Actualité Intégration européenne

Ça coince

Partout en Europe, on peut acheter les mêmes carrelages, les mêmes fromages, les même chaussures et les mêmes voitures. Mais dans les faits, les entraves à la libre circulation des biens sont telles que le "marché commun" ne l’est souvent que sur le papier.

Publié le 10 août 2010 à 09:52

Le seul grand projet qui soit relativement arrivé à maturité aujourd'hui est le marché des matières premières. Mais la suppression des entraves au commerce ne veut pas dire que tout se passe sans accrocs : de nouveaux produits sont en effet lancés chaque jour pour coller au rythme de l'innovation et de l'évolution des tendances, et de nouvelles barrières apparaissent sans cesse sous la forme d'autorisations ou de réglementations techniques ou administratives nationales qui compliquent la vie des fabricants et privent les consommateurs d'un choix plus ample.

Pour pouvoir utiliser pleinement le potentiel du marché unique, il faudrait une normalisation, une logistique, des transports et une protection des droits de propriété intellectuelle plus efficaces. Pour ne donner qu'un exemple, chaque Etat membre utilise un système de signalisation différent dans son réseau ferroviaire, ce qui rend difficile d'utiliser le même matériel roulant dans tous les pays. Les titres de transport ne sont pas les mêmes non plus, ni le droit des brevets.

Seuls 2,3% des Européens vivent dans un autre pays

La mobilité des travailleurs reste une illusion. Chaque année, 350 000 Européens épousent un ressortissant d'un autre Etat membre, 180 000 étudiants séjournent dans un autre pays grâce au programme Erasmus et beaucoup y restent pour chercher un emploi, mais beaucoup d'obstacles continuent à se dresser sur leur chemin. Le marché unique est rendu compliqué non seulement par les évidentes barrières culturelles, linguistiques et par les difficultés liées au logement et à la création d'une famille mais aussi par toutes sortes d'écueils juridiques. L'Europe reste pourtant une région à très faible mobilité professionnelle. Seuls 2,3% des Européens vivent dans un autre pays que celui où ils sont nés. Pour que les choses changent vraiment, il faudrait harmoniser les systèmes de protection sociale et les droits des travailleurs, pouvoir transférer les droits à la retraite et reconnaître à part entière les qualifications professionnelles.

L'assurance maladie, recouvrer une créance auprès d'un partenaire commercial dans un autre Etat membre, ou le cauchemar bureaucratique et l'imbroglio juridique que l'on doit démêler pour utiliser son véhicule dans un autre pays de l'UE ne sont que les exemples les plus simples des désagréments et déficiences du système. L'entreprise européenne type est de petite taille : neuf sur dix ont moins de dix salariés. Il y a vingt millions de ces entreprises dans l'UE, et elles forment l’ossature de l'économie européenne. Un marché vraiment unique serait pour elles une source importante de développement potentiel, mais aujourd'hui l'UE n'est pas un lieu accueillant pour les PME. Seules 8% ont une activité commerciale au niveau international et 5% seulement ont des succursales à l'étranger.

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Les partisans de l'intégration nagent à contre-courant

La révolution technologique a créé des secteurs qui n'existaient pas lorsque l'idée du marché unique est née, comme l'e-commerce ou l'industrie verte. Mais ici aussi, l'UE manque de réglementations sensées. L'Europe a une monnaie unique, mais les paiements par Internet et le marché de la facturation électronique restent fragmentés par les frontières nationales. Le marché unique ne sera jamais un succès si les avantages qu'il offre ne sont pas reconnus par les millions de citoyens que compte l'Europe. Et ceux-ci se sentent frustrés parce qu'ils tiennent ces avantages pour acquis et se focalisent sur les défauts. Le résultat est que l’Europe est aujourd'hui, et continuera à être dans le futur proche, moins encline à l'intégration que dans ses premières années.

La crise financière a ébranlé la foi dans la capacité du marché à s'auto corriger. Beaucoup le considèrent aujourd'hui comme immoral, créateur d'inégalités inadmissibles et inefficace. Le "marché unique" doit donc mieux répondre aux craintes et aux objections générées par la crise. Les champions de l'intégration doivent se montrer plus convaincants. Mais aujourd'hui, ils nagent à contre-courant : les citoyens ont l’impression que les réformes économiques approuvées par leurs gouvernements sont une conséquence de la construction marché unique. Pourtant, face à la montée des puissances émergentes, une intégration plus poussée serait la meilleure façon de réagir à la mondialisation et de défendre les intérêts économiques de l'Europe. Bien mieux qu’en se recentrant sur les instruments nationaux.

Etant donné les grandes différences qui existent entre les stratégies des Etats membres et le pouvoir qu'exercent les lobbies eurosceptiques, il va falloir trouver des compromis. A en croire l’ancien commissaire européen Mario Monti, qui a remis au président de la Commission José Manuel Barroso un rapport intitulé Une nouvelle stratégie pour le marché unique, les nouveaux Etats membres pourraient jouer un rôle crucial dans la recherche de ces compromis et leur mise en application. Ils ont en effet plus à gagner si l'intégration continue à progresser plus ou moins en douceur, et plus à perdre si elle ralentit ou si elle revient sur ses pas.

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