Son heure n'a pas encore sonné.

N’enterrez pas si vite l’UE

L’arrêt de mort de l’UE, prononcé par le politologue américain Charles Kupchan, suscite des réactions en Europe. La gestion de la crise de l’euro, démontre que, malgré les difficultés, l’intégration se poursuit bel et bien, note Il Sole 24 Ore.

Publié le 3 septembre 2010 à 10:14
Son heure n'a pas encore sonné.

Le 13 mai dernier, à Aix-la-Chapelle, la chancelière allemande Angela Merkel a exposé sous un jour nouveau sa vision de l'Europe lors de la remise du Prix Charlemagne au Premier ministre polonais Donald Tusk, en plein tsunami économique et financier grec. "La crise de l'euro" – a-t-elle souligné – "n'est pas une crise comme les autres. Il s'agit de la plus grande épreuve pour l'Europe depuis la signature du Traité de Rome en 1957. C’est une épreuve existentielle. Si nous échouons, les conséquences seront incalculables. Si nous parvenons à vaincre la crise, l'Europe en sortira plus forte que jamais."

Ces propos étaient si inattendus que la presse internationale a été littéralement prise de court. "Si nous voulons surmonter la crise", a ajouté la chancelière allemande, "nous devons faire face aux défis réels avec plus d’efficacité, en tirer les conséquences juridiques nécessaires et unifier plus que jamais notre politique économique et financière. Nous devons également prendre des initiatives au-delà de la sphère économique, en créant par exemple une armée européenne. Enfin, nous devons défendre nos principes et nos valeurs, à savoir la démocratie, la protection des droits de l’homme et la croissance durable".

Malgré les tensions, une gouvernance économique se met en place

À la lumière des propos d’Angela Merkel, l'analyse du professeur américain Charles Kupchan, qui annonce la fin de l’intégration européenne, démontre à quel point il est difficile, et pas uniquement outre-Atlantique, de comprendre l’Europe en profondeur. Bien que cet arrêt de mort, prononcé depuis un pays, les Etats-Unis, en proie à une crise si violente qu’il a perdu toute notion d’identité et de futur, semble provocatrice, l'Europe, dont les contours sont encore très vagues, demeure depuis sa création, un navire sans destination précise.

Le centre du pouvoir s’est déplacé de Bruxelles à Berlin à cause de la crise. Pour mesurer pleinement l'influence que l’Allemagne a exercée dans cette affaire, il est nécessaire de partir du communiqué du Conseil européen du 11 février 2010. À cette date, la crise grecque bat son plein et les appels se multiplient pour que les pays économiquement plus forts manifestent leur solidarité envers Athènes. Le mot "solidarité" n’apparaît cependant pas dans le communiqué. Herman Van Rompuy, tout juste investi président du Conseil européen, soutient la position de Berlin, qui souligne les responsabilités de la Grèce et reconnaît la participation de tous les pays en raison de leur intérêt à la solidité de l'euro. Ce jour-là, la rhétorique européenne change : la solidarité commune cède le pas à l’intérêt national.

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Entre le Conseil de février et celui qui s’est réuni fin mars, Angela Merkel assume l'initiative européenne, mettant totalement en marge le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et même Herman Van Rompuy. Les décisions du Conseil européen sont prises entre Paris et Berlin de concert avec le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, qui joue un rôle intermédiaire crucial. Malgré le face-à-face tendu qui les oppose, les deux capitales semblent toutefois être sur la voie d'une coopération et d’une gouvernance économique de l'euro.

Tous les pays européens se rapprochent du modèle allemand

En avril, la lenteur des décisions européennes, dénoncée à maintes reprises par Trichet, laisse le champ libre aux marchés financiers, persuadés que l'engagement politique de Berlin à l’égard de l'Europe est de plus en plus faible et que la solidarité est irrémédiablement sur le point de se rompre. Il s'agira là d'une erreur d'évaluation. Les décisions prises au début du mois de mai permettent de créer une structure d'aide commune [le mécanisme de stabilisation] qui freinera la crise grecque. L’euro constitue "la pierre angulaire de la construction européenne", a déclaré Angela Merkel. "Son échec entraînerait des conséquences désastreuses pour l’Europe."

L’euro apporte d’ailleurs des avantages non négligeables à l'Allemagne. Tous les pays européens se rapprochent du modèle économique allemand : plus grande discipline fiscale, réformes structurelles permettant d’ajuster les différences de compétitivité, création d'un mécanisme de résolution des crises et renforcement de la coordination économique. Ces éléments sont du reste à l’ordre de la "Task force" sur la gouvernance économiquedirigée par Herman Van Rompuy qui présentera ses résultats dans les prochains mois.

Au mois de juillet, le Conseil européen a trouvé un accord sur le service diplomatique commun et a opté pour que certaines formes de gestion des crises économiques deviennent permanentes. En outre, une nouvelle stratégie pour le marché intérieur a été développée par Mario Monti et de nouveaux projets devraient concerner le budget commun.

La crise et ses conséquences ont donc montré aux pays européens un nouveau visage de la mondialisation. Les Etats, qui ont compris les vertus et les devoirs de l'euro, redéfinissent à présent les intérêts communs. Nous aurons vraisemblablement besoin de nouveaux traités européens, comme l’a suggéré Angela Merkel, et de nouvelles perspectives pour la politique. Si la crise n'a pas marqué, comme l’affirme Charles Kupchan, la fin du temps de l'Europe, elle a cependant probablement renversé le sablier.

Réactions

Quatre recettes pour des temps difficiles

L’article de Charles Kupchan a paradoxalement eu l’effet de provoquer une vague de fierté et d’optimisme auprès des analystes européens. Quatre d’entre eux, interrogés par Il Sole 24 Ore, admettent que l’Europe traverse des difficultés, mais qu'elle n’est pas finie pour autant. Selon Marta Dassù, de l’Aspen Institute, les problèmes de gouvernance de l’UE sont dûs au fait que l’UE "n’est plus un rève, mais une réalité", et la clé de cette crise réside dans la gestion des déséquilibres provoqués par le poids croissant de l’Allemagne. L’économiste Franco Bruni estime quant à lui que "la voie de la reprise commence par les réformes financières. Les politiques budgétaires auxquelles travaille l’UE devraient provoquer plus de cohésion". Daniel Gros, directeur du Centre for European Policy Studies, suggère que "la reprise doit venir des Etats membres" et qu’elle "arrivera quand les électeurs réaliseront que le temps du changement est venu". Quant à Stefano Micossi, professeur au Collège d’Europe de Bruges, il affirme que "la faiblesse actuelle de l’Europe est représentée par le couple Barroso-Van Rompuy" et qu’elle "manque de leaders internationaux et de boussole". Malgré cela, "la réaction contre le risque de défaut de paiement de ses membres ont prouvé que, malgré l’absence d’un chauffeur, un virage a été amorcé".

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