ou sont en train de voyager, mais la majeure partie est dans une situation plus grave. “*Il*s ont peu confiance dans les institutions et leurs semblables ; ils sont socialement et politiquement isolés. Le risque qu'ils se retrouvent dans un circuit de délinquance est également plus important”, explique Mascherini.

Handicap et situation familiale difficile

Bruxelles s’inquiète de l’évolution de la situation de ces désoeuvrés, car ces problèmes coûtent cher. Mascherini a calculé que les jeunes ont coûté153 milliards d’euros aux Etats membres en 2011, alors que ce chiffre était de 119 milliards en 2008. Et il ne s’agit que d’un calcul prudent, car seules les dépenses liées aux prestations sociales ont été prises en compte. N’ont pas été inclus, par exemple, le coût de la délinquance ni les frais de maladie.

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Ton Eimers, le directeur du Centre d’information en matière d’enseignement professionnel et de marché du travail (KBA) connaît bien ce groupe à problèmes, “généralement, des jeunes ayant un handicap, un retard scolaire et/ou une situation familiale difficile”. Le sociologue de Nimègue est satisfait de l’étude : "elle décrit le décrochage scolaire précoce et le chômage comme des manifestations du même type de problème : des jeunes qui risquent de perdre le lien avec la société. En temps de crise, les problèmes de ce groupe augmentent.

Il est frappant de voir que les jeunes ont une attitude différente à l’égard de leur situation selon les différentes régions d’Europe. Ainsi, dans les pays anglo-saxons, en Europe Centrale et en Europe de l’Est, les inactifs sont passifs. Ils sont déçus par la société et les institutions et ont le sentiment que personne ne veut les aider. En réaction, ils se replient sur eux-mêmes. Ils attachent moins d’importance à la politique et une grande partie d’entre eux ne votent pas. Traîner devant la télévision, isolement social et solitude sont les mots clés.

Une jeunesse politiquement active

Dans les pays méditerranéens, la catégorie à problèmes est en revanche active sur le plan politique. Pour Mascherini, “ce n’est pas un hasard si, en Espagne et en Grèce, la jeunesse est prête à descendre dans la rue. Ils ne se sentent pas représentés politiquement et s’élèvent contre cela. Ils sont attirés par le radicalisme. Si un bloc extrémiste était créé dans ces pays, il y aurait de grandes chances qu’il trouve une base importante auprès de ces jeunes”.

Bien que l’Espagne soit toujours citée comme le pays ayant le taux de chômage le plus élevé, la situation en Italie et en Bulgarie est plus préoccupante selon Mascherini : “les Espagnols ont un niveau d’éducation relativement bon et beaucoup d’expérience professionnelle. Le chômage des jeunes y est une conséquence directe de la crise. En Bulgarie et en Italie, les problèmes sont d’ordre plus structurel. Les formations ne sont pas adaptées au marché. En Italie, les jeunes sont désœuvrés depuis de nombreuses années, et de fait la situation est de plus en plus urgente.

Le sociologue Eimers préfère expliquer la différence entre le mécontentement passif et actif d’une autre manière. “Je pense que la frustration se transforme plus vite en colère dans le sud de l’Europe car les chiffres sont plus élevés. S’il y avait tout à coup 40 % de chômage parmi les jeunes à Nimègue, les jeunes monteraient aussi sur les barricades. Mais quand on est peu, on a tendance à avoir honte et à s’isoler sur le canapé.

La seule région d’Europe où les inactifs se tiendront cois, d’après l’étude, est la Scandinavie. Pour Mascherini, ”les jeunes y sont autant impliqués socialement et politiquement, qu’ils soient au chômage ou non, qu’ils soient en décrochage scolaire ou non. De toute manière, des pays comme la Suède et le Danemark vont bien. Là-bas, il n’y a pratiquement pas de fossé entre les formations et le marché du travail. La différence avec la Bulgarie et l’Italie ne peut pas être plus grande.

Trafic de drogue et grossesses adolescentes

Et les Pays-Bas ? Un pays modèle, estime Mascherini. “Peu de problèmes structurels, de nombreux projets et un bon accompagnement, même si le nombre de cas problématiques augmente à cause de la crise”.

Hennie van Meerkerk trouve que ce tableau est un peu trop rose. Elle est la présidente du conseil d’administration de Scalda, un établissement d’enseignement secondaire professionnel en Zélande [une province du sud-ouest des Pays-Bas] qui est également ouvert aux personnes qui ont, par le passé, décroché précocément du système scolaire et qui se sont retrouvées au chômage. Elle parle d’une “nouvelle catégorie de jeunes souffrant de problèmes multiples” : “beaucoup ont des problèmes psychologiques, font des dépressions et ont souvent affaire à la justice.

La délinquance est un souci justifié d’après Mascherini. Il ressort de son étude que ces jeunes sont sensibles aux dépendances. Cela peut être une cause d’abandon scolaire ou de chômage, mais aussi une conséquence. Chez les jeunes qui trainent longtemps à la maison, on observe des dépressions qui peuvent entraîner des dépendances à l’alcool et aux drogues. Beaucoup plongent dans le trafic de drogue via leur toxicomanie. Concernant les filles, on constate beaucoup de grossesses chez des adolescentes.

Selon Van Meerkerk, “on ne donne pratiquement plus d’emplois à durée indéterminée. Ce sont justement les jeunes qui ont du mal à s’exprimer ou qui ont eu une jeunesse difficile qui en sont les premières victimes.” Eimers adhère à cette thèse : “leur nombre n’est peut-être pas aussi important ici qu’en Espagne ou en Italie, mais le noyau dur de nos jeunes à problèmes augmente à cause de la crise et l’on voit apparaître dès l’école les problèmes qu’ils auront dans le monde du travail. Il faudrait une meilleure collaboration entre les communes, l’organisme de gestion des assurances sociales (UVW) et les offices chargés de l’enseignement obligatoire. On ne peut pas attendre que cela se gâte.

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