Plaidoyer contre un “OTAN de l’Economie”

Avec la bénédiction de Barack Obama, la zone de libre-échange transatlantique devrait voir le jour d’ici deux ans. Or, il existe au moins quatre bonnes raisons pour l’Europe de ne pas souscrire au projet, écrit le quotidien libéral Die Welt.

Publié le 13 février 2013 à 16:31

Appelées NTA, NTMA, TAD, TED ou encore TAFTA sous leur forme abrégée, elles étaient censées renforcer les liens économiques entre les Etats-Unis et l’Europe ; des initiatives dont on n’avait plus entendu parler, mais dont les promoteurs reviennent aujourd’hui à la charge.
Les lobbyistes des industries implantées des deux côtés de l’Atlantique ne se sentent plus de joie. L’économie y est favorable, la classe politique en est, et, sur le papier, le libre-échange est une bonne chose. Il y a pourtant tout lieu d’accueillir la nouvelle avec un profond scepticisme.

1. Un mauvais exemple pour le reste du monde

Si les douanes jouent encore un rôle dans le commerce transatlantique, c’est uniquement dû, en réalité, au volume considérable de marchandises échangées. En 2010, les entreprises chimiques européennes ont versé près de 700 millions d’euros au fisc américain pour leurs exportations à destination des Etats-Unis – alors que les droits de douane ne s’élèvent en moyenne qu’à 2,25%.

Si elle soulagera peut-être les entreprises, la suppression de droits de douane de cet ordre n’aura pas d’effet macroéconomique sur la croissance. Pour ce faire, il faudrait accomplir des avancées majeures non pas sur la question des droits de douane, mais sur celle des entraves commerciales, qui sont considérables.

Or, c’est précisément dans ce domaine que la marge de manœuvre est limitée – parce que des groupes d’intérêt puissants, comme le lobby agroalimentaire, savent se défendre, et parce que l’opinion publique ne devrait pas suivre non plus.

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Ainsi, la législation américaine empêche une harmonisation plus poussée de la mise sur le marché des médicaments ; les Européens refusent d’importer de la viande contenant des hormones ou du maïs OGM en provenance des Etats-Unis ; et, de leur côté, les Américains ont peur des bactéries que pourraient contenir le bœuf d’importation ou des fromages français fabriqués selon des procédés naturels.

Les négociations sur une libéralisation accrue des échanges multilatéraux qui, depuis 2001, progressent cahin-caha sous le nom de "Cycle de Doha", ont montré l’ampleur des divergences de vues.
Si jamais il devait voir le jour, l’accord de libre-échange transatlantique serait nécessairement lacunaire – et cela pose un problème. Car en cas d’accord bancal entre l’Union européenne et les Etats-Unis, les deux blocs commerciaux les plus puissants du globe montreraient "un mauvais exemple aux autres zones de libre-échange", met en garde Rolf Langhammer, de l’Institut pour l’économie mondiale de Kiel, en Allemagne.

2. Les autres pays seront désavantagés

Si l’Europe et les Etats-Unis se mettent d’accord sur une libéralisation de leurs échanges commerciaux, tous les autres pays seront automatiquement discriminés. Le risque majeur est de voir non pas l’apparition de nouveaux flux commerciaux, mais un simple déplacement des flux existants. Par ailleurs, le reste du monde verrait dans un accord transatlantique "une forme d’exclusion, voire de chantage au détriment des pays tiers", dénonce Rolf Langhammer.

C’est la raison pour laquelle le ministère de l’Economie, à Berlin, souligne que les Européens veilleraient à ce que l’accord reste ouvert à l’adhésion d’autres pays.
Il est toutefois peu probable qu’un accord accouché dans la douleur soit remanié pour accueillir de nouveaux membres – c’est à prendre ou à laisser.

3. Le coup de grâce pour "Doha"

Le Cycle de Doha s’enlise et il est à se demander s’il aboutira un jour. L’alliance entre l’Union européenne et les Etats-Unis pourrait enfin donner le signal de départ de l’ère des accords commerciaux bilatéraux. Chaque nouvel accord conclu ne rendra pas le commerce mondial plus libre, mais seulement plus complexe.
Professeur d’origine indienne à l’université de Columbia de New York, Jagdish Bhagwati est l’un des plus grands spécialistes mondiaux des échanges commerciaux. Pour lui, le risque est aussi que l’Europe ne perde son rôle de force motrice d’une ultérieure libéralisation des échanges multilatéraux : après la signature d’un traité de libéralisation transatlantique, "les Européens devraient redoubler de vigilance à l’égard des intérêts américains et de leurs lobbies".

4. Un projet axé sur les mauvais partenaires commerciaux

Ces dernières années, le commerce transatlantique a affiché une croissance spectaculaire, poussant les fédérations industrielles des deux côtés de l’Atlantique à faire pression sur la classe politique pour faire avancer le dossier. Pourtant, c’est ailleurs, en Amérique latine et en Asie, que battra le cœur du commerce mondial à l’avenir.

Rolf Langhammer redoute même qu’une alliance transatlantique ne soit dommageable à l’Europe au bout du compte, en nuisant aux relations commerciales avec les pays émergents.

Un avis partagé par Jagdish Bhagwati. Considéré du point de vue européen, le projet n’est selon lui "pas une bonne idée". L’Europe serait nettement plus souple sur les questions commerciales que les Etats-Unis et, du fait de l’initiative TSA [Tout sauf les armes], qui permet aux pays les plus pauvres de bénéficier de la franchise des droits de douane pour l’exportation des produits à destination de l’Europe – à l’exception des armes – les Européens jouiraient d’une plus grande bienveillance.

"L’Union européenne devrait donc enterrer ce projet qui l’affaiblirait. Et les pays en développement se porteront de toute façon mieux sans lui".

Vu des Etats-Unis

Un partenariat qui pèse 275 milliards d’euros

Lors de son discours annuel sur l’etat de l’Union, le 12 février, Barack Obama a annoncé que les Etats-Unis allaient entamer des négociations commerciales globales avec l’Union européenne, en vue de l’établissement d’une zone de libre échange. Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, comme l’a baptisé le président américain, permettrait de booster le commerce entre les deux rives de l’Atlantique, qui a représenté près de 480 milliards d’euros en 2012, note le New York Times. A Bruxelles, on estime que “le partenariat pourrait représenter près de 275 milliards d’euros par an et entraîner la création de deux millions d’emplois”, écrit EUobserver.
Les négociations pourraient durer deux ans, “la réglementation européenne sur l’alimentation et les produits pharmaceutiques représentant la principale pierre d’achoppement”, ajoute le New York Times. “Un accord qui harmoniserait les réglementations sur des produits comme les aliments, les automobiles, les jouets et les médicaments serait plus important que l’abolition des tarifs douaniers, mais aussi plus compliqué”, ajoute le journal, “notamment parce qu’elles ne le sont pas encore entre les Vingt-Sept”.

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